Le Journal officiel du Mali des années 1960 à 1968: Les actes fondateurs d’un jeune État

Le Journal officiel d’un pays reste un document d’une importante valeur. Il est une partie de la mémoire de l’état en un temps donné. à ce titre, il constitue un matériau de première main pour les chercheurs de différents bords. Nous avons feuilleté celui du jeune état du Mali dont le président Modibo Kéita et ses compagnons ont posé les bases. Ce survol nous a permis de tâter le pouls de cette œuvre dans deux domaines essentiels : l’armée et l’école.

 

Il faut situer le contexte politique, celui de la cassure burlesque de la très éphémère Fédération du Mali ; tentative de construction d’un destin commun entre le Mali et le Sénégal. Le 25 juillet, Modibo Kéita a nommé le colonel Abdoulaye Soumaré, chef d’État-major de l’armée fédérale. Cette nomination a été contestée par Léopold Sédar Senghor. Et depuis, rien n’a pu être comme avant. La Fédération éclate. Modibo Kéita, lui-même, arrive à regagner Bamako dans une ambiance où le nationalisme était à cran. Le 22 septembre, le Soudan est devenu le Mali et tout va s’accélérer. Le pays n’a que des priorités.
La défense nationale, la construction d’une armée immédiatement opérationnelle a été de cette vision. A travers les actes posés, on remarque rapidement le rappel à l’activité du capitaine de réserve Mohamed Ould Issa, « vu les nécessités de services », à travers le décret N° 248 du 26 septembre, soit quatre jours seulement après la proclamation de l’indépendance. L’acte est consigné dans le Journal officiel du 15 octobre 1960. Le même jour, « l’État-major territoriale de la République soudanaise a changé de dénomination, devenant « l’État-major de l’Armé du Mali ».
Le 27 septembre, le sous-lieutenant Abdoulaye Ouologuem est nommé aide de camp à la présidence du gouvernement du Mali. Il sera le seul aide de camp du président Modibo Keita jusqu’au coup d’état du 19 novembre 1968. Les décrets convoqués dans cette semaine sont décisifs. Il faut juste rappeler qu’un mois avant, soit le 5 août 1960, le Soudan avait concrétisé son engagement pour la création de l’armée fédérale à travers la désignation de ses représentants qui étaient Mamadou Diarra (représentant fédéral, Oumar Ly (directeur de cabinet du vice-président), capitaine Pinana Drabo, capitaine Sékou Traoré et le lieutenant de gendarmerie Balla Koné. Le capitaine Sékou Traoré était l’agent de liaison avec l’état- major basé à Dakar.

C’est au nom de cet engagement que le Soudan a désigné le médecin, Koniba Pléah, pour participer à la mission des médecins de la Fédération du Mali au Congo, à la suite des militaires commandés par le colonel Mademba Sy. Cette équipe était composée de Dr Amadou Sy, du ministère de la Santé et des Affaires sociales du Sénégal, de Dr Iba Mar Diop, ministère de l’éducation et de la Santé du Mali. Le Dr Amadou Sy en était le chef, comme le témoigne le décret N° 60-201 du 3 août 1960. L’article 3 de ce décret précise que cette équipe de civils sera astreinte à la discipline militaire, portera la tenue militaire. Le décret a aussi conféré « à titre fictif les grades suivants : capitaine pour le chef de mission et lieutenant pour les autres » (Journal officiel du 15 septembre 1960). C’est le début d’une aventure fabuleuse pour l’armée nationale avec de grands noms : général de brigade Abdoulaye Soumaré, capitaines Pinana, SékouTraoré, Tiémoko Konaté, lieutenants Demba et Malick Diallo, sous-lieutenant Boucary Sangaré. Le Journal officiel du 1er octobre 1960 est une pièce essentielle dans la compréhension des actes qui ont préparé l’indépendance du pays.

L’école
La République a renforcé les internats. Beaucoup de cadres de cette époque en sont nostalgiques. L’Arrêté N° 296 du 3 avril 1961 apparaît comme la marque d’attention de l’état envers ses futurs cadres. Cet arrêté paru dans le Journal officiel du 15 avril 1961 traite de la question du « menu type applicable aux internats scolaires de la République du Mali ». On y lit trois points essentiels à savoir le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner.
Le petit déjeuner devait être constitué de bouillie de riz sucrée, café, nescafé ou cacao, pain. Le déjeuner et le dîner comprenait des entrées et des desserts. Le hors d’œuvre était composé de salade de crudités diverses suivant les saisons, de macédoine de légume en salade, de pomme de terre en salade, de haricots ou lentilles en salade, de patates douces en salade, de sardines, de thon. Le plat de résistance était composé de légumes, riz, ignames, patates, maniocs, pommes de terre, légumes secs, couscous de mil ou de fonio, maïs. En plus, de la viande (bœuf ou mouton, poisson ou poulet). Enfin le dessert était composé de fruits du pays suivant les saisons, beignets locaux au sucre, nougat local aux arachides.
La quiétude était à ce prix. La qualité de l’enseignement aussi. Malgré tout, les grèves étaient fréquentes pour dénoncer la qualité des plats servis.
L’état était aussi très regardant dans l’attribution des bourses et le suivi des étudiants à l’étranger. Les bourses étaient la récompense du mérite : des sans-bourses, des bourses entières d’internat, des bourses entières d’externat et d’autres catégories pour l’extérieur. Ces bourses étaient renforcées, dans certains cas, par les appuis issus de la coopération internationale. Ces appuis ont permis au Mali d’envoyer des étudiants dans plusieurs pays. Certains, au retour, ont eu une carrière internationale exceptionnelle.

