Cour Constitutionnelle : Dernier baroud d’honneur de Manassa ?

Un Communiqué de presse le 1er juin 2020 ! Un autre Communiqué de presse le 3 juin 2020 ! Et puis quoi d’autre ? A la Cour constitutionnelle, la manifestation patriotique déclenchée le vendredi 5 juin 2020 pour demander la démission du Président IBK en échec total de gouvernance du pays, a semé la peur panique. Comme une agence de communication gouvernementale improvisée, les communiqués de Manassa DANIOKO sous le couvert de la Cour constitutionnelle ont depuis, commencé à rivaliser avec ceux du ministre Porte-parole du gouvernement. Dernier baroud d’honneur ? Energie du désespoir ? Toujours est-il que ces communiqués révèlent la carence démocratique d’une Présidente de Cour constitutionnelle trempée dans le complot à l’allure de coup d’Etat, d’un mouvement de rébellion contre les institutions de la République. Absolument rien dans la Constitution et la loi organique qui les dotent de compétences n’autorise la Présidente Manassa et sa « cour » à s’agiter ainsi comme des marionnettes téléguidées, à la solde des intérêts claniques et familiaux du régime moribond de IBK.

La Cour n’est pas la gardienne de la Constitution. Cette mission politique de première importance relève plutôt du Président de la République en vertu de l’article 29 de la Constitution où il est stipulé ainsi qu’il suit : « le Président de la République est le gardien de la Constitution…. Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat ». La dévolution au seul Président de la République de cette mission de gardien de la Constitution est confirmée dans son serment prévu à l’article 37 où il « jure de … respecter et de faire respecter la Constitution ». Une telle prérogative n’est pas du ressort de la Cour constitutionnelle qui n’exerce en la matière aucune compétence qui soit concurrentielle de celle du Président de la République.

Simplement parce qu’une manifestation est programmée quel qu’en soit l’objectif, la Cour constitutionnelle n’avait pas à soi-disant « condamner ces agissements attentatoires à la cohésion sociale » ni « s’insurger contre toutes velléités de remise en cause de la forme républicaine et de la laïcité de l’Etat ». Il ne lui revenait pas non plus, n’étant pas le Président de la République ni le Premier ministre, d’« engager le gouvernement à faire respecter scrupuleusement……»La Cour constitutionnelle assure comme prévu à l’article 85 de la Constitution, essentiellement les missions de juge de la constitutionnalité des lois, de garante des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques, d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics et de juge du contentieux électoral de la présidentielle et des législatives. Dans l’article 93 de la Constitution relatif au serment de ses membres, il est précisé qu’il jure de « se conduire en digne et loyal magistrat ». Il en résulte que la Cour constitutionnelle n’est que la « gardienne » juridictionnelle de la Constitution dans des conditions et selon des modalités précises limitativement fixées par la Constitution et la loi organique relative à la Cour. Cela signifie que les missions constitutionnelles de la Cour constitutionnelle ne peuvent et ne doivent s’exercer que dans le cadre strict des textes de la République. Le Mali est un Etat de droit. Cette exigence démocratique fondée sur l’impératif de sécurité juridique, est encore plus évidente s’agissant d’une institution judiciaire comme la Cour constitutionnelle. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle ne saurait assurer, au titre de l’article 85 de la Constitution, une quelconque mission de « veille et de garantie juridictionnelle de la Constitution » et de « garantie des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques » qu’en vertu des procédure expressément prévues à cet effet par les textes de la République qui fixent son cadre juridique : la Constitution, la Loi n°97-010 du 11 février1997 modifiée portant loi organique déterminant les règle d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle, le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du 28 août 2002, le Décret n°94-421/P-RM du 21 décembre 1994 portant organisation du Secrétariat général et du greffe de la Cour constitutionnelle.

 

L’incitation à la violence d’Etat contraire aux missions de Manassa DANIOKO

Le Communiqué du 1er juin 2020 n’est rien d’autre qu’un appel de la Cour constitutionnelle à l’usage par le gouvernement de la violence d’Etat contre une manifestation dont l’appréciation de la constitutionnalité ou de la légalité ne relève aucunement d’elle.

La Cour constitutionnelle ne dispose que de compétences d’attribution qui sont strictement déterminées par la Constitution. A rebrousse-poil des dérives extra constitutionnelles de sa Présidente, elle ne peut agir essentiellement que par arrêts, avis et constats selon des procédures précises. Manassa DANIOKO devra répondre des dérives qui résultent de ses agitations intempestives sans fondement juridique, qui ne contribuent qu’à saper les fondements même de l’Etat de droit. Le Communiqué du 1er juin 2020 dans lequel la Cour prend fait et cause pour IBK et son clan familial, déroge à tout l’arsenal juridique fondateur de l’institution. A travers ledit communiqué, la Cour constitutionnelle se reconnait le droit d’inciter le gouvernement à l’usage de la violence d’Etat contre l’exercice démocratique d’une liberté publique. Or, la démission du Président de la République n’est pas un tabou en République du Mali. La Constitution elle-même l’envisage de manière expresse en son article 36 qui prévoit la vacance de la Présidence de la République pour « quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif ». Une telle demande, en soi, n’a rien « d’insurrectionnel, de subversif, de séditieux », autant d’expressions d’un autre âge usitées par Manassa DANIOKO pour étouffer l’exercice d’une liberté publique garantie par la Constitution. Demander la démission du Président de la République n’est ni un sacrilège ni un crime de lèse-majesté en République du Mali.

