Rectification de la Transition : Quelle marge de manœuvre pour Choguel ?

S’il jouit de qualités avérées, qui devraient lui permettre de réussir dans les charges d’un Premier ministre en temps normal, Dr Choguel Kokalla Maïga risque d’avoir d’énormes difficultés à bien diriger la primature de cette Transition tirée par le bout des cheveux.

C’est le lundi dernier qu’a été signé et publié le décret de nomination du nouveau Premier ministre, qui succède ainsi à Moctar Ouane, peu honorablement mis à la touche, avec le désormais ex-président de la Transition, Bah N’Daw. Dr Choguel Kokalla Maïga devrait former avec le président de la Transition, Colonel Assimi Goïta, un duo dont les défis seront de taille.

Dr Choguel Kokalla Maïga, a la malchance de devoir assumer les fonctions de Premier ministre pour « rectifier la Transition » malienne, entamée il y a déjà 8 mois (sur les 18 mis convenus), suite au renversement du président IBK.

En effet, à travers les consultations tous azimuts tant au sein de la classe politiques qu’avec les organisations de la société civile, Dr Choguel Kokalla Maïga est déjà dans la posture du chef du gouvernement. Une équipe gouvernementale annoncée de « large ouverture », qui pourrait, à en croire de bonnes sources, voir le jour avant la fin de la semaine.

En outre, à travers le discours qu’il a tenu le vendredi dernier, sur la place de l’Indépendance, lors du meeting de commémoration du M5-RFP, Dr Choguel Maïga  a résolument porté sa casquette de Premier ministre. « Nous respecterons nos engagements internationaux… », soulignait-il à l’attention des pays amis, dont  la France, qui venait de suspendre sa coopération militaire avec le Mali.

Justement, l’un des plus grands défis du duo colonel Assimi Goïta-Dr Choguel Kokalla Maïga sera d’œuvrer à se donner une dose de reconnaissance dans un contexte difficile d’hostilité internationale par rapport au coup d’Etat. Comment arriver à collaborer avec un régime issu d’un double coup d’Etat et dont le pays est la cible d’invasions de hordes terroristes ? C’est la délicate question que les puissances occidentales se posent non sans un pincement au cœur.

En particulier, la France d’Emmanuel Macron s’appuie sur son opinion publique hostile à sa présence militaire au Mali, tout en affichant son rejet des coups de force comme moyen d’accès au pouvoir. Sauf que dans le cas malien, Paris est visiblement embarrassé par la menace terroriste dans le Sahel et l’exigence de civil au pouvoir à Bamako. Il est finalement contraint à accepter le colonel Assimi Goïta tout en lui intimant ses désidératas.  Et la France est bien suivie dans cette voie par les USA, l’Union Européenne et les autres partenaires du Mali. Comment Assimi Goïta et Choguel Maiga peuvent-ils agir rapidement pour rassurer ces partenaires stratégiques du Mali, surtout par rapport à la crise sécuritaire ? Des gages et garanties de tailles sont attendus du côté des deux têtes de l’exécutif malien.

Par ailleurs, au sein des forces vives du pays, la soif de voir des signaux forts de rupture par rapport à la gouvernance IBK est réelle. Comment Assimi Goïta et son Premier ministre peuvent-ils procéder pour convaincre les Maliens qu’ils sont au pouvoir pour les conduire vers leur mieux-être ? Comment faire par rapport à la demande sociale assez forte ? Quid du dossier de la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance ? Comment faire pour mettre fin à l’impunité criarde ? Le chef de l’Etat et son Premier ministre pourront-ils faire taire les dissensions au sein de la classe politique ? Ce ne sera certainement pas aisé.

En outre, les dirigeants de la transition seront confrontés à des contraintes majeures liées aux difficultés économiques et financières de l’Etat. Le front syndical est toujours incandescent, sans oublier la situation des déplacés, victimes de la crise sécuritaire, les problèmes da la filière coton et des faibles récoltés des cultures vivrières, etc.

Ce qui est sûr, c’est que le processus de « rectification de la transition » sera parsemé d’embûches nécessitant que les premiers dirigeants de l’Etat se surpassent pour parvenir  à sortir le pays de l’ornière.

Baba Djilla SOW

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Qui est Choguel Kokalla Maïga ?

