Mali : le président Keïta tend la main à la coalition de l’imam Dicko

Le chef de l’État contesté joue l’apaisement et rencontrera bientôt les partis et associations membres du Mouvement du 5 juin, qui réclament sa démission.

Une exaspération sociale proche de son comble, un chef de l’État personnellement contesté… Le Mali traverse de sévères turbulences politiques, à un moment délicat de l’engagement international contre le djihadisme au Sahel. Un état des lieux.

Le chef de l’État malien Ibrahim Boubacar Keïta est sorti de son silence dimanche soir dans un discours à la nation où il a tendu la main à la coalition hétéroclite de chefs religieux, d’hommes politiques et de la société civile qui conteste son pouvoir. « J’ai suivi avec attention les récents événements qui se sont déroulés dans notre pays. J’ai entendu les colères et les cris, j’ai entendu les revendications et les interpellations », a déclaré le président Keïta, à la télévision publique. « Je me réjouis de la perspective de rencontrer bientôt les acteurs du Mouvement du 5 juin », a dit le dirigeant malien, au pouvoir depuis 2013, en allusion à cette nouvelle coalition.

Le défi du 5 juin

La coalition est formée d’un mouvement ayant à sa tête l’imam Mahmoud Dicko, du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) qui regroupe des partis d’opposition, dont le principal d’entre eux, Espoir Mali Koura (EMK), est un mouvement de la société civile dirigé par le cinéaste et ancien ministre de la Culture Cheick Oumar Sissoko.

Éminente figure religieuse et tenant d’un islam rigoriste, Mahmoud Dicko était un proche du président Keïta. Entré récemment en politique, il est devenu un critique virulent du pouvoir.

La nouvelle coalition a organisé le 5 juin à Bamako un rassemblement de dizaines de milliers de personnes. Plusieurs manifestants ont brandi des pancartes appelant à la démission du président Keïta, qui est soutenu par la communauté internationale dans sa guerre contre les djihadistes.

Des dizaines de milliers de Maliens sont descendus dans la rue ce jour-là à Bamako, à l’appel d’une alliance hétéroclite conduite par un influent leader religieux. Ils ont dit leur ras-le-bol, non seulement des « cortèges de morts » causées par la propagation des violences djihadistes et intercommunautaires, mais aussi de la « mal gouvernance », de la « paupérisation » d’un pays déjà parmi les plus pauvres du monde, du délabrement des services de base et de la corruption. Les manifestants brandissaient des pancartes « IBK, dégage ! ». Ibrahim Boubacar Keïta est le président depuis 2013.

Le même jour, 29 villageois étaient massacrés dans le centre du pays.

Pourquoi maintenant ?

La grogne est là depuis des mois. Mais les récentes législatives et la décision de la Cour constitutionnelle d’inverser une trentaine de résultats proclamés, dont une dizaine au profit de candidats du parti présidentiel, ont exacerbé les frustrations. Dans un climat de défiance, les mécontents y ont vu une préfiguration de la présidentielle de 2023 et d’une impossible sortie de crise.

La pandémie de coronavirus a mis les nerfs encore plus à vif.

L’analyste politique Baba Dakono parle de « confluences des crises », mobilisant des militants anticorruption, des représentants de la société civile ou encore des enseignants en conflit depuis des mois. Cette fois, les crises ne convergent plus vers le Premier ministre, comme en 2019, mais le plus haut personnage de l’État, allié de la communauté internationale et des acteurs du combat antidjihadiste au Sahel.

Un moment qui pourrait compter

« La crise est d’une gravité extrême », dit l’analyste Ibrahim Maïga. « On savait que la colère était grande. Aujourd’hui, elle a un visage, elle a un porte-parole », en la personne de l’imam Dicko.

Le prêcheur rigoriste et patriote, figure éminente de la vie publique, assume désormais ouvertement son engagement politique et pourfend depuis des mois la « gouvernance catastrophique » du Mali. En 2019, il avait participé à la fronde contre le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, poussé à la démission. Il a pris cette fois la tête d’une alliance disparate que cimente l’hostilité au chef de l’État.

Des acteurs de la communauté internationale, dont l’ONU et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ont ces derniers jours joué les bons offices en rencontrant séparément MM. Keïta et Dicko.

Le Mali est en proie depuis 2012 à une profonde crise multiforme, sécuritaire, politique, économique. Les insurrections indépendantistes, puis djihadistes, ainsi que les violences intercommunautaires, ont fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés.

Possibles scénarios

Le prêcheur lui-même ne demande pas ouvertement la démission du président et a laissé la porte ouverte au dialogue. Les spéculations vont bon train sur un prochain entretien entre le président et l’imam.

– Une démission du président est peu plausible, disent les experts.

– Une dissolution du Parlement « n’est envisageable que si IBK sent que sa survie [politique] est en danger », estime l’analyste Maïga.

– L’hypothèse de la nomination d’un nouveau Premier ministre est écartée, au moins provisoirement. L’actuel chef de gouvernement Boubou Cissé a présenté sa démission cette semaine, selon l’usage après les législatives. Le président l’a reconduit sans lui faire jouer le rôle de fusible. Un signe possible de fermeté présidentielle. Mais le nouveau gouvernement peut aussi être l’occasion de jouer l’ouverture.

Le Mali est, par ailleurs, en attente d’un nouveau gouvernement, après la démission le 11 juin, attendue après les législatives de mars-avril, de l’équipe dirigée par le Premier ministre Boubou Cissé, reconduit dans ses fonctions.

Le pire pas exclu

« Le pire scénario, ce serait de prendre le risque de remettre la foule dans la rue », dit Baba Dakono. Tout le monde, y compris les manifestants, a à l’esprit le spectre de 2012 et du putsch qui a précipité le Mali dans une spirale toujours en cours, rappelle Ibrahim Maïga.

Il note que les meneurs ont le contrôle du mouvement. Et beaucoup de forces sont à l’œuvre pour dissiper les tensions. « Je ne suis pas quelqu’un qui casse mon pays ou qui met le feu dans mon pays », a assuré l’imam Dicko à Radio France Internationale.

Les partisans du président ont annulé une contre-manifestation en sa faveur. En revanche, l’alliance de l’imam Dicko appelle à une nouvelle grande manifestation vendredi prochain pour réclamer la démission d’IBK.

Source : Le Point

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