Loi électorale : les raisons de la controverse

Avant la future adoption de la nouvelle loi électorale, très attendue depuis le début de la Transition par les autorités et l’ensemble de la classe politique, les violons ne s’accordent pas pour l’heure sur le contenu du projet de loi en question entre les deux parties. Alors que le texte proposé par le gouvernement contient des innovations majeures, dans le but de l’organisation future d’élections moins contestées, certains acteurs pointent du doigt de profondes insuffisances et appellent à une démarche plus consensuelle pour aboutir à une loi acceptée par tous. Beaucoup de divergences sont au cœur des débats.

 

46 pages, 8 titres, 25 chapitres et 225 articles. Le nouveau projet de loi portant loi électorale, sur la table du Conseil national de transition (CNT) depuis un moment, est sans doute  le document le plus scruté aujourd’hui par la classe politique et une partie de la société civile. Les représentants de ces différentes entités sont écoutés depuis le 25 avril dernier par la Commission lois du CNT et ce pour plus d’un mois, jusqu’au 29 mai prochain.

Selon une source proche de la commission en charge des écoutes, même si l’ensemble de la classe politique et de la société civile ne pourra pas être écouté dans son absolue entièreté, la volonté est de faire participer dans la mesure du possible tous les partis politiques représentatifs et les mouvements et organisations de la société civile.

Pour ce faire, la commission travaille tous les jours de 8h à 20h pour donner la chance à chaque acteur d’apporter ses observations et suggestions en vue d’un texte final consensuel.

La plupart de ceux qui sont déjà passés devant cette Commission lois du CNT, émettent de sérieuses réserves, en dépit de la nécessité unanimement reconnue de l’adoption d’une nouvelle loi électorale.

Inquiétudes

« Dans cette loi, il y a un fourre-tout et nous nous sommes inquiets. Nous y trouvons beaucoup de contradictions juridiques et de pièges politiques », décrie Yaya Sangaré, Secrétaire général de l’Adema-Pasj.

Parmi les contradictions, l’ancien ministre de la Communication, qui soutient que la charrue est en train d’être mise avant les bœufs,  relève des « innovations qui, pour être prises en charge, nécessiteraient qu’on aille carrément à une révision de la Constitution ».

« En même temps, une loi électorale est une loi ordinaire et en l’espèce on est en train, en même temps, de faire cette loi qui parle un peu des conditions pour aller aux élections et de l’Organe unique de gestion des élections, qui devrait en principe être crée par une loi organique. Cela n’est pas possible », s’insurge M. Sangaré.

C’est un peu le même son de cloche au parti de la Convergence pour le développement du Mali (CODEM) de l’ancien ministre de l’Environnement Housseini Amion Guindo. Pour Amadou Aya, Secrétaire général de cette formation politique, le nouveau projet de loi portant loi électorale porte tout simplement en lui « le germe de la division et de  futures contestations dans notre pays, ce dont nous n’avons pas besoin ».

D’ailleurs, selon lui, le processus même qui a abouti à l’élaboration du projet de loi a violé plusieurs principes et a été conduit de manière unilatérale par le gouvernement, sans concertation avec les acteurs politiques et de la société civile.

« Nous avons connu par le passé des relectures et des modifications de lois, mais cela a été toujours fait au niveau du ministère de l’Administration territoriale, au cours des concertations avec les acteurs politiques. Ce projet de loi électorale a violé cette procédure de manière flagrante. Cela a même été violé par le porteur, qui est le ministère délégué chargé des Réformes politiques et institutionnelles, qui l’a introduit au niveau du CNT », accuse M. Amadou Aya.

« Je rappelle que dans le décret de répartition des tâches du gouvernement, l’organisation des élections et tout ce qui y a trait incombe au ministère de l’Administration territoriale, qui est aussi la tutelle des partis politiques », poursuit-il.

Toutefois, du côté du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), parti présidé par le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga, on salue un projet de loi qui fait « l’unanimité par rapport au besoin de réformes électorales et à l’institution de l’Organe unique de gestion des élections ». « Le reste des petits problèmes à l’intérieur, ce sont des dispositions relatives à quelques petits aspects qu’il faut prendre en charge », confie une source interne.

AIGE, principal point d’achoppement

L’Autorité indépendante de gestion des élections  (AIGE) n’a pas fini de faire parler d’elle. Même si son opérationnalisation dans le timing restant pour la Transition continue elle aussi de diviser la classe politique et les autorités de la Transition, c’est bien sur un autre point, celui de la méthode de désignation des membres de la commission de sélection du Collège de l’organe que la discorde est aujourd’hui totale.

Non seulement les politiques, mais également certaines organisations de la société civile, sont catégoriques sur le fait qu’il il faudrait impérativement revoir cette méthode. L’article 6 du projet de loi électorale dispose : « une commission de sélection composée de 7 personnalités indépendantes, neutres et intègres, dont 4 désignés par le Premier ministre et les 3 autres par le Président de l’Organe législatif, est constituée ».