De son vrai nom Chouaïbou Issoufi Souleymane, Dr Choguel Kokalla Maïga est né en 1958 à Tabango dans le cercle d’Ansongo (Gao). De 1963 à 1974, il fréquente les écoles fondamentales de Tabango et de Bara puis le lycée Technique de Bamako en 1974 et 1977. Sorti major de sa promotion en série Mathématiques Techniques et Industries avec un baccalauréat technique, il s’envole pour l’université d’Etat de Biélorusse (ex- URSS).

Après l’obtention de son doctorat en Télécommunications avec mention « Excellent et les félicitations du jury », il rentre au Mali en 1988 et intègre l’Union nationale des Jeunes du Mali (UNJM), une association fondée par le régime de Moussa Traoré. A la chute de celui-ci en mars 1991, il crée en 1997 son parti Mouvement Patriotique pour le Renouveau (MPR) et se porte deux fois candidat à la présidentielle en 2002 et 2018. Il a été ministre de l’Industrie et du Commerce entre 2002 et 2007 sous le régime ATT.

Nommé par la suite Directeur général de l’Autorité Malienne de Régulation des Télécommunications/TIC et Postes (AMRTP), il opère en 2015 son retour au gouvernement d’IBK comme ministre de l’Economie numérique, de l’Information et de la Communication (porte-parole du gouvernement).

En 2016, il n’est pas reconduit. Après la présidentielle de 2018, ce meneur d’hommes et acteur politique de premier plan, devenu plus tard opposant au régime IBK, conteste au sein du Front pour Sauvegarde de la Démocratie (FSD) les résultats donnant IBK vainqueur du scrutin présidentiel émaillé de “fraudes”. En 2020, après les législatives, le M5-RFP, dont il est le président du comité stratégique, organise plusieurs rassemblements populaires pour exiger la démission du Président IBK et son régime. Lequel régime est tombé le 18 août 2020.

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Dr Choguel K. Maïga nommé Premier ministre

Les Maliens s’expriment

Nommé au poste de Premier ministre de cette seconde phase de la transition, Dr Choguel Kokalla Maiga, non moins président du Comité stratégique du M5-RFP, fera face à de nombreux défis. Pour les Maliens, Choguel peut réussir s’il bénéficie d’un bon accompagnement..

Diakaria Traoré, consultant indépendant, Cameroun : «Le nouveau PM doit constituer un gouvernement crédible»

Avec Dr Choguel Kokalla Maiga, les Maliens auront l’occasion de découvrir de quoi il est capable, après avoir mené une lutte inlassable contre le régime déchu d’IBK et critiqué vertement l’ex-chef du gouvernement Moctar Ouane et son président de Transition M’Bah Daw. A mon avis, Dr Choguel Maiga pourrait être un bon Premier ministre pour aider le président Assimi Goita, afin de conduire le pays vers de bonnes élections. Mais, il ne faut pas que le M5-RFP influence la gestion du chef du gouvernement, parce que pour la plupart, les mouvements qui mènent la lutte contre la mauvaise gestion du pays, se déchirent après pour des postes (gagne-pain). Pour cela, il faudrait que Dr Maiga constitue un gouvernement crédible, capable et qui sera  en  mesure de sortir le pays de cette crise, qui a durement frappé toutes les institutions. Il doit également penser à l’intégrité, à la stabilité du pays, au maintien de la paix au nord en passant par le centre jusqu’au sud.

Le duo Assimi-Choguel est un bon tandem, parce que le pays a besoin de dirigeants capables, et Assimi a le soutien du peuple, même si nous avons été pris d’assaut par des sanctions plutôt politiques. Ces deux doivent travailler en synergie pour consolider le tissu social déchiré depuis longtemps. Et ce, à condition qu’ils mettent le Mali avant tout.

Nouhoum Coulibaly, juriste de formation, Bamako : « Dr Choguel est un bon choix»

Comme beaucoup des Maliens, cette nomination de Dr Choguel à la primature est une bonne chose, car selon moi, plusieurs Maliens se retrouvent dans cette nomination. Pourquoi j’ai dit cela, parce que déjà nombreux sont des Maliens qui avaient réclamé que le M5-RFP participe à la construction de ce nouveau Mali. Chose, à mon avis, qui a tardé à se faire. Maintenant que les ténors de la transition, en l’occurrence les militaires, ont accepté de rectifier la trajectoire de la Transition en impliquant le M5-RFP dans le processus, il faut y aller. Ils auraient pu commencer par là pour éviter ce qui est arrivé (coup d’Etat du 24 mai). Pour cela, Dr Choguel doit faire preuve de transparence en soignant sa communication et en gardant la cohérence, dont il a fait preuve jusque là. Car sans cette cohérence, le M5-RFP ne sera pas là aujourd’hui. Dans sa déclaration de politique générale,  Dr Choguel doit essayer de mettre en avant des lignes et des objectifs réalisables.

