Mali – Tiébilé Dramé : « Soumaïla Cissé veut réparer un pays abîmé par IBK »

ENTRETIEN. Dans la toute dernière ligne droite, le directeur de campagne de Soumaïla Cissé s’est confié au « Point Afrique » sur cette élection de tous les dangers.

Le Mali retourne aux urnes dimanche pour le second tour de l’élection présidentielle avec un chef d’État sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, en position de force face à un candidat de l’opposition isolé car lâché par la plupart de ses anciens soutiens – mais convaincu encore de pouvoir l’emporter. Tiébilé Dramé, son directeur de campagne et homme politique, s’est confié au Point Afrique, au dernier jour d’une campagne électorale tendue et écourtée.

Le Point Afrique : Vous irez donc à ce second tour malgré les irrégularités que vous avez dénoncées. Pour quelle raison ?

Tiébilé Dramé : Nous n’avons pas demandé de report. Nous avons souhaité dans le cadre d’un mémorandum adressé au gouvernement de la République malienne et à la communauté internationale une amélioration substantielle du cadre général des opérations électorales pour réduire la fraude et le bourrage des urnes. Nous y tenons toujours.

Quelle a été la réponse du gouvernement à ce mémorandum ?

Nous ne faisons pas que critiquer, dénoncer, nous faisons aussi des propositions, dans le cadre d’un dialogue constructif pour améliorer le cadre des élections. Ce mémorandum a été adressé au gouvernement le 6 août dernier, il contenait nos exigences. Nous l’avons aussi fait parvenir à l’UE, l’UA, la Cedeao. Le Premier ministre l’a reçu très tôt le matin. C’est quand ils ont reçu ce rapport, le matin, qu’ils ont publié leur fameuse liste des 871 bureaux. Ils savaient déjà qu’on savait. La page 2 de ce mémorandum détaille les conditions que nous posons pour aller au second tour. Le 7 août dans l’après-midi, le Premier ministre m’a adressé un courrier pour répondre à chaque point de ce mémorandum. À partir de ce moment-là, je crois que s’est engagée une négociation indirecte. Nous avons trouvé les réponses du gouvernement insuffisantes et nous lui avons fait parvenir nos observations. Ils ont dit qu’ils allaient voir quelles étaient les possibilités d’amélioration. Par exemple, nous avons voulu avoir une garantie précise sur la neutralité des gouverneurs, préfets et sous-préfets. Ils ont lancé une instruction dans ce sens intitulée « Instruction relative à la neutralité des gouverneurs, préfets et sous-préfets. Nous avons aussi voulu que, dans les zones où il n’y a pas eu de vote, ces zones soient sécurisées et qu’il y ait de leur part des propositions en ce sens. Nous en sommes restés là.

La coalition des 18 candidats qui faisaient front avec vous contre la fraude semble se déliter au vu des ralliements au camp présidentiel. Sans ces soutiens, comment comptez-vous l’emporter ?

Ce regroupement de 18 candidats, c’était autour de la fraude électorale, ce n’était pas un front pour nous soutenir au deuxième tour. Nous avons ensuite essayé de partir de ce front contre la fraude pour constituer un front pour le 2e tour. On ne l’a pas obtenu de tous. Mais le principal socle sur lequel nous nous basons, c’est l’aspiration au changement que traverse le pays et qui s’est reflétée dans les urnes. Tous ceux qui n’ont pas voté IBK ont voté pour le changement, c’est évident. Par contre, certains candidats pour lesquels ils ont voté ont de façon surprenante décidé de soutenir le statu quo ou de ne pas bouger. Ils ont choisi le camp du statu quo, de la stagnation et du chaos que IBK incarne. Mais les électeurs, eux, veulent le changement. Vous croyez que les électeurs vont suivre ceux qui incarnaient l’alternance et qui après vont suivre IBK ? Non, j’ai confiance au peuple malien !

Malgré la remise en cause du fichier électoral, un accord a pu être trouvé à la veille du 1er tour de l’élection présidentielle. Pourquoi revenir sur la fiabilité du fichier lors de l’entre-deux-tours ?

Tout le monde sait que le fichier mis en ligne par le gouvernement est avarié et comporte incohérences et irrégularités. Aucune protestation ne changera cette réalité.