Dans l’article suivant, il est précisé que les membres du collège de l’AIGE sont nommés pour un mandat de 7 ans non renouvelable par décret pris en Conseil des ministres, « sur présentation du dossier par le Premier ministre et sur la base du rapport de la commission de sélection ».

« Avec la méthode de composition de la commission de sélection des membres du Collège, le Premier ministre, partisan et président d’un parti politique, a encore la majorité et son parti sera candidat aux élections. Cet  aspect prouve à suffisance que c’est un projet de loi qui est va créer encore les germes d’une future contestation », fustige le Secrétaire général de la Codem.

Pour le Président de la Coalition pour l’observation citoyenne des élections au Mali (COCEM), Drissa Traoré, le mode de désignation des membres de la sélection du collège, tel que prévu par le projet de loi, ne contribue pas à garantir son indépendance et sa transparence, facteurs pourtant déterminants pour que les acteurs et  les citoyens aient confiance en l’institution.

« Nous ne voulons surtout pas un organe juste pour l’avoir. Il faut une organisation ou une structure à laquelle tous les acteurs font confiance, parce que sans cela nous  n’aurons pas de scrutin apaisé. Pour nous, le mode désignation des membres chargés de désigner à leur tour ceux du collège est déjà une contradiction avec l’esprit de l’AIGE. On ne peut pas demander aux décideurs de recruter eux-mêmes ces personnes », clame-t-il, demandant aux membres du CNT de ne pas laisser passer la composition de la commission de sélection telle que prévue par le projet de loi, au risque d’avoir «une AIGE vidée de son sens et de perpétuer l’instabilité politique ».

Mais au MPR, où ces craintes ne « se justifient pas », cette question ne « pose pas de problème », parce que le parti estime qu’ en tout état de cause il faudra quand même qu’il y ait des institutions qui soient impliquées à un moment ou à un autre dans la mise en place de l’organe.

« De toutes les façons, c’est le Président de la République qui promulgue le décret de leur nomination après. Quel est le problème si le Premier ministre prend des experts de chez lui et si le CNT en choisit pour travailler sur les dossiers  des gens à proposer ? » s’interroge-t-on dans le parti du chef du gouvernement.

« Nous  pensons que le plus difficile ce sont plutôt le profil et les critères, qui doivent faire l’objet de négociations serrées pour que nous puissions au moins avoir des personnes crédibles, qui puissent faire le travail ».

Pour plus d’inclusivité, la COCEM, pour sa part, propose un processus de mise en place du collège plus représentatif, à travers la présence de représentants des forces vives de la Nation dans le comité de sélection.

En lieu et place du textes actuel, les 7 personnes seraient alors désignées de la sorte : 2  par le pouvoir exécutif, 1 par le pouvoir législatif, 2 par la classe politique, 1 par la société civile et 1 par les universitaires, toutes directement désignées par leurs structures et non par les autorités.

Mésententes persistantes

Outre l’Autorité indépendante de gestion des élections, le projet de loi électorale tel que conçu par le gouvernement fait l’objet d’autres réserves de la part des acteurs du processus, tout aussi diverses que multiples.

Parmi elles, le système de parrainage des élus et citoyens lors de l’élection du Président de la République. Ce que dit l’article 162 du projet de loi n’est pas favorablement accueilli par certains partis politiques. Amadou Aya de la Codem va jusqu’à parler d’un « coup d’État électoral » en préparation

« À la fin de la Transition, il n’y aura pas de députés. Le parrainage des députés n’existera donc pas. Il restera celui des conseillers municipaux. Mais là aussi il y a le risque que ces conseillers cèdent la place à des autorités intérimaires, parce que leur mandat est arrivé à terme depuis novembre dernier. Du coup, le seul parrainage valable sera celui du citoyen. Or les candidats issus des milieux de ceux qui sont aux affaires pourraient être les seuls à y avoir accès, étant entendu que la procédure de parrainage elle-même est souvent entachée de corruption », s’inquiète celui dont le parti demande le retrait pur et simple de ce projet de loi, pour « revenir au projet consensuel qui avait été déjà élaboré par les ateliers de mai et de juin 2021 »

Si, par ailleurs, la possibilité de vote électronique que comporte le nouveau projet de loi, notamment en son article 101, est unanimement appréciée comme une avancée majeure, sa concrétisation est aussi une préoccupation pour les acteurs.

« Aujourd’hui, au Mali, sur l’ensemble du territoire, nous ne pensons pas que tout le monde ait accès à cette méthode de vote », rappelle Yaya Sangaré, saluant par ailleurs l’instauration du scrutin proportionnel lors des élections des députés à l’Assemblée nationale.

« Certaines propositions sont bonnes, mais il va falloir que les gens s’asseyent et que chacun puisse donner son point de vue par rapport aux avantages et aux inconvénients », conclut le Secrétaire général de l’Adema.

Mohamed Kenouvi

Source : Journal Du Mali

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