S’agissant de sa collaboration avec le président de Transition Assimi Goita, Dr Maiga est en train déjà de rentrer dans un contexte de réconciliation. C’est quelqu’un qui a conscience des enjeux… Travailleur qu’il est, je crois que le nouveau Premier ministre jouera toute sa partition pour relever les défis, tout en s’appuyant sur le président Assimi Goita.

Oumar Barry, vice-président du Jeune chambre internationale, depuis Kayes : « Le contexte n’est pas favorable à Choguel… »

Personne ne peut contester les compétences de Dr Choguel Kokalla Maiga pour pouvoir diriger un gouvernement, mais je crois que le contexte dans lequel nous sommes, ne lui est pas favorable. Pour la simple raison qu’il n’est pas la personne idéale pour rassembler tout le monde. Etant donné que nous savons que la période de la transition doit être un moment où le Premier ministre doit avoir la capacité de mobiliser toutes les forces vives de la nation autour des grands défis et des grandes réformes en cours. Cela ne pourrait pas être possible avec lui, car il est un homme politique controversé et qui s’est opposé à plusieurs régimes. Et secundo, les rumeurs disent qu’il n’est pas un modèle de bonne gouvernance. Cela peut plaider en sa défaveur. En plus de cela, il est issu d’un mouvement politique, qui ambitionne de présenter un candidat à l’élection présidentielle à venir. Devant cet état de fait, les autres acteurs politiques, qui ne sont pas dans ce mouvement, ne seront pas d’accord avec lui.

Parlant de la collaboration entre Assimi et Dr Maiga, je crois que le chef de la Transition a fait une erreur de casting en donnant le poste de Premier ministre au M5-RFP. Pour moi, il devait proposer au mouvement de choisir en son sein trois où quatre personnes ; comme cela, il pouvait avec ses conseillers choisir le meilleur profil. Si les militaires continuent à monopoliser le pouvoir en isolant le PM Choguel, comme avec M’Bah Daw, cela risque d’être chaud entre les deux personnalités. C’est trop prématuré pour envisager un tel scénario. Mais déjà, au départ, avec Choguel, l’on peut craindre que l’Accord d’Alger ne soit piétiné.

Mahamadou Farka Maiga, leader d’opinion, Bamako: « Choguel fera de son mieux»

Dr Choguel a été nommé Premier ministre et je lui adresse toutes mes félicitations et lui souhaite beaucoup de courage face aux multiples défis qu’il doit relever.  Je suis certain, au regard de toutes les qualités que je lui connais, qu’en tant que chef du gouvernement et issu du M5-RFP, il fera de son mieux. La constance et le respect des principes, dont il a fait preuve, ont été fort remarquablement perçus et appréciés. A cet effet, je recommande à Dr Choguel Kokalla Maïga, de mettre un point d’honneur sur la restauration de l’autorité de l’Etat, gage du développement. Mais, personnellement, je n’ai pas apprécié la tournure des évènements, ces derniers temps, parce que tout simplement, je suis démocrate et légaliste. Il n’en demeure pas moins que si la sortie heureuse de notre pays est  fonction de ce passage, qu’Allah soit satisfait.

Au regard du cheminement de Assimi et Choguel, c’est une équation difficile à résoudre parlant de leur future collaboration. Mais ce que je peux dire, face à ce deuxième coup d’Etat, la conduite du Colonel Assimi Goita est partisane donc pour un intérêt personnel. Disons qu’aujourd’hui, c’est l’intérêt du pays qui est en jeu, même si les actes posés par Assimi peuvent être jugés de populistes, certainement  la conduite de Dr Choguel Maiga avec beaucoup de patience, de patriotisme, les deux vont pouvoir bien travailler pour éviter que le pays sombre, mais se relève rapidement.

Rassemblés par Lamine BAGAYOGO 

Source: Mali Horizon
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