Le réflecteur : La République trahie par ses institutions

Si la précipitation à réviser la Constitution du 25 février 1992 a conforté une conviction chez les Maliens, c’est sans doute l’inutilité de nos institutions qui sont toutes des caisses de résonance, des coquilles vides dont la connivence est une injure à la séparation des pouvoirs. Un principe qui est pourtant l’essence de la démocratie.

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A commencer par la présidence de la République. Avec l’accord pour la paix et la réconciliation ainsi que la présente tentative désespérée de réviser la Constitution en vigueur pour l’adapter audit accord, le président Ibrahim Boubacar Kéita a doublement trahi son serment, donc le peuple malien. Mais, on se rappelle que des observateurs avaient déjà dénoncé un manquement à la formule du serment prononcé le 4 septembre 2013 au Centre international de conférence de Bamako (CICB).

“Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain, de respecter et de faire respecter la Constitution et la loi. De remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du peuple, de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je m’engage solennellement et sur l’honneur à mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’unité africaine” ! Telle la formule consacrée du serment (article 37 de la Constitution du 25 février 1992).

Mais, certains observateurs avaient rappelé que le nouveau président plébiscité avait omis la partie, “respecter et faire respecter la Constitution et la loi”. Et avec la tournure que prend l’actualité politique de notre pays, on est en mesure de se poser la question si ce n’était pas une omission “volontaire” qui présageait déjà de sa détermination actuelle à violer la Loi fondamentale en vigueur.

De toutes les manières, les actes posés par le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita (signature d’un accord qui viole notre Constitution et vouloir adapter celle-ci à cet acte) est une violation flagrante de son serment. Et visiblement, toutes nos institutions se sont passé le mot pour noyer les valeurs qu’elles doivent incarner dans le mensonge, le déni de la réalité, la trahison…

La trahison qui n’est pas inacceptable, c’est celle de la Cour constitutionnelle qui a validé ce viol de la Loi fondamentale en vigueur sous prétexte qu’une “insécurité résiduelle à elle seule ne saurait remettre en cause la régularité d’un référendum” ! Quelle injure à ce peuple déjà éprouvé par l’incapacité et le manque de vision d’un régime aux abois. Comment nos “sages” (???) peuvent-ils défendre un tel mensonge alors que des familles sont d’endeuillées chaque voir chaque semaine ? Comment justifie-t-elle alors la présence des forces française Barkhane et de la Minusma qui, ironie du sort, a perdu le 9 juin dernier quatre casques bleus dans l’attaque de ses positions à Kidal.

A l’image de nos députés, peuvent-ils se regarder encore dans un miroir en validant une violation constitutionnelle ? C’est fort possible parce que c’est le ridicule qui a peur aujourd’hui d’être enterré par nos dirigeants, notamment les responsables de nos institutions.

Déconnectés de la sagesse et des réalités du pays

Au moins une chose est d’une cruelle évidence : champions du monde de la mauvaise foi, les “Neuf sages” sont totalement déconnectés des réalités de notre pays. Ou du moins, nous ne vivons pas dans le même Etat qu’eux.

Oui, l’insécurité est résiduelle dans le nôtre où, entre janvier et la mi-mai, 135 personnes ont trouvé la mort dans des dizaines d’incidents armés, dont plus de 40 militaires maliens.

Oui l’insécurité est résiduelle dans notre beau Mali où près de 300 écoles sont fermées dans la région de Mopti jetant ainsi dans la rue plusieurs milliers de jeunes à la merci des terroristes. Et la réponse du pouvoir central n’a jamais été à hauteur de souhait.

Oui l’insécurité est résiduelle dans un pays où les citoyens n’ont pas pu voter dans 59 communes et où les communales partielles viennent d’être reportées pour des raisons de sécurité.

Et comme s’interrogeait un patriote, “savent-ils que le président élu peut faire le tour du monde mais ne peut mettre les pieds dans certaines de nos villes sous occupation sans l’accord de la France et des groupes armés” ?

Dans notre Mali, 72 préfets et sous-préfets ne peuvent se rendre dans leurs circonscriptions administratives respectives contrôlées par des groupes armés, la charia est appliquée dans certaines localités en dehors de tout cadre législatif ou réglementaire du pays… Hormis Gao, le gouverneur d’aucune des régions du Nord ne vit dans sa circonscription administrative.

Comme le défendait si pertinemment l’éminent économiste, Madani Tall sur les réseaux sociaux, “les citoyens ordinaires ne peuvent aller de Youwarou à Kidal sans craindre pour leur sécurité ; l’armée ne peut se rendre au-delà d’Anéfis sans protection de la Minusma ou de Barkhane, des forces étrangères ayant plus d’autorité sur le Nord que nous-mêmes ; nos camps sont remplis de réfugiés fuyant la violence. Et on nous dit que la souveraineté de l’État et l’intégrité du territoire ne sont pas atteintes. Comme si tant qu’il n’y a pas de rébellion à Bamako tout va bien. Dieu veille” !

Ce Mali, le nôtre, est celui de milliers d’autres Maliens ici et à travers le monde. “Dans l’autre Mali tout est sous contrôle de l’Etat et tout va bien. N’en déplaisent aux aigris et drogués qui se battent dans les caniveaux de l’autre Mali”.

Malheureusement, la Cour constitutionnelle n’est pas à sa première trahison comme l’a si pertinemment rappelé un jeune confrère sur les réseaux sociaux. Comment alors nous convaincre de l’utilité de nouvelles institutions sous prétexte de renforcer la décentralisation… ? Balivernes !

Lors d’une brillante intervention à Bordeaux (France) le 2 juin dernier, Modibo Sidibé (ancien Premier ministre et président des Fare) rappelait à juste titre, “ce qui est en cause, c’est la fiabilité de nos institutions et le manque de confiance”. D’où la nécessité “d’inventer un nouveau fonctionnement institutionnel, une nouvelle alliance entre les citoyens et leur gouvernement”.

Ce n’est pas la création d’un Sénat qui va réconcilier les Maliens avec le pouvoir politique. Comme le dit un adage, “la confiance, c’est comme un miroir : on ne la répare pas quand elle est brisée”.

Cette révision, le régime promet de l’imposer aux Maliens avec au moins 75 % en faveur du Oui lors du référendum du 9 juillet prochain. IBK et sa majorité le peuvent parce qu’ils ont montré qu’en moins de six mois ils peuvent rédiger une Constitution, faire adopter le projet en conseil des ministres, le faire voter par l’Assemblée et avoir la caution de la Cour constitutionnelle trois jours seulement après ce vote scandaleux.

Ils peuvent, parce que ce sont eux qui organisent le référendum, collecte les résultats et les publient. Ils peuvent parce que les moyens de l’Etat sont essentiellement à leur merci pour faire campagne. Ils le peuvent parce qu’ils ont la main mise sur les Forces armées et de sécurité non pas pour sauvegarder l’intégrité territoriale du Mali et sécuriser les citoyens et leurs biens, mais pour réprimer les patriotes qui ont la clairvoyance d’attirer l’attention du peuple sur les périls politiques contenus dans cette mascarade de révision.

Ils peuvent s’offrir une victoire éclatante pour continuer à narguer les Maliens par le déni de la réalité… Mais, tôt ou tard, ils répondront de leur trahison parce que personne n’échappe au jugement de l’Histoire.

Et comme l’a une fois rappelé Abraham Lincoln (1809-1865), seizième président des Etats-Unis : “On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps”. A méditer !

Moussa Bolly

 

Par Le Reflet

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