Hommage aux doyennes !

Difficile de célébrer la journée internationale du droit des femmes, sans rendre hommage à Aoua KEITA Sira DIOP, ces deux figures emblématiques de la lutte pour le doit des femmes, en général, et ceux des femmes africaines, en particulier. L’évocation de leurs parcours et les combats qui les ont émaillés représentent une école pour la jeune génération écartelée souvent entre des courants contraires.

Aoua KEITA, le destin d’une Amazone

Mme Aoua KEITA naquit en 1912 à Bamako. Elle était la fille de Mariam COULIBALY et de Karamoko KEITA, originaire de Kouroussa (Guinée Conakry). Ce dernier était un ancien combattant de l’armée française employé ensuite dans l’administration coloniale. Ce qui lui permettait d’entretenir sa large famille (il était polygame).

En 1923, il inscrivit sa fille Aoua à l’école de Bamako, pour complaire à l’administration qui avait du mal à recruter des élèves pour l’école de filles locale. Il se signalait ainsi par une certaine capacité à dépasser la distribution traditionnelle des rôles entre femmes et hommes qui ne fut d’ailleurs pas du goût de tous, à commencer par la propre mère de Aoua qui désapprouvait ostensiblement cette transgression des usages.

Après ses études primaires à l’École des filles, Aoua KEITA alla au Foyer des  métisses de Bamako, puis poursuivit ses études à l’École africaine de médecine et de pharmacie de Dakar, de 1928 à 1931 où elle obtint un diplôme de sage-femme et devenue l’une des premières femmes d’Afrique noire à obtenir ce diplôme. Elle exerça d’abord à Gao, puis à Tougan, Kayes, Niono, Kokry, Markala et Nara.

Elle épousa en 1935 Daouda DIAWARA, un médecin auxiliaire qu’elle avait rencontré à l’école de Dakar. Ils se séparèrent en 1949 après quatorze ans de vie commune, sous pression familiale dans la mesure où ils n’étaient pas parvenus à avoir un enfant. Elle se maria plus tard une seconde fois avec Djimé DIALLO expert de l’UNESCO à l’École normale supérieure au Congo Brazzaville.

Honorable Aoua KEITA

Une panafricaniste de conviction, Mme Aoua KEITA était présente à toutes les rencontres des pères de l’indépendance. Femme politique confirmée, malgré les pesanteurs sociales, Mme Aoua KEITA a su se faire attendre par sa détermination.  Ainsi, en 1958, elle entre au bureau politique de l’US-RDA. Elle est alors la seule femme, et est nommée membre du Comité constitutionnel de la République soudanaise. Elle est élue en 1959 députée de la Fédération du Mali, à Sikasso. C’est alors la première femme malienne à être élue à ce poste. À ce titre, elle participe à l’élaboration de la constitution de la fédération. Elle jouera un rôle politique de premier plan, au côté du président Modibo KEITA jusqu’au coup d’État militaire de 1968. Elle a été également la seule femme à prendre part, en 1962, à l’élaboration du Code malien du mariage et de la tutelle qui fut une grande avancée pour les droits de la femme au Mali. Sa forte personnalité, sa vivacité, son charme, sa noblesse, rayonnaient autour d’elle. On ne pouvait pas l’approcher sans en être aussitôt séduit. En effet, Aoua KEITA a été une militante politique, combattant pour l’indépendance du Soudan français. Dès 1946, elle rejoint l’Union Soudanaise-Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA).

Une panafricaniste hors pair !

En 1950, elle est mutée à Gao. Elle renonce l’année suivante à la nationalité française et se trouve toujours à Gao lors des élections de 1951, alors que tous les autres fonctionnaires militants de l’US-RDA ont été mutés à l’approche des élections par l’administration coloniale qui soutient le camp adverse. Aoua KEITA joue alors un rôle important dans la victoire du parti à ces élections et la transparence du vote, n’hésitant pas à s’opposer publiquement aux officiers français qui tentaient d’en entraver le bon déroulement. À la suite des élections, elle est donc mutée à son tour pour « raisons disciplinaires ». Elle est envoyée à Bignona (Casamance) au Sénégal, puis à Nara, et enfin à la maternité de Kati, près de Bamako. Elle y fonde le Mouvement intersyndical féminin qu’elle représente, en 1957, au Congrès constitutif de l’Union générale des travailleurs de l’Afrique noire.

Militante syndicale, elle est élue au bureau des Syndicats des travailleurs du Soudan en 1957. Son militantisme aura comme conséquence ses multiples mutations pour raison disciplinaire.

Elle représente le Mali en juillet 1959 à la rencontre constitutive de l’Union des femmes de l’Afrique de l’Ouest, à Bamako.

Elle est à l’origine de la Journée Internationale de la Femme Africaine (JIFA), promulguée par l’ONU et l’OUA le 31 juillet 1962.

En 1962, elle participe à la conférence des femmes de Dar Es Salam qui donna naissance à l’Organisation panafricaine des femmes.

En 1975, elle publie Femme d’Afrique. La vie d’Aoua Keïta racontée par elle-même.

Le coup d’État militaire perpétré par Moussa TRAORE en 1968 marque la fin de sa carrière politique. Elle quitte alors le Mali et rejoint son second mari en République du Congo en 1970. Elle ne rentra au Mali qu’en 1979, et mourra  un an plus tard à l’âge de 67 ans.

Mme Sira DIOP, une syndicaliste au service des femmes

Née SAKILIBA SISSOKO, Madame DIOP est native de la ville de Ségou – fief des Bambaras- bien qu’elle soit de l’ethnie Kassonké -plutôt basée dans la région de Kayes- est une sortante de l’école des institutrices de Rufisque.

Première bachelière du Mali,  Mme  DIOP Sira SAKILIBA est la première lauréate du concours des inspecteurs d’enseignement primaire en 1961, mais aussi la première Directrice malienne du prestigieux lycée des jeunes filles de Bamako qu’elle dirigea de main de maître sinon de maîtresse, car elle était une enseignante hors pair. Elle était de cette classe de femmes africaines des indépendances qui décidèrent de jouer un rôle dans le développement des jeunes États naissants en mettant sur pied des organisations féminines non seulement au niveau national, mais aussi africain. Comme la Guinéenne Jeanne Martin CISSE, Tanti Sira DIOP n’a pas ménagé ses efforts pour les droits des femmes africaines en poussant les femmes à s’organiser pour militer dans des associations féminines, mais aussi dans les syndicats et les organisations non gouvernementales.

C’est après avoir épaulé à suffisance le président Modibo KEITA et ses compagnons de lutte pour une Afrique libre, qu’elles se sont battues pour la journée internationale de la femme africaine, promulguée par l’ONU et l’OUA le 31 juillet 1962.

Elle a été membre fondatrice de l’Intersyndicale des femmes travailleuses du Soudan, présidente de l’Union des Femmes Travailleuses du Soudan (UFS), présidente du Congrès constitutif de l’Union des femmes de l’Afrique de l’Ouest (UFAO).

Ainsi, la popularité et le respect pour Sira DIOP sont le résultat d’une vie entière consacrée à l’émancipation de la femme. Le féminisme pour elle ne se résumait pas à voir en homme l’ennemi usurpateur des droits de la femme, mais elle était plutôt adepte de la complémentarité, pensant que l’éducation de la jeune fille était le meilleur des moyens pour lutter pour l’égalité. « Ce n’est pas une lutte contre les hommes. Ici, c’est la promotion des femmes », disait-elle à chaque fois qu’elle participait à une activité de promotion des femmes.

PAR CHRISTELLE KONE

INFO-MATIN

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