Oumar Mariko: «Le Mali est géré par des rentiers»

Les secteurs de l’enseignement, de la santé et de la justice étaient simultanément en grève en avril au Mali. Le signe de l’irresponsabilité des élites selon Oumar Mariko, député de l’opposition.

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Le Mali a connu une sérieuse crise sociale en cette fin de mois d’avril. Trois grèves du secteur public ont coïncidé avec une crise gouvernementale qui a abouti au remaniement ministériel du 11 avril dernier. Un remue-ménage inhabituel dans ce pays plutôt calme sur le plan social, mais encore en proie au conflit avec les groupes armés islamistes au nord du pays qui ont reflué depuis 2013 face à la force des Nations Unies, la Minusma, et à l’armée française.

De passage en Suisse, Oumar Mariko, député du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI), leader respecté de la gauche malienne, a livré au Courrier son analyse sur l’actualité de son pays. Il vilipende l’irresponsabilité des autorités face à un secteur public laissé pour compte. Médecin de formation, il préside aussi l’ONG malienne Médecins de l’espoir (Medes), qui mène des projets humanitaires au Mali, soutenue par l’association genevoise Medes/Sapcom, membre de la Fédération genevoise de coopération.

Qu’est-ce qui a motivé les mouvements sociaux de ces derniers mois?

Oumar Mariko: Les travailleurs du secteur public ont des salaires extrêmement faibles. C’est le résultat de l’application des prescriptions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Tout cela alors que les politiciens se montrent terriblement dépensiers pour eux-mêmes. L’assemblée nationale, qui compte 147 députés, dispose d’un budget de 16 milliards de francs CFA (26 millions de francs suisses) alors que la Justice malienne ne reçoit qu’entre 11 et 12 milliards, pour 550 magistrats.

Sans compter que députés et ministres se sont rendus coupables d’un grand nombre de détournements financiers. Ceci explique notamment la grève des magistrats, qui réclamaient une harmonisation des grilles salariales, et ainsi être mieux payés.

Mais les travailleurs de la santé sont encore plus mal lotis. Un médecin malien dans le secteur public touche à peine un salaire mensuel de 140 000 francs CFA (220 francs suisses) alors que la location d’une maison à Bamako coûte environ 100 000 francs par mois. De surcroît, au lieu d’investir dans les soins au Mali, l’Etat dépense des fortunes pour envoyer des patients se faire soigner au Maroc et en Tunisie. Quant aux enseignants, ils réclament toujours des améliorations salariales et des meilleures conditions de travail. Aujourd’hui, les écoles comptent au minimum 150 enfants par classe, à tous les niveaux d’enseignement!

Les magistrats ont rapidement obtenu gain de cause, et les médecins viennent de signer un accord le 16 avril dernier…

Oui, les juges tiennent le couteau par le manche car ils peuvent bloquer certains dossiers administratifs utiles aux élus. Ils avaient aussi menacé de révéler des affaires, camouflées jusque-là, concernant certains membres de l’exécutif.

En revanche, le gouvernement a tardé vingt jours avant de répondre aux revendications des médecins. C’est complètement irresponsable car il y a eu de nombreux morts à cause de la grève dans le secteur de la santé. Cela révèle le caractère criminel du régime en place.

Les enseignants, eux, sont toujours en grève (le 3 mai, un accord avec le gouvernement a été signé dans le primaire et le secondaire, ndlr). Les gouvernants ne se sentent pas concernés, leurs enfants vont à l’école privée.

Les étudiants ont quant à eux été réprimés alors qu’ils manifestaient…

Ils ont d’abord été infiltrés par des jeunes proches du pouvoir. Puis, des militaires habillés en civil ont agi de façon brutale contre les piquets de grève et les manifestations, en frappant les étudiants. L’un d’eux a même été tué par balle.

Que pensez-vous de la politique économique du gouvernement?

C’est celle du FMI et de la Banque mondiale, aggravée par une bourgeoisie rentière d’Etat, parasitaire et spéculative. Certains élus haut placés créent de toutes pièces des opérateurs économiques ou en cooptent d’autres liés à la finance internationale. Le trafic d’influence est la règle pour l’obtention de marchés. Ces acteurs n’investissent pas dans les secteurs productifs. Il s’agit fondamentalement d’une économie spéculative.

Dans l’agriculture, l’accaparement de terres par des opérateurs économiques liés à l’Etat, des agences immobilières détenues par des membres de l’assemblée nationale, des élus municipaux et même des membres du gouvernement continue. Avec pour conséquence la paupérisation d’une grande partie de la population.

N’y a-t-il pas eu des progrès en matière de lutte contre la pauvreté durant les vingt dernières années?