Le ministre Ag Erlaf avait refusé de publier les résultats bureau de vote par bureau de vote parce que la loi malienne ne l’impose pas. Pourquoi, dans ce cas, ne publiez-vous pas les vôtres ?

Ce n’était pas à nous de les publier, n’inversons pas les choses, nous ne sommes pas les organisateurs du scrutin. Néanmoins, j’observe que le ministère a fini par publier des résultats, partiels, sur son site, après avoir longtemps opposé une fin de non-recevoir. Cela ressemble à un aveu tardif, encore un ! Nous avons découvert de grosses différences entre les résultats mis en ligne et ceux publiés par le ministère. Après ce résultat annoncé de 53 %, ils ont reculé à la dernière minute parce qu’ils ont compris que ce ne serait pas accepté, et puis ils ont reçu une mise en garde de la communauté internationale. IBK n’a pas eu 41 % des votes. Ces 41 %, ce n’est pas le vote des Maliens, c’est la fraude. Ils ont produit les résultats par bureau de vote qui, disent-ils, n’ont pas de valeur juridique. On a fait la comparaison avec nos résultats, tous ceux qu’ils ont publiés sont des résultats trafiqués. Le refus de publier montrait déjà qu’il y avait un problème. De même pour la liste des bureaux où le scrutin n’a pas pu se tenir. Connaissez-vous un gouvernement qui, trois, quatre ou cinq jours après les élections, ne sait pas où les élections n’ont pas eu lieu ? C’est un gouvernement fraudeur.

Plus de 245 000 électeurs, répartis dans 871 bureaux, n’ont pas pu exercer leur droit de vote, majoritairement dans la région de Mopti, sujette à l’insécurité depuis environ deux ans maintenant. Que préconisez-vous pour remédier à cela ?

Il convient de remarquer que beaucoup des bureaux où le vote n’a pas pu se tenir étaient des zones plutôt favorables à notre candidat Soumaïla Cissé. Nous exigeons une sécurisation effective, par les Famas et leurs partenaires des localités où le scrutin n’a pas pu se tenir. Et la sécurisation par les Famas et leurs partenaires de la Minusma des agents des bureaux où l’administration n’est plus présente.

Cheick Modibo Diarra, qui était un allié des partis d’opposition pendant la campagne du 1er tour, s’est subitement désolidarisé de ses alliés pour faire cavalier seul. Comment expliquez-vous ce revirement ? Et pourquoi laissez-vous entendre qu’il était un « trublion » qui « devait jouer un rôle le moment venu », alors qu’il était, il y a encore peu de temps, des vôtres ?

Cheick Modibo Diarra était l’un des signataires de la déclaration commune du 31 juillet, qui dénonçait la fraude. Au cours de la campagne, il a pris un certain nombre d’engagements, auprès des cadres de son parti et auprès de ses électeurs. Chaque acteur politique est responsable devant le peuple malien et devant l’histoire des actes qu’il pose en ce moment crucial de l’évolution politique de notre pays.

Votre camp dénonce, avec d’autres, des fraudes et irrégularités rendues possibles par la loi électorale et le fait que ce soit le gouvernement qui organise les élections. Soumaïla Cissé au pouvoir compte-t-il modifier cette loi et cet état de fait ? Si oui, quelles en seront les principales modifications ? Et seront-elles prêtes d’ici aux prochaines élections législatives ?

Bien sûr, nous allons refondre le système électoral actuel. Nous le remplacerons par une gouvernance moderne des élections, respectueuse du vote des Maliens.

Il faudra changer les choses, offrir plus des garanties de transparence et d’impartialité, c’est évident. Mais toute modification, qu’elle arrive avant ou après les élections législatives, doit se faire avant tout dans un esprit consensuel, dans un esprit de concertation avec toutes les forces politiques. Le dialogue doit précéder l’action, c’est indispensable, car rien ne serait pire que de donner l’impression de changements faits sur mesure. Ce n’est pas notre conception de la démocratie et du pluralisme.

On peut s’étonner pour cette élection présidentielle du manque de débat entre candidats. Comment l’expliquez-vous ?

En tout cas, ce n’est pas nous qui nous sommes dérobés puisque nous avons demandé, depuis longtemps, l’organisation d’un tel débat. Mais il faut croire que certains pensent qu’ils ont plus à perdre qu’à y gagner. Cette absence voulue de débat participe à la logique de dévoiement du processus électoral auquel nous assistons cette année.

