Carnet de voyage , Bamako-Gao : Récit d’une odyssée

La route menant de la capitale à la Cité des Askia est longue de près de 1200 km. Elle traverse une grande partie du pays à travers les Régions de Ségou, Mopti, Tombouctou. Un voyage chaotique mais enrichissant

 

La veille de la fête de la Tabaski, beaucoup de personnes prennent la route aller fêter en famille souvent au plus profond du pays. Nous avons décidé d’aller fêter auprès des parents à Gao. En route pour un trajet d’au moins 48 heures, notre autocar fait une halte à Niamana, le poste de contrôle à la sortie de la « Cité des trois caïmans ». Certains voyageurs effectuent la prière de l’aube à la va-vite et nous reprenons la route. Les histoires d’attaques sur la route animent les discussions dans le véhicule.

Marché ambulant. A peine le car s’éloigne-t-il du poste de contrôle qu’une dame surgit dans l’allée. Elle s’adresse aux passagers à la cantonade. « J’ai un produit exceptionnel à vous présenter. Une pommade qui soigne 20 maladies», lance la bonne dame. Pendant plusieurs minutes, elle vante les bienfaits de son « baume magique ». Des passagers ne tardent pas à manifester leur intérêt pour le produit. Notre vendeuse fait une bonne affaire.

La dame est imitée un peu plus tard par un homme qui évoque sans tabous, dans un discours bien rôdé, des maladies ayant trait à la sexualité. Diarra, se fait-il appeler, se moque visiblement du malaise que son discours cru provoque chez certains voyageurs. Perspicace et avec des métaphores grivoises, il parvient à arracher un sourire à la plupart des gens.

Il n’y a pas que les produits médicamenteux en vente. Dans les gares routières et les postes à l’entrée des villes, des vendeurs proposent des œufs, des fruits, des gâteaux. Ces jeunes filles, pour la plupart, peuvent faire preuve d’une témérité remarquable. N’hésitant pas à monter dans les cars.

Ségou et ses balanzans. De part et d’autre du ruban noir du goudron, le paysage offre un tableau merveilleux de verdure à perte de vue, en cette période d’hivernage. La Région de Ségou est spécifique par sa végétation caractérisée par la multitude de balanzans et de baobabs. La légende dit que le dernier arbre a été planté à l’envers. Mais pendant la saison des pluies, même les baobabs arborent un feuillage de verdure.

Au fur et à mesure que le véhicule s’enfonce dans le pays profond, le voyageur peut mesurer l’étendue du territoire national et les potentialités naturelles dont il regorge. Dans les Régions de Ségou et Mopti, d’immenses étendues verdoyantes s’étendent à perte de vue. La vie au quotidien s’offre à la vue : des femmes qui pilent les grains en groupe, des enfants occupés à jouer au bord des marigots, des animaux (chevaux, ânes, moutons, boeufs) se délectant des générosités de la nature. Sur le plan architectural, les maisons sont majoritairement en banco. Extraordinaire illustration du génie et du savoir-faire du Mali en matière de construction traditionnelle, des maisons et des cases en banco tiennent débout tout près d’immenses mares remplies d’eau de pluie. Preuve que ces constructions, qui paraissent rudimentaires, résistent même aux plus fortes quantités de pluie ou autres intempéries.

Sévaré, le carrefour. Après 10 heures de route, nous voilà à Sévaré. Cette ville apparait comme une frontière imaginaire entre le Nord et le Sud du Mali. Elle présente un visage plus développé en terme d’infrastructures par rapport aux autres villes plus au nord. La position de carrefour de la ville est un atout non négligeable. Elle lui confère une riche diversité culturelle, linguistique et ethnique. A la gare routière de Sévaré, les vendeurs de produits en cuir ou de viande grillée ont l’habitude d’interpeller les clients dans au moins trois langues. Ne dit-t-on pas que le client est roi ? Ici, les conversations passent du bamanan au peulh puis au songhay voire au français entre les mêmes interlocuteurs.

La gare routière de Sévaré est célèbre pour ses pickpockets, capables des plus subtils larcins. A la sortie de la gare, un mouvement de foule brusque se crée. « Il est mort ! Il est mort ! », s’écrient certains passagers. La foule s’est massée pour lyncher un homme. Le malheureux baignant dans son sang aurait essayé de subtiliser le téléphone d’un voyageur dans les toilettes. La victime est arrivée à se défendre et à attirer l’attention de la foule. Celle-ci ne se fait prier pour appliquer sa sentence dans ce genre de situation. Heureusement, les sapeurs-pompiers sont venus secourir le présumé voleur avant que la foule ne commette l’irréparable.

A Sévaré, les mesures sécuritaires sont beaucoup plus strictes. Au poste de contrôle, les passagers descendent du car pour se soumettre à la vérification des pièces d’identité. Quelques militaires sont positionnés, plus loin, armes au poing. Un jeune agent des services sanitaires fait timidement passer un test de température au thermo flash aux voyageurs. Dans le car, l’inquiétude monte d’un cran car on entame les zones dangereuses. Les discussions sont animées sur les attaques de la veille vers Gossi par des coupeurs de route. « Subirons-nous le même sort ? », se demandent les voyageurs, en priant pour que tout se passe bien.

Konna, la ville martyr. Bonjour Konna, la ville célèbre dans l’imaginaire populaire. C’est ici qu’a été stoppée la progression des terroristes en 2013. Konna arbore une statue de Damien Boiteux, premier soldat français tombé au Mali en 2013. Une école, des enfants et d’autres édifices portent le nom du pilote d’hélicoptère français.

