Football : Samuel Eto’o, un président fougueux mais de plus en plus contesté au sein de la Fédération camerounaise

Elu en décembre 2021 pour quatre ans, l’ancien international fait preuve d’une direction de la Fecafoot très solitaire, mais qui ne va pas sans succès.

 

Si l’un des objectifs de Samuel Eto’o était de redonner une visibilité internationale au ballon rond camerounais, le président de la Fecafoot, la fédération nationale, peut estimer que le contrat est largement rempli. Depuis son élection pour quatre ans, le 11 décembre 2021, l’ancien international et buteur des Lions indomptables n’a pas perdu une occasion de faire parler de lui en bien ou en mal et, par ricochets, de l’instance qu’il dirige.

« Il fallait s’y attendre. Eto’o a été un des meilleurs joueurs du monde, il a évolué dans de grands clubs [FC Barcelone, Inter Milan, Chelsea…], c’est une forte personnalité, très médiatique. Tout ce qu’il dit et fait prend des proportions qui n’auraient pas été les mêmes si la Fecafoot était présidée par quelqu’un d’autre », estime Claude Jabéa Bekombo, coordinateur du Centre de recherche sur le sport en Afrique, à Yaoundé. Depuis sa prise de poste, l’ancien attaquant à en effet multiplié les décisions spectaculaires et de plus en plus contestées.

A quelques mois de la Coupe du monde au Qatar, qui se déroulera en novembre et décembre, il a rompu unilatéralement le contrat qui liait depuis 2019 sa fédération avec l’équipementier français Le Coq Sportif. « Il a décidé cela tout seul, aucun membre du comité exécutif n’a jamais eu accès au contrat », affirme un proche de l’instance. L’entreprise française a décidé d’attaquer la Fecafoot en justice. Une démarche qui pourrait coûter cher à l’Etat camerounais, puisque la fédération dépend financièrement de lui.

Savon mémorable

Le contribuable devra d’ailleurs mettre la main à la poche pour assumer une autre décision de Samuel Eto’o : le limogeage du sélectionneur portugais Toni Conceiçao, après la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN). L’entraîneur, pourtant soutenu par Narcisse Mouelle Kombi, le ministre des sports – qui entretient des relations exécrables avec Samuel Eto’o –, a été remplacé par l’ex-international camerounais Rigobert Song. La FIFA a donné raison à Conceiçao, qui l’avait saisie après son renvoi, en condamnant le Cameroun à lui verser près de 1,5 million d’euros d’indemnités.

Le président de la Fecafoot a également limogé, sans avancer de motif, Bill Tchato, un autre ancien Lion. Le coordinateur des sélections nationales avait été le témoin impuissant d’un savon mémorable que Samuel Eto’o a passé aux joueurs de l’équipe nationale après leur victoire en juin face au Burundi lors des qualifications pour la CAN 2023, qui se jouera en janvier 2024 en Côte d’Ivoire. L’ancien international avait jugé leur prestation insuffisante malgré le résultat. L’incident des vestiaires avait été opportunément filmé par une caméra et rapidement publié sur les réseaux sociaux.

« Cela a choqué des Camerounais. Le sélectionneur n’a pas dit un mot, c’était surréaliste. Qu’Eto’o engueule les joueurs, d’accord, mais qu’il ne fasse pas diffuser la vidéo ! Moi, comme d’autres, je pense que Samuel a nommé Song, qui a un CV d’entraîneur très peu fourni, pour avoir beaucoup d’emprise sur la sélection, ce que Conceiçao n’aurait pas accepté », avance un ancien joueur.

Le journaliste Jean-Bruno Tagne, qui fut le directeur de campagne du candidat Eto’o avant de prendre ses distances avec le nouveau président, avance néanmoins certaines réussites. « Samuel connaît très bien le football, c’est un homme intelligent, il a de bonnes idées, et il y a des points positifs dans ses premiers mois à la tête de la Fecafoot. » Le remplacement de Conceiçao par Song au mois de février a été suivi, quatre semaines plus tard, d’une qualification pour la Coupe du monde face à l’Algérie (0-1, 2-1). Une performance qui rapportera au minimum 8 millions d’euros à la fédération en vertu des primes versées par la FIFA aux sélections qualifiées.

Sur le plan national, l’ancien buteur du FC Barcelone s’était engagé à redynamiser les compétitions domestiques. Il y est parvenu, en veillant au bon déroulement du championnat et de la Coupe du Cameroun. « Il a toujours défendu les joueurs, et fait en sorte que les salaires leur soient réglés en temps et en heure, et il n’hésite pas à bousculer les dirigeants des clubs, peu habitués à cela », abonde Claude Jabéa Bekombo. Cela a contribué à le rendre encore plus populaire auprès des footballeurs professionnels camerounais, qui avaient adulé le joueur et louent désormais le dirigeant.

Gestion « très personnelle »

« Mais, s’il y a effectivement du bon dans son bilan, je suis globalement déçu, tempère Jean-Bruno Tagne. Le problème, c’est que la Fecafoot donne l’impression d’être gérée de manière très personnelle, et sans toujours de ligne directriceSes détracteurs l’attaquent notamment sur ce point, soulignant qu’il n’a pas attiré de nouveaux gros sponsors, comme il l’avait dit lors de sa campagne. A ce rythme, on peut se demander s’il tiendra jusqu’à la fin de son mandat. »

Au sein du comité exécutif de la fédération, même si la majorité des membres lui est officiellement acquise, Samuel Eto’o doit désormais faire face à la fronde de Guibai Gatama, le président du club amateur de Mokola FC. Celui-ci estime que le président de la fédération n’est plus légitime pour diriger l’instance.

« En juin, il a été condamné par la justice espagnole à vingt-deux mois de prison dans le cadre d’une affaire de fraude fiscaleOr l’article 36 de nos statuts rappelle qu’un candidat est inéligible à partir du moment où il a été condamné à une peine définitive privative de liberté, assortie de sursis simple ou avec probation supérieure à six mois. Donc, je ne demande rien d’autre que l’application et le respect des textes, et à ce titre, la fédération n’a plus de président légal », précise Guibai Gatama. Mais Samuel Eto’o, qui est parvenu à un arrangement avec la justice espagnole, n’ira pas en prison.

N’importe, Guibai Gatama reproche également au patron de la fédération de procéder à des nominations ou à des renvois « comme il le veut, sans toujours en respecter les statuts ». Une source proche du comité exécutif assure « que d’autres membres pensent comme Gatama, mais n’osent pas le dire ». En mai, Benjamin Banlock, le secrétaire général de la Fecafoot, avait démissionné en y dénonçant « le management ».

Source : Le Monde
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