Le changement pour le Mali est porté par le candidat Soumaïla Cissé, 68 ans, de la même génération politique que son adversaire, alors que la majeure partie de la population malienne a moins de 20 ans. Peut-on, dans ce cas, réellement parler de changement ?

Ne soyons pas démagogues ! Le changement n’est pas une question d’état civil, c’est une question d’état d’esprit, de compétence, d’approche ou de méthode, et, en la matière, Soumaïla Cissé a fait ses preuves partout où il est passé. Au bilan, désastreux, de la gouvernance du président sortant, nous opposons le bilan et l’expérience de Soumaïla Cissé, que ce soit dans les responsabilités ministérielles qu’il a occupées ou lorsqu’il était à la tête de la commission de l’Umeoa. Il n’y a pas photo.

Le programme de Soumaïla Cissé et celui du candidat IBK sont, somme toute, assez similaires. Quelles différences notables peut-on trouver dans leur programme respectif alors que votre candidat se présente justement comme le candidat du changement ?

Permettez-moi de ne pas être d’accord avec votre jugement ! Je vous renvoie à notre programme, articulé autour de cinq piliers, qui est le plus consistant, le plus développé et le plus abouti. Il résulte du travail de groupes d’experts qui ont été mobilisés pendant de longs mois. Nous avons été les premiers à le rendre public, alors que le candidat IBK, lui, ne l’a dévoilé que huit jours avant le premier tour de l’élection, signe du peu d’intérêt qu’il accordait à cette dimension pourtant essentielle de l’action politique. Le programme de Soumaïla Cissé vise à réparer un pays abîmé par IBK.

Quelles seront les premières mesures fermes que prendra Soumaïla Cissé dans les cent jours s’il est élu ?

Le changement doit être perceptible immédiatement. Il faut penser aux Maliens, à leur pouvoir d’achat. Comme il s’y est engagé, Soumaïla Cissé supprimera les vignettes sur les véhicules motorisés, les taxes sur le bétail, ainsi que la TDRL, la taxe de développement régionale et locale, qui est un impôt particulièrement injuste. Des économies sur le train de vie de l’État, rendues possibles par une meilleure gouvernance, permettront de compenser le manque à gagner pour les finances publiques. Des assises nationales sur les grands problèmes de notre société, en particulier ceux qui concernent la jeunesse et la condition de la femme, seront organisées. Et nous mettrons en place un contrôle rigoureux des dépenses publiques et un système de lutte contre la corruption. Sans oublier les autres grands chantiers, la réconciliation nationale, la modernisation de l’armée, la restauration de la sécurité, la modernisation de l’école, de la santé, des infrastructures de base, la relance industrielle, l’investissement dans l’agriculture. Tous les problèmes ne pourront pas se régler en cent jours, mais cent jours doivent permettre de donner une impulsion forte vers un Mali meilleur et plus juste, fondé sur les valeurs de la probité, du travail et de l’effort, que nos concitoyens sont en droit d’attendre et d’exiger.

Quelle place souhaiteriez-vous occuper au sein du futur gouvernement s’il devient le vainqueur de cette présidentielle ?

Je comprends votre curiosité, mais je ne pense vraiment pas que ce soit aujourd’hui la question qui préoccupe les Maliennes et les Maliens. Toute notre énergie est tournée vers le scrutin du 12 août. Je suis son directeur de campagne et rien ne doit nous faire dévier de notre objectif commun.

Comment votre camp réagira-t-il si IBK l’emporte lors de ce second tour ?

Soumaïla Cissé avait marqué les esprits en 2013 lorsqu’il était allé féliciter immédiatement Ibrahim Boubacar Keïta à l’issue du second tour, sans attendre la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle. Personne ne saurait mettre en doute son esprit républicain et son sens des responsabilités. Mais que l’on n’attende pas de nous que nous cautionnions une « victoire » obtenue par la fraude ou la manipulation des résultats, et qui serait contraire à l’esprit républicain. Et nous attendons d’IBK qu’il ait le même comportement chevaleresque que Soumaïla Cissé il y a cinq ans.

Source: lepoint.fr

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