Kayes : l’école à portée de pirogue pour les élèves de Somakidi-Kura

Créé au milieu des années 70 par un groupe de jeunes migrants revenus de France pour investir dans l’agriculture, Somakidi-kura est un hameau, situé à 15 km de Kayes. Les élèves de ce paisible village traversent
plusieurs fois le fleuve par jour afin de suivre les cours dans l’école du village voisin de Samé

La matinée s’installe paresseusement. Pendant ce temps, un léger vent souffle sur les berges du fleuve Sénégal. Un groupe de jeunes écolières, sacs au dos pour certaines et effets d’écoliers sous le bras pour d’autres, est assis à l’ombre d’un arbre. Elles attendent la pirogue pour regagner leurs maisons respectives à cette heure qui correspond à celle de la récréation. Quelques minutes plus tard, la pirogue accoste.

Les adolescentes embarquent avec un air plutôt serein et des discussions et rires animent la traversée. Même si la plus petite du groupe, d’une dizaine de bougies, semble moins habituée et plus inquiète. Elle s’accroche solidement aux bordures de l’embarcation.

La traversée du fleuve pour se rendre à l’école est devenue le quotidien des élèves de Somakidi-kura, ce hameau de culture situé à 15 km de Kayes, en direction de la frontière avec le Sénégal, et à une poignée de minutes de traversée du fleuve Sénégal du village de Samé plantation.

«Nous partons chaque jour à l’école en pirogue, seulement quand il pleut ou quand il y a du vent, en ce moment nous restons à la maison», confie une des élèves, pendant que la pirogue vogue vers l’autre rive, sous l’impulsion des coups de rame, de Mahamoudou, le jeune piroguier.

Cette particularité de Somakidi-kura s’explique par le fait que ce hameau a été fondé dans le milieu des années 70 par un groupe de migrants revenus de France pour s’investir dans l’agriculture. Chemin faisant, les familles ont grandi. Les rêves, par contre, s’évanouissent derrière le fleuve. Même si le village s’est doté, il y a quelques années d’une école primaire de six classes, il reste difficile pour les enfants de Somakidi-kura, atteignant le second cycle, de se rendre chaque jour à l’école de Somakidi village, situé à sept km. Face à l’option de marcher plusieurs heures par jour, les écoliers préfèrent emprunter la pirogue pour se rendre à l’école du village voisin Samé plantation, à trois km sur l’autre rive du fleuve.


Difficile accès à l’éducation- 
Le trajet hors du commun des écoliers de Somakidi-kura illustre le quotidien de nombreux élèves, pour qui, partir à l’école n’est pas sans risque. Environ 60 millions d’enfants en âge de fréquenter l’école primaire ne sont pas scolarisés dans le monde en 2018, selon l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). Des statistiques de la même institution établissent que plus de 2 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans ne vont toujours pas à l’école et plus de la moitié des jeunes âgés de 15 à 24 ans au Mali sont analphabètes.

Bien que l’accès à une éducation sécurisée soit un droit fondamental pour tous les enfants, garantis notamment par la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, en son article 26, tant de mômes en demeurent privés dans le monde. Parmi les principales causes de la déscolarisation des enfants figurent les contraintes financières des parents, les pesanteurs sociales mais également les risques sécuritaires liés aux longues distances qui séparent souvent les écoles des domiciles.

«Il y a une école à Somakidi village, mais compte tenu de la distance, les enfants ne peuvent pas aller là-bas. On préfère la traversée, avec des risques mais c’est beaucoup plus facile que d’aller à Somakidi village chaque jour. Nous avons une pirogue qu’on met à leur disposition et le piroguier, un jeune du village, se charge de la traversée», explique Siré Soumaré, 70 ans, notable et membre fondateur de Somakidi-kura.

Selon lui, le village est très vigilant sur la traversée des enfants. Ils n’embarquent pas si le fleuve est agité, en cas de vent violent ou de tornade, ils restent au village, confirme Siré Soumaré. «Même si cela peut perturber leurs cours nous insistons sur la sécurité. Au moment des examens, ils restent à Samé pour éviter ce type de problème et grâce à Dieu, il n’y a jamais eu de problème avec la traversée du fleuve pour les enfants», se réjouit le septuagénaire.

Le bon exemple- Malgré les difficultés de déplacement et d’accès plus sécurisé à l’école pour les enfants de cette bourgade, le vieux Soumaré exprime sa satisfaction face aux performances réalisées par les élèves issus du village. «Quand on prend le taux de scolarisation, nous sommes sans commune mesure avec tous les autres villages environnants. Tous les enfants qui sont formés ici traversent le fleuve quatre fois par jour pour aller à Samé et le soir ils reviennent.

Malgré les contraintes, nous avons eu des cadres supérieurs, comme mon fils qui est actuellement professeur de mathématiques en France, même si son père est illettré. D’autres enfants du village sont au lycée, certains ont été enrôlés dans la fonction publique. On peut s’enorgueillir», soutient fièrement Siré Soumaré, installé dans son vestibule familial.

Le patriarche développe avec fierté l’exemple d’un de ses fils, de la première promotion des enfants de l’école de Samé et qui enseigne en France. «Il est né et a été formé ici, il a fait toutes ces traversées du fleuve chaque jour comme le font actuellement ces enfants», témoigne Siré Soumaré. À l’époque après le 1er cycle à l’école de Samé, les enfants de Somakidi-kura poursuivaient leur cursus scolaire à Samé plantation, chef-lieu d’arrondissement.

Les difficultés liées à l’éloignement de l’école de leur habitation et la contrainte des multiples traversées journalières du fleuve n’ont en rien entamé la volonté des enfants de ce petit village de bénéficier du droit fondamental à l’éducation, à la grande satisfaction des parents et membres fondateurs de ce village. «Ils ont arraché leur éducation dans le feu. On est fiers des résultats réalisés par nos enfants sur le plan scolaire», se félicite Siré Soumaré.

Mohamed TOURÉ

Source: Essor
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