Pré-campagne et campagne électorales : REGARD CRITIQUE DE LA PRATIQUE AU MALI

Les électeurs maliens iront aux urnes dans quelques semaines pour élire un président. En face du président sortant, candidat à sa propre succession, une kyrielle de candidatures annoncées dont certaines ont été matérialisées par le dépôt du dossier à la Cour constitutionnelle. Presque tous les «Aspirants» ont entamé leur propagande ; ils sont souvent en tournée à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Nous sommes dans la pré-campagne. La notion de «précampagne» suppose forcément l’existence d’une période de campagne donnée.

La pré-campagne, c’est l’étape de la compétition électorale qui précède le début officiel de la campagne électorale. La plupart des pays ont déterminé une période de Campagne dans leur législation avec une date de démarrage et une fin précise. La pré-campagne précède donc la période officielle de campagne.
C’est une période propice à l’élaboration et/ou à la finalisation des programmes électoraux. Les candidats et Partis utilisent cette période pour «tester» la réceptivité et la compétitivité des idées et propositions qu’ils entendent soumettre à l’appréciation de l’électorat. Elle peut durer plusieurs semaines, voire même de nombreux mois dans les pays où l’organisation de Primaires est entrée dans la pratique démocratique.
Toutefois, quel que soit le système électoral, certaines questions liées aux élections et aux médias sont traitées essentiellement au cours des mois précédant les élections. Il s’agit principalement de l’inscription des électeurs, la présentation des candidats, l’information électorale, et l’éducation civique et/ou électorale.

La Pré-campagne, une période grise
Contrairement à la campagne, la pré-campagne n’est pas règlementée au Mali ; la loi électorale n’en fait aucune mention. Elle est donc comme une période grise pendant laquelle les candidats et Partis peuvent tout se permettre…ou presque. Aucun organe ne surveille le comportement des Partis et futurs candidats pendant cette période. Aucun reproche ne peut leur être fait sauf peut-être quand ils posent des actes ostentatoires qui sont légalement interdits pendant la période officielle de campagne. Les cérémonies d’investiture des candidats, les meetings géants dans les salles de spectacles ou les stades, les visites chez les leaders religieux, les chefs coutumiers ou dans les familles fondatrices de Bamako et d’ailleurs sont des activités de pré-campagne. Les Aspirants au poste de Président distribuent-ils argent et autres cadeaux en nature pendant ces nombreuses activités ou font-ils déjà des promesses ? Allez-savoir !

Quid de la campagne
Une campagne est l’ensemble des opérations de propagande, d’information et de communication qui précèdent une élection ou un referendum. Pendant la campagne électorale, les candidats et leurs partisans font leur propre promotion afin de récolter le plus grand nombre possible de votes. Elle est généralement basée sur un programme politique ou un projet de société préalablement élaboré. Mais en Afrique, rien n’est moins sûr.
Au Mali, la électorale dans son Chap. VIII (Art. 70 à 79) traite de la campagne électorale. L’article 70 en fixe la durée de façon stricte. Elle est de 21 jours pour l’élection du Président de la République et de 16 jours pour le referendum, l’élection des Conseils nationaux et des conseillers des collectivités.
Le décret de convocation du Collège électoral pour la présidentielle du 29 Juillet prochain a fixé le début de la campagne électorale pour le premier tour au 7 Juillet à zéro heure et sa clôture au 27 Juillet à minuit. Cela signifie que la campagne électorale n’est pas encore ouverte au Mali mais force est de reconnaitre que les Aspirants sont très actifs et on est en droit de se demander si la campagne n’a véritablement pas commencé.
Il faut, toute fois, noter que la liste des candidats reste encore à être entériner par la Cour Constitutionnel, l’arbitre de l’élection présidentielle. La réglementation malienne concerne essentiellement l’interdiction de pratiques publicitaires à caractère commercial et politique ( offres de tissus, de T-shirts, d’ustensiles de cuisine, de porte-clés et calendriers) ainsi que leur port et usage, les dons et libéralités en nature ou en argent à des fins de propagande pour tenter d’influencer le vote dès la convocation du collège.
Il y a comme une aberration juridique dans ces dispositions légales puisque ce sont les pratiques de campagne électorale qui devraient être traitées ici et que la convocation du collège électoral ne correspond pas à l’ouverture de la campagne. D’ailleurs le collège électoral pourrait être convoqué 6 mois ou 12 mois avant la date du scrutin présidentiel, la loi n’exigeant qu’un minimum de délai et non un maximum. Certains pays, comme les États-Unis, n’imposent aucune limite de durée de campagne. Les campagnes pour les primaires et la présidence américaines durent en moyenne 496 jours depuis 1972. La campagne ne s’arrête pas avant la fermeture des bureaux de vote puisque le jour du vote on peut faire campagne même devant les bureaux de vote à condition de respecter une distance règlementaire. Cette distance varie d’un Etat à un autre et peut aller de 10 mètres à 60 mètres.

Combien devrait coûter une campagne
électorale ?
Dans les pays occidentaux les campagnes électorales sont strictement règlementées en ce qui concerne leur budget et les contributions privées. Les Partis ou candidats, dans certains cas, peuvent obtenir des financements publics pour leur campagne. En France, le déroulement des campagnes électorales et leur financement sont règlementés par la Commission Nationale des Comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Il y a un plafonnement des dépenses de campagne pour favoriser l’égalité entre les candidats.
La CNCCPF est bien connue par le caractère méticuleux de son travail et des amendes qu’elle inflige régulièrement aux candidats qui dépassent le plafond des dépenses fixées par la loi. En 2012, elle a rejeté le compte de campagne de Nicolas Sarkozy pour trois griefs : dépassement du plafond de dépenses autorisées, non inscription au compte de campagne de certaines dépenses engagées ou recettes perçues pour la campagne électorale, absence de refacturation au mandataire financier de dépenses engagées par le budget de l’État pour huit manifestations antérieures à sa déclaration de candidature et présentant un caractère électoral. Le rejet du compte a été confirmé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 4 juillet 2013.
Au Mali, bien qu’il existe un système de financement public des Partis et du Cabinet du Chef de file de l’opposition, il n’y a pas de réglementation du financement des campagnes politiques, il n’y a donc aucun plafonnement des dépenses de campagne. La campagne est plus ou moins le temps de la loi du plus riche. Le terrain de la compétition n’est donc pas nivelé pour tous. Il n’y a aucune obligation pour les candidats à faire une reddition de leurs comptes de campagne. Il y a un silence absolu sur les sources de financement.
Les narcotrafiquants financeraient la campagne d’un ou plusieurs candidats au Mali, on n’en saurait rien. Sauf si le Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) venait à découvrir le crime de blanchiment d’argent. Il y a le besoin de pallier ce vide juridique énorme. Gageons qu’à un moment ou un autre, la société civile se saisira de la question et en fera un sujet de plaidoyer politique. Il y a peu de chance que les partis politiques en fassent un agenda législatif, sauf… peut-être les petits Partis, comme on dit souvent.

Sidi Mohamed
DIAWARA,
spécialiste de
l’Assistance
électorale

 

Source: Essor

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