Douentza et ses talibés. Il est 21 heures quand nous arrivons aux portes de Douentza. Il faut passer la nuit à la belle étoile. Une mesure de sécurité interdit d’entrer nuitamment dans les villes. Même à quelques encablures des agglomérations, les voyageurs sont obligés de passer la nuit au poste. Cela ne semble pas déranger les voyageurs, visiblement habitués. Aussitôt, un village spontané se crée. Pas moins d’une centaine de passagers, venant de plusieurs bus, louent des nattes à 200 Fcfa. Dans cette nuit noire, éclairée seulement par les étoiles ornant le ciel, une bonne ambiance règne.

Deuxième jour du voyage au matin. Les premières lueurs du soleil commencent à éclairer le paysage rocheux et accidenté de Douentza. Des collines ceinturent la ville où l’eau se révèle une denrée rare. Il faut se contenter d’un petit sachet à 50 Fcfa pour faire les ablutions de manière sommaire avant de faire la prière. Le village spontané de voyageurs se réveille. On commence à apercevoir les visages inconnus auprès desquels on a passé la nuit. Les discussions reprennent de nouveau avec des sourires et blagues en attendant de trouver de quoi se mettre sous la dent et soulager les grondements de l’estomac.

A l’entrée de Douentza, des passagers d’au moins quatre bus et d’autres véhicules ayant passé la nuit sur place se présentent au poste de contrôle. La particularité de la ville de Douentza, c’est sûrement le nombre élevé des talibés. Ces petits garçons, entre 11 et 12 ans, interpellent les voyageurs : « Patron des jetons », « Un repas », « Une boisson ». Ces enfants ont le don de réciter de mémoire des versets coraniques et font des prières pour les voyageurs.

Boni et ses merveilles. A quelques kilomètres de Douentza se dresse Boni. La ville présente un paysage merveilleux. Les maisons en banco sont surplombées par les chaînes de montage. Une source de contemplation et de méditation. Plus loin, les mares sont visibles en cette période d’hivernage. Au bord des cours d’eau, on aperçoit des oiseaux s’abreuver, des chameaux brouter des feuilles d’arbres.

La région « des mille collines ». Dans la zone de Hombori, les collines sont alignées tout au long de la route. Du véhicule, on a l’impression qu’elles sont prêtes à vous tomber sur la tête. Dommage que beaucoup de Maliens n’ont pas la possibilité de voir ce paysage magnifique. Difficile de s’empêcher de se poser des questions sur l’histoire de ces tas de rochers. Ces collines portent les stigmates du temps. L’une des plus connues est « La main de Fatma », une chaine de montages dessinant la forme d’une main humaine. Plus loin, se dresse le Mont Hombori, énorme montagne avec ses 1155 mètres de hauteur, le point culminant du Mali. Quel potentiel touristique dont, malheureusement, l’exploitation s’avère utopique, vu les conditions sécuritaires actuelles.

Petite pause au milieu de nulle part dans la zone de Hombori. Le chauffeur invite les voyageurs à satisfaire leurs besoins pressants. Seulement, les besoins varient d’une personne à l’autre. M’apprêtant à faire des photos de ce beau paysage, je suis interpellé par deux jeunes gens. « Grand ! On est encore loin de Boni ? », demande l’un d’eux. « Vous allez là-bas ? », répondis-je. « Non ! Nous allons à Gao ».

Pour approfondir la conversation je m’approche d’eux. Là, une énorme fumée âcre agresse mes narines. Au fait, mes deux nouveaux amis avaient une envie pressante de « se rouler un petit joint pour atténuer la fatigue de la route  ». «Grand ! pardon pour la fumée. Le pays est grave maintenant, il faut souvent se chauffer la tête », expliquent-ils, avant l’appel du chauffeur à embarquer.

Dernière ligne droite. Reprenant notre périple, nous arrivons à Gossi. Il faut encore passer la nuit dans cette ville, presque dans les mêmes conditions qu’à Hombori. Gossi est situé à 160 km de Gao, mais vu la multiplication des attaques dans les parages, impossible d’y rouler la nuit. Le lieu à découvrir absolument dans cette commune de la Région de Tombouctou est la célèbre « Mare de Gossi ». Enorme, elle est traversée en plein milieu par la route. Ceux qui ne la connaissent pas pourraient la confondre avec un affluent du fleuve Niger. Que non! Elle ne tarit pas durant toute l’année. Les « Gossiens » y pratiquent la navigation en pirogue et des poissons y sont pêchés. Tout autour se trouve en période d’hivernage une large étendue de marécage. Il y a quelques années, il était fréquent de voir des troupeaux d’éléphants dans les alentours de Gossi.

Après Gossi, nous arrivons enfin à Gao, au bout de trois jours de voyage. A l’entrée de la Cité des Askia, il faut traverser le fleuve par le pont de Wabaria qui enjambe le Djoliba. Ce pont, construit en 2006, offre une vue imprenable sur les champs de riz des villages de Wabaria, Kadji et Arhabou.

En regardant plus loin à l’ouest, on peut apercevoir la légendaire « Dune rose de Koïma », un amas naturel de dunes avec une altitude considérable bordant le fleuve. La légende raconte que cette dune serait, jadis, le lieu où convergeaient les sorciers du monde entier. Bienvenue à Gao !

Mohamed TOURE

Source : L’ESSOR

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