Alioune Blondin Bèye, inspecteur de police
Il est mort brutalement dans un accident d’avion en Côte d’Ivoire, le 26 juin 1998 alors qu’il était le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Angola. Avocat, enseignant, plusieurs fois ministres, peu de Maliens savent qu’au départ de sa carrière professionnelle, il était inspecteur de police. Le Journal officiel du 15 juillet 1962 parle de lui, à travers un congé de formation dont il a bénéficié, le 29 juin 1962. On y lit exactement ceci : « M. Bèye Alioune Blondin, assimilé à un officier de police adjoint, en service au commissariat du premier Arrondissement de Bamako, est, sur sa demande, mis en congé sans solde pour la durée de ses études à poursuivre en France… ».
Dans le même journal, on découvre d’autres décisions le concernant, notamment la Décision du 26 juin 1962, pour le renouvèlement d’une bourse de catégorie D dont il bénéficiait en tant que « bachelier précédemment inscrit au lycée de Sémur-en-Auxois pour la reprise de ses études dans l’enseignement supérieur ». Un an plutôt, il avait bénéficié d’une bourse dans le même lycée avec la mention suivante : «mener des études de médecine » (Décision du 6 novembre 1961). Curieux destin !
Il y a eu plusieurs Blondin, symboles de la marque d’une administration qui a misé sur la formation des jeunes. On retrouve les traces de Yambo Ouologuem, au Lycée Édouard Henri, à Lyon, Massa Makan Diabaté, Sciences Po, Strasbourg ; Ouattara Tiégoué, Faculté de Droit de Paris ; Sayon Fofana, Montpelier ; Mahamar Oumar, Lycée Fermat, Toulouse ; Rokiatou Ndiaye, Strasbourg ; Djibril Diallo, Faculté des Sciences, Orssay, Paris, Birama Diakité, Fernand Traoré, N’Golo Traoré, tous en Véto à Alfort (Journal officiel du 15 août 1962).

Les musiciens et les plasticiens
L’état a pris conscience de la formation des musiciens pour sortir du tintamarre et de l’improvisation. En 1962, il a envoyé des jeunes dans les plus prestigieuses institutions reconnues dans le domaine, notamment en France. Il en est ainsi de Taraoré Moussa, alias Tarass, au Conservatoire de musique de Dijon, Cheick Samaké, dans le même conservatoire, pour apprendre comment enseigner la discipline, Mamadou Diallo au Conservatoire de Toulouse. Une année après, sont partis à Cuba une dizaine de jeunes maliens. La Décision du 3 octobre 1964 qui leur alloue des subsides en témoigne dans le Journal officiel du 1er mars 1965. Dramani Coulibali, Aliou Traoré, Salif Traoré, Moustapha Sacko, Tiécoura Ouattara, Abdoulaye Diarra, Issa Boncana, Mamadou Tolo, Kalilou Traoré, Bah Tapo y ont appris la musique. Ils y ont formé l’un des groupes les plus prestigieux, « Las Maravillas ». Moussa Dembélé, et Boubacar Kéita étaient envoyés aux Beaux arts en Italie.