Par voie de conséquence, qualifier priori « d’insurrectionnelle, de subversive, de séditieuse », la demande de démission du Président IBK et de son régime, ne procède que du parti pris flagrant de la Cour constitutionnelle qui traduit son manque total d’indépendance en violation de la loi organique n°97-010 du 11 février 1997 modifiée relative à ses règles d‘organisation et de fonctionnement. Nous rappelons à cet égard que dans le serment prévu à l’article 2 de la loi auquel chaque Conseiller de la Cour est astreint, il est stipulé : « Je jure de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge dans le strict respect des obligations de neutralité et de réserve et de me conduire en digne et loyal Magistrat ».Dans le même sens, l’article 8 de la même loi organique dispose que « les membres de la Cour Constitutionnelle ont pour obligation générale de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions…».

 

Un honteux parti pris discréditant

L’incompétence de la Cour constitutionnelle mise au service de la courtisanerie la conduit naturellement, au mépris de loi organique n°97-010 du 11 février 1997 modifiée, à ne poser quasiment que des actes qui « compromette l’indépendance et la dignité de sa fonction ».

Son parti pris est adossé à une lecture sélective grotesque de la Constitution. La Cour y extirpe ainsi, pour les agiter comme des chiffons rouges, les articles suivants : l’article 24 relatif au devoir de respect en toute circonstance de la Constitution ; l’article 25 relatif au caractère de république indépendante, souveraine, indivisible, démocratique, laïc et social du Mali ;l’article 28 relatif aux partis politiques qui concourent à l’expression du suffrage et respectent les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie, de l’intégrité du territoire, de l’unité nationale et de la laïcité d l’Etat. Il ne résulte toutefois d’aucun de ces articles cités dans le Communiqué, une quelconque interdiction constitutionnelle d’appel à la démission du Président de la République.

Au mépris de l’obligation de « neutralité et de réserve » et « d’abstention de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions » qui pèse sur la Cour, le Communiqué du 1er juin 2020, met sous le boisseau, les dispositions de la Constitution qui le couvre de honte au regard des exigences de la démocratie et de l’Etat de droit. Il en est ainsi du Préambule qui engage le peuple souverain du Mali à « affirmer sa volonté de préserver et de renforcer les acquis démocratiques de la Révolution du 26 Mars 1991 » et à « défendre la forme républicaine et la laïcité de l’Etat ». On pourrait également lui opposer l’article 4 qui stipule que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi ». On pourrait enfin évoquer l’article 121 tripatouillé par le Communiqué sélectif, qui dispose que « le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution » ; que « la forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause » et que « le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat ».

 

Grossière interprétation de la « forme républicaine de l’Etat » !

L’article 121 de la Constitution est ainsi libellé : « Le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution.

La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat.

Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien ».

L’essence même de cet article 121 de la Constitution est mal perçue par la Cour constitutionnelle du fait du voile de l’incompétence caractérisée qui l’aveugle et qui est mise au service de la courtisanerie. L’interprétation de l’article 121 de la Constitution à travers le Communiqué du 3 juin 2020 pourrait se résumer ainsi qu’il suit. « Si le peuple a droit à la désobéissance civile, c’est à la seule condition de préserver la forme républicaine de l’Etat. Or, la forme républicaine de l’Etat n’étant pas remise en cause, on ne saurait invoquer la désobéissance civile ». Cette interprétation de l’article 121 est totalement farfelue. De manière ridiculement évidente, la Cour se plante sur la signification véritable de l’expression « forme républicaine de l’Etat ». Elle interprète littéralement, sans en comprendre la portée réelle surtout dans le contexte politique du Mali, la forme républicaine uniquement comme celle qui s’oppose à la forme « monarchique ». Or bien d’avantage qu’une simple forme de régime ou d’Etat, la « forme républicaine de l’Etat » exprime un corps de valeurs démocratiques excluant la concentration des pouvoirs entre les mains d’un individu et comprenant entre autres la garantie des droits fondamentaux et des libertés publiques de citoyens. Ces principes se trouvent actuellement foulés au pied par le régime du Président IBK qui, à travers un système de confiscation du pouvoir par son clan familiale pesant plus sur la République que dans un Etat monarchique, a institué un État à la gouvernance catastrophique qui piétine quotidiennement les droits fondamentaux et les libertés publiques des Maliens. Du coup, la forme républicaine de l’Etat est remise en cause par le régime. Le régime dit républicain du Mali n’est pas démocratique et cache une dictature habillée. La République étant inconcevable sans respect de la démocratie, la « forme républicaine de l’Etat » renvoie nécessairement à la souveraineté du peuple, puisque l’action des gouvernants n’a de sens qu’au service du peuple.

L’appel à la démission du Président de la République participe justement de l’esprit du 2ème alinéa de l’article 121 fondé sur la souveraineté du peuple détenteur de l’autorité suprême au sein de l’Etat. L’appel à la démission du Président de la République est une alternative démocratique au coup d’Etat ou putsch prohibé par le dernier alinéa de l’article 121 en tant que « crime imprescriptible contre le peuple malien ». Seul le peuple est souverain !

Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences

Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

Source: Journal L’Aube-Mali

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