S’il y en a eu, ce n’est en tout cas pas visible. Je ne vois pas comment cette lutte se concrétise. Les seuls emplois créés sont liés aux programmes de développement menés en collaboration avec d’autres pays.

Le 11 avril, le gouvernement malien a été complètement remanié. Pour quelles raisons?

Il y avait beaucoup de mécontentement, au sein même du parti majoritaire, contre le premier ministre et son équipe. Tous les dossiers économiques, sociaux ou même sur le fonctionnement des institutions n’avançaient pas. Le premier ministre s’est retrouvé au cœur de scandales financiers concernant des détournements de fonds. La communauté internationale ne constatait pas non plus d’avancées dans l’application de l’accord de paix signé avec les mouvements armés du nord du pays.

Que pensez-vous de la composition du nouveau gouvernement?

Je connais le premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga, je sais qu’il n’est pas porté sur l’argent facile et ne se laisse pas corrompre. De plus, il a une bonne compréhension de la situation nationale.

Mais ce n’est pas un homme d’action. En tant que responsable de l’administration territoriale, puis ministre de la Défense, face aux dossiers que je lui ai apportés, il n’a jamais entrepris d’actions concrètes. Est-ce le premier ministre qui le bloquait? Maintenant qu’il est lui-même chef du gouvernement nous le saurons bientôt. Mais je pense qu’on ne lui a pas laissé former lui-même son gouvernement.

Le fils du président, Karim Keïta, serait fortement impliqué dans la nomination des ministres. Ce qui a choqué les Maliens, c’est le retour d’anciens ministres qui avaient été démis de leurs fonctions suite à des accusations de détournements dans le passé. Ce sont des obligés du président. Le but est de lui faire gagner coûte que coûte les élections de 2018.

Les élections présidentielles auront lieu en 2018. Les conditions d’un scrutin libre et transparent sont-elles réunies?

Le peuple malien a besoin d’un changement de régime et l’exprime de manière assez ouverte. Mais des élections transparentes ne sont pas à l’ordre du jour. Pour pouvoir voter, tous les Maliens doivent disposer de la nouvelle carte d’identité «Nina». Mais aujourd’hui encore, une majorité de citoyens n’en a pas. L’Etat malien a fait venir des sociétés françaises pour fabriquer cette carte et le nouveau passeport numérique (Safran Identity et Oberthur).

On a l’impression que ces sociétés veulent aider les gouvernants actuels à rester au pouvoir en 2018, étant donné qu’une grande partie de la population pourrait être exclue du vote. L’administration est prise en otage par le pouvoir en place et le clientélisme se prépare.

«L’opération française, un appel d’air aux djihadistes»

Que pensez-vous de l’opération militaire internationale contre les combattants islamistes du nord du Mali, et en particulier de l’intervention française?

Ces opérations n’étaient au départ ni opportunes ni utiles. Il ne s’agissait de  rien d’autre que d’une manipulation de la part de la France pour pouvoir sécuriser ses intérêts dans la région du Mali, du Niger et du Tchad. En réalité, l’enjeu est la mainmise sur les ressources naturelles. Ces opérations n’ont pas été accompagnées d’une aide aux populations locales. L’armée malienne reste très mal lotie. Elle continue à être la proie des terroristes. Aujourd’hui même (le 18 avril, ndlr), quatre soldats maliens ont été tués dans une attaque. La collaboration des forces internationales avec l’armée n’est pas visible sur le terrain.

N’y-a-t-il pas tout de même eu un recul des groupes terroristes dans le nord du Mali grâce à l’intervention de la communauté internationale?

Ce processus était déjà en cours dans le cadre du processus de dialogue entre Maliens. Le régime de l’ex-président Amadou Toumani Touré (ATT), qui était considéré comme le responsable de toute cette misère au nord du Mali, était tombé. Nous étions dans une phase de stabilisation pendant laquelle il aurait été possible de trouver une solution politique. Au lieu de contrer le terrorisme, la présence de la force militaire d’intervention française Barkhane a créé un appel d’air aux djihadistes, faisant de notre pays un terrain de confrontation armée.

Que préconisez-vous pour faire face à l’insécurité au nord du pays?

On ne pourra résoudre la situation avec des mesurettes. Notre Etat et notre armée sont à reconstruire aujourd’hui. Cette dernière est extrêmement faible sur les plans techniques, matériels, organisationnels et même moral (en référence à la corruption qui la gangrène, ndlr). La communauté internationale ne peut aujourd’hui plier bagages et annuler son opération militaire. Parce que nous n’avons pas un régime responsable au Mali. Mais les forces françaises doivent désormais être encadrées par la Minusma et non pas agir en électron libre. La mainmise néocoloniale de la France doit cesser.

Christophe Koessler

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