#MaliSansEsclaves : quand statut de « jon » ne rime pas avec ambition politique

Dans la première région administrative du Mali, les personnes qui ont le statut de « jon » se disent victimes d’une discrimination qui ne dit pas son nom  sur le plan politique. Lors des élections au niveau local, leurs chances de se faire élire sont presque inexistantes. 

 

Nous sommes en octobre 2019. Lors d’une rencontre avec des Maliens de la diaspora en France, Mohamed Tounkara, député élu à Kita (Kayes), déclare : « Je vous conseille de voter pour les candidats nobles(« horons »). Si jamais vous donnez l’opportunité aux esclaves (« jons ») d’occuper les postes de responsabilité, ils vont mettre fin à l’esclavage par ascendance. » La vidéo a circulé plus tard sur les réseaux sociaux, notamment WhatsApp.

Face aux ressortissants de la première région administrative, il se vante d’être un proche du Président de la République et appelle son auditoire à ne pas voter pour ceux qui ont le statut d’esclave. Cette prise de position du député, censé défendre les droits de tous les Maliens à l’Assemblée nationale, jure avec l’article 2 de la Constitution malienne qui stipule : « Tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur l’origine sociale, la couleur, la langue, la race, le sexe, la religion et l’opinion politique est prohibée.»

Contacté par téléphone, le dimanche 28 juin 2020, le député élu sous les couleurs du Rassemblement pour le Mali (RPM, parti au pouvoir) maintient ses propos et enfonce le clou : «Personne n’est obligé d’accepter le statut d’esclave. C’est une tradition ancestrale à laquelle les gens se soumettent volontairement, parce qu’elle a des avantages. Ils ne sont pas maltraités par les nobles. Au nord du Mali, les gens vivent les pires pratiques esclavagistes. Cela ne choque personne. » Avant d’ajouter : « J’ai appelé nos électeurs à ne pas voter pour les candidats « jons », ce n’était pas pour leur plaire. Mais parce qu’ils (les « jons ») vont mettre un terme à nos valeurs traditionnelles sur lesquelles notre société est fondée depuis des siècles. »

Aucun maire, ni député « jon »

En 2016, Kariba Camara, candidat aux élections communales dans la commune de Guémoukouraba (Séféto), n’a pas recueilli le vote de certains électeurs à cause, dit-il, de son statut de « jon ». «  Des gens disaient dans notre commune que tant que je suis sur la liste, ils ne vont pas voter pour nous. Ils ne le disaient pas en ma présence, mais beaucoup de mes proches m’ont rapporté ces propos. Et, comme ils l’ont dit, notre liste n’a pas gagné », témoigne M. Camara, qui s’était présenté sous les couleurs de l’Union pour la république et la démocratie (URD), principal parti d’opposition.

Selon lui, au-delà d’un simple discours de campagne, les déclarations du député Mohamed Tounkara sont une réalité vécue dans les localités de la région de Kayes où l’esclavage par ascendance est pratiqué. « Dans tout le Kaarta, je ne connais aucun maire, ni député ayant le statut de “jon“ », ajoute-t-il.

« Ceux qui ont le statut de “jon“ ne peuvent devenir ni maires, ni députés. Bref, ils ne peuvent occuper aucun poste de responsabilité dans leurs localités d’origine », renchérit Cheick Oumar Yara, membre de l’Association anti-esclavagiste Gambana xu FEDDE. Présente au Mali, en Mauritanie et au Sénégal, cette association  plaide depuis 2017-2018 pour la fin des pratiques esclavagistes « défendues par certains sous le couvert de la tradition ». Un éveil de conscience qui passe mal auprès de ceux qui ont le statut de « noble ».

Indifférence du gouvernement

« En juillet, plus de 2 000 familles ont été déplacées et empêchées de cultiver des terres et d’accéder aux services sociaux dans les zones de Diéma, Nioro du Sahel et Yélimané, dans la région de Kayes, parce qu’elles refusaient de perpétuer des pratiques relevant de l’esclavage », indique l’Ambassade américaine dans son rapport 2019 sur la situation des droits de l’homme au Mali. Le même document précise que  certaines des victimes ont été frappées et maltraitées.

« Selon certains rapports, 66 villages ont décidé de forcer les personnes refusant les pratiques esclavagistes à quitter ces localités. La CNDH ainsi que d’autres organisations de défense des droits de l’homme ont condamné la situation et appelé le gouvernement à passer à l’action », précise le document.

Mais, sur le terrain, la donne n’a pas encore changé. Plus de 2 000 déplacés victimes de ces pratiques vivent encore dans le village de Mambry, à Kati, et d’autres à Bamako. Cela malgré que ces pratiques soient contraires à la loi et portent à atteinte à la dignité des personnes. Le gouvernement ferme les yeux et semble, estiment certains, « caresser les tenants de cette pratique dans le sens du poil ». « En mars 2019, le gouvernement a publié une déclaration mettant en garde contre cette pratique, mais sans prendre de mesures pour sanctionner la pratique de l’esclavage par ascendance », déplore l’Ambassade américaine au Mali.

Kariba Camara estime que cette situation arrange bien les élus, qui ont juste besoin d’électeurs pour atteindre leur ambition. « Les politiques, qui sont censés nous aider, préfèrent se ranger du côté des soi-disant nobles. La raison est que non seulement ils sont plus nombreux, mais aussi dans nos villages les gens ne votent pas par conviction. Le choix du candidat revient au chef du village, qui lui aussi est noble et veut perpétuer la pratique », déplore-t-il.

Source : Benbere

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