Koutiala : La mésaventure d’Awa

Abusée par le mari et le fils de sa patronne, l’aide ménagère est tombée enceinte et s’est débarrassée du fœtus. Elle se trouve aujourd’hui derrière les barreaux. Comme elle, beaucoup de servantes vivent actuellement le même calvaire

 

Dans les campagnes, il est de coutume, après la saison des pluies et pendant les vacances, que les filles se redent dans les centres urbains, à la recherche des trousseaux de mariage. Sans y être préparées physiquement et moralement. Très jeunes, elles se lancent dans l’aventure, sans aucune idée de ce qui les attend dans les méandres des grandes villes.

Cette histoire qui se déroule dans la ville de Koutiala, en est une illustration parfaite. Les cheveux en nattes, les yeux hagards, t-shirt noir, pagne court, Awa (un nom d’emprunt), assise au milieu du lit dans une cellule, garde le silence. Elle médite profondément. Certainement sur le mauvais pas que le sort l’a plongée. Depuis plusieurs mois, elle attend son procès. Pour une raison qu’elle semble ignorée. L’adolescente passe ses journées en compagnie d’une dizaine de femmes, et semble inconsciente de tout ce qui l’entoure. La raison qui l’a conduite dans ce centre de détention est très souvent reprochée aux aides ménagères.

Awa travaillait comme servante dans une famille modeste de cinq personnes. Le matin, quand la maîtresse de maison se rendait au travail, les enfants à l’école, le père de famille, un vieux retraité, passait son temps à assouvir son désir sexuel avec elle. Était-ce une relation par consentement ou sous la menace ? À 15 ans, une fille peut-elle avoir une relation consentie avec un vieux qui a l’âge de son grand-père ? Cela peut arriver, mais ce n’est pas commun. La détenue desserre rarement les dents depuis son arrestation. Mais le désarroi se lit sur son visage.

TOMBER ENCEINTE – Selon une codétenue, Awa s’exprime souvent de façon laconique. Cela est dû au traumatisme. Elle a vécu des événements inhabituels, estime une vieille dame de 60 ans, une infirmière à la retraite, impliquée dans la même affaire que l’adolescente. Notre interlocutrice développe : «Ce vieux n’était pas le seul qui abusait de la petite. Son fils aussi, un adolescent de 16 ans, avait pris l’habitude de mettre la petite dans son lit».

Le calvaire d’Awa a duré des mois. Jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte ! Une situation qui a fait prendre conscience au chef de famille, la gravité de son acte. Du coup, il a fait recours à son amie de longue date, l’infirmière à la retraite, pour le tirer d’affaire. «Il m’a dit : je couche avec la servante de ma femme, mon fils aussi ! Un jour en rentrant dans la chambre de la « bonne » je les ai surpris en pleins ébats. Maintenant, elle attend un bébé, je ne sais pas qui de nous deux est le père.

Si les gens venaient à l’apprendre, ma famille volera en éclats ! Aide-moi, je t’en supplie», a révélé la sexagénaire. En précisant que c’est dans cet esprit qu’elle est venue au secours de son ami. L’infirmière avoue avoir invité la fille chez elle pour lui donner ce qu’il faut pour provoquer un accouchement forcé. « Je lui ai conseillé de rester chez moi jusqu’à ce que le problème soit réglé. Mais, quand les douleurs de l’enfantement ont commencé, elle a pris la fuite à mon insu. Croyant qu’elle vivait ses derniers moments», rapporte la vieille dame.

L’adolescente, transie de douleur, s’est dirigée vers la brousse, où elle a donné naissance à un fœtus. à bout de force, elle n’avait pas pu aller loin en brousse. C’est ainsi qu’elle a été repérée par les passants qui ont fait appel à la police qui procédera à son arrestation. Interrogée, elle a dénoncé la vieille infirmière comme étant son complice. Cette dernière a, à son tour, livré le vieux et sa progéniture. L’enquête a permis d’arrêter le fils, mais pas le père. Ce dernier s’est éclipsé dans la nature, dès que la nouvelle a fait le tour de la ville comme une traînée de poudre.

DES REGRETS- Le centre de détention de Koutiala comme les autres de la région est mixte. Hommes et femmes partagent la même enceinte de la prison. De l’autre côté du bâtiment où sont détenus les hommes, on aperçoit la silhouette du garçon indélicat. Grand de taille, il déambule dans un grand espace, qui sert de lieu de détente aux détenus. Il ne s’est pas fait prier pour nous donner sa version des faits. Visiblement gêné, il confirme avoir eu des relations sexuelles avec la « bonne ». Et par la même occasion, il exprime ses regrets. «Je demande la clémence de la société et de la justice. Je voudrais qu’on me libère pour aller préparer l’examen de fin d’année, le DEF», confie-t-il.

Quant à Awa, elle n’a aucune idée du temps qu’elle passera en prison. En attendant, elle patiente sagement au fond de sa cellule avant d’être fixée sur son sort.
Comme cette adolescente, beaucoup d’autres ont été marquées à vie par l’irresponsabilité de certains patrons. Ces derniers profitent de leur position pour abuser des servantes. Ces délinquants sexuels ne se posent jamais la question : «et si quelqu’un d’autre le faisait à ma propre fille ?»

Heureusement, la plupart des servantes sont plus chanceuses que Awa. Très souvent, elles arrivent à accomplir de façon honorable leur travail pour des patrons corrects qui les paient normalement. Et elles retournent au village avec le trousseau nécessaire à la célébration du mariage.

Si les villageoises ont besoin de venir en ville pour gagner de quoi s’acheter des ustensiles de cuisine et d’autres parures, les citadines leur doivent beaucoup. Rares sont les femmes des villes qui ne font pas recours au service des « bonnes ». Bien des foyers ne tiendraient pas sans ces bras valides taillables et corvéables. Très souvent, elles travaillent presque sans discontinuer de jour comme de nuit pour des salaires bas.

Ce besoin que les servantes comblent dans les villes, doit inciter les autorités à leur trouver un statut leur accordant un salaire décent et une protection contre les prédateurs sexuels qui profitent d’une position dominante pour abuser d’elles. Une telle protection pourrait permettre d’éviter des drames comme celui d’Awa. Et aussi comme celui de cette aide-ménagère qui a trouvé la mort, le 8 décembre dernier. Seba Coulibaly, c’est son nom, s’est jetée de la fenêtre du 3e étage de l’immeuble Nimaga au Grand marché de Bamako. Agée de 17 ans, elle tentait d’échapper à une tentative de viol et a succombé à ses blessures, à l’hôpital Mère-Enfant Luxembourg.

Les aides ménagères ou domestiques, ou encore femmes de ménage ou «52» prennent bien soin des patrons et de leurs enfants. Mais en retour, elles ne bénéficient pas du respect, ni de la protection. Pourtant, leur présence est indispensable à la tranquillité et à l’équilibre de bien de foyers dans nos villes.

Maïmouna SOW

Source : L’ESSOR

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