Mali : nos territoires, notre avenir économique

Pour Mohamed Maïga, ingénieur social intervenant sur les politiques socio-économiques de territoire, les territoires devraient être conçus comme des espaces d’enjeux économiques avec plus de libertés sociales aux populations locales.

 

Le territoire, selon qui nous sommes et ce qu’on y fait, peut avoir des approches toutes aussi différentes au premier regard. Pour un habitant, son territoire, c’est son lieu de vie. Pour une autorité locale, son territoire, c’est l’espace à travers lequel s’affirme et se limite son autorité. C’est également son territoire d’élection, donc de légitimité. Pour un entrepreneur, son territoire, c’est l’espace sur lequel son entreprise va rayonner ou l’espace sur lequel se trouve sa clientèle. La différence dans l’appréhension de la notion de territoire chez les acteurs précités en exemple a cependant des limites et une limite en particulier. L’économie du territoire.

L’économie locale est un point commun entre tous ces acteurs dans la perception du territoire. Ce qui n’est passez affirmé ou peu affirmé au Mali, c’est bien le fait qu’un habitant cherche toujours à mieux vivre économiquement sur son territoire, donc participer au marché économique locale. Pour l’autorité locale, la création d’un système de marché local doit être le premier enjeu socioéconomique local, car elle permettra à chaque citoyen d’être un « agent» ou acteur économique en référence aux travaux d’Armartya Sen. Pour le chef d’entreprise, il n’est plus à préciser que le territoire est un outil d’indentification de personne dans un but de rentabilité économique. Le territoire est donc économique. Il permet de créer de la valeur économique dans le but d’autonomiser et de faire mieux vivre ceux qui y habitent.

Cependant, le territoire économique devra, au préalable, être un territoire de libertés sociales (liberté d’opinion, d’éducation, de croyances, etc.). La notion de libertés sur le territoire est importante. Car la possibilité pour les populations locales d’accéder au marché économique local est liée, de façon intrinsèque, au degré de libertés dans la société. Dans une société locale où il y a plus de libertés sociales, il y a plus de possibilités économiques et plus d’autonomie dans l’accès au marché économique. A contrario, un système social avec peu de libertés sociales concentre une précarité économique et des obstacles d’insertion sociale. Il faudrait donc plus de libertés sociales sur nos territoires. On devrait donc commencer urgemment à percevoir nos territoires comme des espaces d’enjeux économiques et accorder plus de libertés sociales aux populations locales. C’est la meilleure manière de lutter contre la pauvreté.

Régionaliser nos territoires pour développer les capacités humaines locales et financières

La régionalisation est une phase plus approfondie dans le processus de réforme de la décentralisation et gestion des affaires publiques locales. Nous devrions tendre vers des régions économiques au centre du développement de nos territoires. Ousmane Sy soulignait qu’il était nécessaire de passer par trois étapes d’envergure : le renforcement de la légitimité et des pouvoirs de ses organes élus, le renforcement des capacités humaines et financières et le renforcement des moyens d’actions dans leur ensemble. Il s’agit là d’un triptyque autour de la notion du renforcement auquel j’ajoute la nécessité d’apporter plus d’autonomie décisionnelle surtout dans le domaine économique et sécuritaire de proximité.

La région doit devenir le centre de la réflexion économique et sécuritaire. Amartya Sen rappelle que la liberté est l’objectif du développement. Cette approche garde tout son sens en ce qui concerne la régionalisation au Mali. Donner plus de liberté aux individus et plus d’autonomie de gestion et de décisions aux régions permettent de tendre vers le développement dans toutes ses caractéristiques constituantes. Il est nécessaire de développer les capacités institutionnelles et structurelles locales afin de permettre le développement des capacités humaines locales. Cela voudrait dire, tout simplement, permettre à chaque institution préalablement et à chaque individu de prétendre à une existence économique sur le marché économique locale. En d’autres termes, donner à chacun sa chance. On peut librement appeler cela un processus d’autonomisation. Mais il faut le rappeler à chaque fois : ce processus ne marchera qu’avec des sociétés qui accordent plus de libertés. Supprimer les freins aux libertés individuelles, c’est tendre vers moins de précarités sociales et économiques. La place des régions, dans ce sens, est importante, car elle est fondamentalement structurelle. Elle est organisationnelle. Ces régions doivent être en mesure d’apporter, à leur tour, plus de libertés sociales, plus de possibilités économiques et donc plus d’autonomie.

Le développement local et la liberté

La liberté est un aspect essentiel dans tout processus de développement local pour deux raisons : toute avancée sociale est une avancée des libertés. Le jugement du progrès a un sens quand elle fait référence aux libertés sociales. Il s’agit donc ici d’une première raison qui est d’ordre évaluatif. La seconde raison, rappelée également par Amartya Sen, est de l’ordre de l’efficacité. En d’autres termes, tout individu doit être acteur de ce qui se passe sur son territoire. Il serait donc difficile d’évoquer le développement local sans évoquer le progrès et ce qu’il apporte comme possibilités à chaque individu dans l’affirmation de son opinion et de son action.

Dans le schéma malien, la performance des « croyances » locales en référence à certains travaux d’Emile Durkeim peut être perçue, pour différentes raisons, comme des freins importants au progrès individuel et social.  Elles ne devraient donc pas être combattues au risque d’aller sur des blocages idéologiques. Cependant, elles doivent être négociées et contenir nécessairement des doses de libertés, afin de permettre la participation de chacun à  la création d’un marché économique locale accessible à tous. Avec toujours l’objectif de combattre la précarité individuelle et collective locale.

Au Mali, il s’agit d’un sujet d’actualité. La gouvernance des territoires par des « radicaux religieux » ne permettra pas d’atteindre les objectifs du développement. En d’autres termes, elle constitue un obstacle majeur pour l’accès aux libertés individuelles nécessaires pour combattre la précarité. Cependant, le dialogue avec ces derniers doit intégrer cette dimension « développement » dans le sens d’amoindrir les effets des croyances sur les individus et la société en accordant plus de libertés.


Mohamed Maïga est ingénieur social, intervenant sur les politiques socio-économiques de territoire. Il est le directeur de Aliber Conseil.

Source : benbere

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