Les militaires doivent regagner leurs casernes, en Guinée comme au Mali

En Guinée, les premiers couacs apparaissent entre les civils et les militaires dans le pouvoir conjoint de transition, avec le limogeage de la ministre de la Justice. Mais selon Aujourd’hui au Faso, pour la Guinée comme pour le Mali, le problème est plus large : il est temps d’organiser des élections pour un retour à un pouvoir entièrement civil.

 

Convenons que le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya [qui a mené en septembre 2021 un coup d’État contre le président Alpha Condé et est devenu le président de la transition] en Guinée semble être mieux outillé, du moins si on en croit ses premiers mots, assez préparé pour la fonction suprême qu’il a prise en chassant Alpha Condé du palais de Sékhoutouréya [la résidence officielle et le bureau du président de la Guinée].

Acceptons qu’il ait mis fin à un régime fossilisé qui avait semé la division, si ce n’était sur celle-ci qu’il régnait, et qu’en mettant un terme au troisième mandat indu du prof Alpha [docteur en droit public, Alpha Condé a eu une carrière d’enseignant] il a accompli les aspirations de nombreux Guinéens.

Partons aussi du postulat que le régime IBK [Ibrahim Boubacar Keïta, président malien renversé en août 2020] au Mali ahanait pour gouverner, et [qu’il] était tombé lui aussi dans une sorte de patrimonialisation du pouvoir, si bien que lorsque le groupe de colonels de Kati [le camp militaire Soundiata-Keïta est un camp de l’armée de terre malienne situé à Kati, d’où est parti le coup d’État qui a renversé IBK] l’a fait choir de la colline de Koulouba [le palais de Koulouba est la résidence officielle et le bureau du président de la République du Mali], à Bamako, comme toujours le petit peuple a applaudi des deux mains.

Si l’arbitre devient joueur…

Mais voilà, quoiqu’on dise, les militaires semblent ne pas être faits pour être au pouvoir, même si sous nos cieux les civils font souvent preuve d’incapacité quasi rédhibitoire, se crêpent le chignon pendant une éternité, rien que pour leur panse, oubliant les intérêts du pays, obligeant les militaires à venir arbitrer. Mais quand l’arbitre veut taper dans le ballon, et aller marquer le but, empruntons cette image à l’heure de la CAN [Coupe d’Afrique des nations] : si l’arbitre devient joueur, tout devient brouillé.

En Guinée d’abord, premier pataquès avec le congédiement [le 31 décembre 2021] de la garde des Sceaux et numéro 2 du gouvernement, Mme Fatoumata Yarie Soumah, pour insubordination. En vérité, c’est le premier bout d’une face invisible de la gouvernance, issue d’un putsch militaire. Obéir ou se démettre ! Sommée de travailler avec des collaborateurs qu’on lui aurait imposés et convoquée pour une réunion le dimanche 2 janvier 2022, c’était plus que n’en pouvait cette notaire au caractère bien trempé. Elle opposera une fin de non-recevoir au secrétaire général de la présidence, le colonel Amara Camara (qui l’a remplacée au pied levé), et très vite le couperet tombe.

Le patron, c’est le colonel

En réalité, rien de surprenant dans cette posture car même dans un régime civil, démocratique, un ministre ne piquerait pas l’outrecuidance à contrer les décisions du chef de l’État, a fortiori un président-militaire. Le colonel Doumbouya est dans son rôle, car c’est lui qui a nommé Dame Yarie, le patron c’est lui.

Mais cette divergence entre l’ex-numéro 2 et le CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement, l’organe de transition créé après le coup d’État du 5 septembre 2021] est symptomatique [du fait] que les élections sont une nécessité en Guinée, et que rien ne sert de garder un flou artistique sur le calendrier électoral. Au fil du temps, il y aura encore des mésententes.

On peut mettre un “système” (dixit le président Doumbouya) pour que la politique en Guinée se déroule sereinement, mais le rôle de la transition revient à créer les conditions pour… et à laisser le pouvoir civil qui sera élu en être le cornac.

Au Mali, trois jours après le dévoilement du chronogramme de la transition long de cinq années, le Cadre, conglomérat des partis de l’ancien régime déchu et de certaines sociétés civiles, dit non à ce timing et appelle à une désobéissance civile et une non-reconnaissance de la transition à partir du 27 février 2022.

Ruser avec le peuple

En attendant de connaître ce que sera la posture (durcissement ou accommodation) de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) [qui doit se réunir ce 9 janvier à Accra], ce tir de barrage affiché, qui pourrait faire boule de sable, est un signal fort que tout ne roule pas aussi aisément avec la junte au Mali. Et, en toute objectivité, faire un coup d’État pour rester au pouvoir cinq ans afin de tout mettre en ordre avant de partir, c’est encore une fois, au risque de se répéter, un mauvais exemple que ne cautionneraient pas des militaires démocrates.

Par un curieux hasard, donc, dans ces deux pays, Guinée et Mali, même si encore une fois au pays du Silly [la Guinée] il y a un préjugé favorable, dans ces deux pays dirigés par des militaires, ça commence à rouspéter au sein même du pouvoir, et c’est la preuve qu’il faut organiser rapidement des élections. Après avoir balayé les maisons Mali et Guinée, regagner les casernes. Tout autre agenda reviendrait à se fourvoyer. On peut ruser avec une partie du peuple pendant un certain temps, mais on ne peut pas ruser avec tout le peuple, tout le temps.

Source : Courrier international

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