Les plans de carrière
Ici apparaît l’humilité des dirigeants. Le président Modibo Keïta était un instituteur. Il aurait pu se faire nommer professeur ou tout autre cadre dans une catégorie très élevée. à la lecture, on s’aperçoit que jusqu’en 1961, il n’était pas au plafond de sa catégorie. L’arrêté du 24 février 1961 a traité de l’avancement des instituteurs principaux, instituteurs adjoints, …. On y lit que Marcel Dembélé a été le seul à avoir été proposé pour être Instituteur principal. Il était suivi de Réné Chevreux. Pour les instituteurs ordinaires, on retrouvait pour l’accession à la première classe Modibo Kéita en compagnie de Makan Traoré, N’Faly Sissoko, Diakalidia Coulibaly, Amadou Babacar Sène, Bilaly Sissoko et Lassana Sacko.
Pour la deuxième classe, on retrouvait Hadi Kontao, Jeanette Haïdara, épouse de Attaher Maïga, Boubacar Bathily, Bouragué Sangaré, Charles Jondot.
Mahamane Alassane Haïdara, le président de l’Assemblée nationale, n’accédait à la troisième classe que par avancement normal, « par ancienneté ». L’épouse du président Modibo Kéita, Mariam Trawélé, monitrice ordinaire de 2è classe, a été proposée pour accéder à la première classe de sa catégorie, cette année-là (Journal officiel du 15 avril 1961). Modibo Kéita n’a accédé à la catégorie « hors classe » qu’en 1965 (Journal officiel du 1er avril 1965).
C’est vrai que la progression dans le corps des enseignants n’était pas chose facile. Des instituteurs teigneux et brillants ont gravi la montagne. Certains en passant le baccalauréat et être reclassés dans la hiérarchie des instituteurs. Tel fut le cas de Amadou Seydou Traoré dit Djicoroni. Amadou Seydou avait été révoqué de la Fonction publique, du fait de ses activités politiques et syndicales. Il a été rappelé à l’activité, le 26 août 1960, après avoir réussi au bac. à la même date, d’autres jeunes instituteurs diplômés de l’École normale William Ponty de Sébikotane ont débarqué avec leur bac. Ce sont Danséni Bayo, Sinko Coulibaly, Sidiki Diarra, Zégué Ouattara, Yaya Goita et Sagaidou Fily Maïga (Journal officiel du 15 septembre 1960). Sinko, Sidiki, et autres Alphonse Oya Démbélé, Soumana Mamadou Maiga finiront par accéder à l’École normale supérieure de Bamako.

Les examens scolaires
Le Journal officiel donne des informations sur les examens scolaires. En 1962, (Journal officiel du 5 août 1962), la session du Brevet élémentaire du premier cycle (BEPC) a eu comme lauréats plusieurs futurs gestionnaires de l’état tels que feu Abdallah Mahamane, Bandiougou Gakou, Feu Mamadou Kaba, Ibrahima Kéita, alias IBK, Nyombi Mory Kéita, Danioko Mâ Nassa, Nakounté Diakité, Toumani Diallo, Agounon Djimdé (aujourd’hui retraité à Koro), Mohamed Lamine Traoré, Aminata Maïga, Youssouf Sylla (Zapata), Lalla Sy, Eglez Ag Foni, Ibrahim Ag Youssouf, Mamadou Togo (actuel président de Ginna Dogon), Oumar Konaré (futur Alpha Oumar Konaré).
La génération de 1966 du DEF est instructive. On y retrouve Amadou Toumani Touré, orienté en section Histoire-Géographie de l’École normale secondaire. La même année voit Diola Bagayoko, le futur physicien émérite, faire son entrée au Lycée en série sciences exactes. Jacqueline Nana (ministre et Député) est orientée en Lettres classiques, la même année. C’est le même circuit pour Cheibane Coulibaly (Kati Ville I), Nabet dit Vincent Coulibaly (Séminariste LPK), Soumana Doumbia (Mamadou Konaté B), Oumar Kanouté (Poudrière A), Souleymane Yacouba Sidibé (Bagadadji II), Samba Soumaré (Nara) ( Journal officiel du 15 septembre 1966).
La dernière génération qui a retenu notre attention était à la première partie du bac en 1968, l’année du coup d’état. Diarougou Sangho, Many Camara, Soumana Sacko, Yata Ouattara, Daba Diawara, Moussa Konaté.
Cette promotion a eu des destins croisés. Diarougou est devenu un journaliste talentueux ; Many Camara est devenu un brillant sociologue, après des études de philosophie à l’école normale supérieure. Daba Diawara a laissé un nom et une réputation à l’université de Dakar avant d’entamer une réjouissante carrière administrative. Yaya Ouattara a suivi son cursus à l’École normale supérieure avant d’embrasser une carrière de gendarme après son passage à l’École militaire inter armes. Soumana Sacko, après les lettres classiques, a suivi un cursus éloquent à l’École nationale d’administration. Il s’est envolé ensuite pour les États-Unis. Il sera le Premier ministre de l’après-Moussa Traoré.
Revenir sur les premières années de l’indépendance du Mali, équivaut à faire une revue émouvante de l’effort consenti par un pays conscient de ses capacités internes. Le Journal officiel de la période a été réalisé dans des conditions techniques difficiles ; mais il a eu le mérite d’exister et de nous permettre de voir les plis du temps.
D’emblée, on remarque la probité et la dimension éthique des responsables de cette période. Apparaissent en filigrane les destins de plusieurs cadres de ce pays, dans leurs succès et leurs échecs.
Certains cadres ont été « exclus » des établissements qu’ils fréquentaient pour « indiscipline notoire ». Des dames ont été exclues du Lycée de Jeunes filles, non pas pour insuffisance de résultats, mais parce qu’elles se sont mariées. Il était bien entendu qu’il s’agissait d’un lycée pour jeunes filles et non pour jeunes femmes.
Nous avons parlé du cas de Abdoulaye Ouologuem, le seul et unique aide de camp du président Modibo. Promu à la sécurité du président Modibo Keita, en 1960, il « n’était » que capitaine huit ans plus tard.

Source : L’ESSOR

Suivez-nous sur Facebook sur