Le putsch par démission : Une technique inventée par la CEDEAO

Choguel Maïga a déclaré, le 24 août 2020, dans un débat sur une chaîne privée, que la priorité d’un pays est la sécurité. Et que la sécurité du Mali, c’est d’abord une armée professionnelle, avec, notamment, une armée de l’air performante pour traquer les terroristes sur son immense territoire. Le vendredi 28 août, le Premier ministre japonais Shinzo Abbe a annoncé lors d’une conférence de presse, sa prochaine démission pour raison de santé, pour que ses résultats ne soient pas compromis, a-t-il dit, par une santé désormais défaillante. Ce même jour 28 août, la CEDEAO, organisation sous-régionale à vocation principalement économique, laisse tomber ses sanctions contre le Mali, confirmant celles déjà prises illégalement par le président de la Commission (puisqu’il n’a pas cette prérogative),  dès le premier jour de la prise de pouvoir par les militaires. Enfin, ce lundi 7 septembre, à son 57e sommet ordinaire à Niamey, l’organisation sous-régionale, sûre d’elle-même, lance un ultimatum au Comité National pour le Salut du Peuple : si un président civil n’est pas nommé dans une semaine, les sanctions seront maintenues. Mahamadou Issoufou, le président nigérien et président en exercice, avait déclaré à l’ouverture du sommet : « Nous demandons à la junte de nous aider à aider le Mali », c’est-à-dire de se plier à ses exigences pour obtenir la levée du blocus. La CEDEAO a-t-elle jamais « aidé » le Mali ? A l’occasion de ses ingérences dans les affaires intérieures de ce pays, n’a-t-elle-même pas fait la géniale invention de ce qu’on peut appeler le putsch par démission ?

 

Le Mali au sein de la CEDEAO.

Pour en revenir aux propos de Choguel, une armée, c’est pour faire la guerre, d’où qu’elle vienne, de pays naguère amis ou des rebelles. Elle permet de sécuriser le pays, car, comme dit l’adage : « qui veut la paix prépare la guerre ». La politique d’Houphouet-Boigny en la matière fut de placer la Côte d’Ivoire indépendante sous l’aile protectrice de la France et de l’OTAN, à l’époque où la guerre froide battait son plein, ce qui lui permit, outre l’assurance de la stabilité intérieure, d’investir dans l’économie d’importants fonds qu’eût englouti le budget de la défense. Nos premiers dirigeants, sans l’admettre aussi clairement (notamment parce que notre territoire n’abritait aucune base militaire étrangère), avaient confié le pays au camp socialiste, et l’armée était entièrement équipée et entraînée par l’Union soviétique et ses alliés. Le Mali avait des chasseurs Mig dans son armée de l’air et des Ilyouchine 14 et 18 pour l’aviation civile. L’éclatement de la Fédération du Mali entraîna avec le Sénégal une brouille qui s’ajouta au vieil antagonisme avec la Côte d’Ivoire (chef de file de l’Entente, l’ennemie déclarée de la Fédération du Mali). L’Entente comprenait la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute-Volta (Burkina Faso), le Dahomey (Bénin), ces deux derniers étant des transfuges du RDA. La République Soudanaise prit alors le nom de République du Mali (le 22 septembre devenant ainsi la date officielle de notre indépendance, étant entendu que le 4 avril en demeure la date historique), avec, depuis, un autre souci stratégique : sortir de sa continentalité, un handicap qui met le pays à la portée de ses ennemis d’alors et d’aujourd’hui. Senghor ne put maintenir le blocus au-delà d’un an (et l’on peut penser que ce grand homme et ami du peuple malien ne le voulait pas), tandis qu’Amadou Hampaté Ba, ambassadeur de bonne volonté, grand patriote, s’exilait en Côte d’Ivoire « pour garder le port d’Abidjan », selon ses propres termes, en mettant en œuvre son amitié personnelle avec Houphouet-Boigny. Il faut dire que ce dernier, tout en respectant le peuple malien, qui le lui a toujours rendu,  jaloux de la liberté de sa « chère Côte d’Ivoire » et de celle de chacun des nouveaux pays africains, mettait fortement en garde contre le carcan des ensembles sous-régionaux. A l’indépendance, sans accès à la mer, le Mali redevient le simple « territoire » enclavé qu’il était à l’intérieur de l’AOF, auquel d’anciens territoires du même ensemble sous-régional peuvent imposer deux embargos en l’espace de huit ans…

C’est la raison pour laquelle, angoissés, nos dirigeants se sont dits prêts à céder tout ou partie de la souveraineté nationale pour réaliser l’unité africaine, noyant ainsi le bébé de la souveraineté dans l’eau de bain de l’unité. Ainsi le Mali est membre fondateur de l’Organisation de l’unité africaine en 1963 et accueille en 1975 la création de la CEDEAO. C’était bien là le dilemme du Royaume Uni au sein de l’Union européenne et le piège qu’il a voulu éviter. On sait le choix qu’elle a fait depuis lors. Mais le Royaume Uni a comme prolongement naturel les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le lien de sang étant encore plus fort que les considérations géopolitiques. Elle a utilisé ce lien pendant les deux guerres mondiales, laissant la France pantoise, même avec l’apport de ses colonies, dont De Gaulle était si fier. On peut dire que ce lien de parenté et son insularité avec domination sur les mers ont garanti sa souveraineté pendant les trois siècles derniers.

ATT et IBK face à la CEDEAO

Quant au Mali, par deux fois, sa souveraineté a été violée. En mars 2012, on a invité (ou forcé ?) ATT à démissionner pour pouvoir mettre en place une transition « normale », selon la conception légaliste des hauts fonctionnaires internationaux de la CEDEAO. Ces anciens chefs d’Etat ou Premiers ministres n’ont perdu ni le goût du pouvoir, ni celui des revenus confortables, et ils ne laisseront pas facilement déstabiliser leur microcosme de VIP. Peu importe que ce bidasse d’Amadou Aya se morfonde sept petites années en prison, même s’il est très populaire et porte l’espoir du peuple, ou qu’un Dioncounda Traoré, délogé de Koulouba par la foule en colère, assure la présidence de la République, comme par procuration. ATT aura-t-il les palmes du patriote qui a évité à son peuple le blocus de la CEDEAO ? Laissera-t-il plutôt le souvenir de celui qui a inauguré les sanctions et l’emprise de la CEDEAO ? Et que dire du silence de la même CEDEAO sur les accointances d’IBK avec le putschiste de 2012, le Général Amadou Aya Sanogo, mis en liberté en janvier dernier, en catimini, sans explication? A quand la poursuite de son procès ? Cette question a un rapport direct avec l’actuelle transition, c’est bien évident. Sous le masque du légalisme, la CEDEAO a, au contraire, inventé la démission comme mode de coup d’Etat, imitée en cela huit ans plus tard par le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP). La CEDEAO a soutenu le CNDRE d’Amadou Aya Sanogo, raisonne la junte : pourquoi pas nous ? D’où le putsch par démission perpétré le 18 août 2020 pour lequel elle reçoit des félicitations en Afrique et dans le monde.

Pire : elle a soutenu le putschiste (sic) ATT, l’a fait revenir triomphalement de Dakar dans l’avion présidentiel malien. Qu’on voie pourtant son parcours. Après son coup d’Etat du 26 mars 1991, ATT dirige une transition de douze mois et revient en 2002 à la faveur d’un amendement de la Constitution, qui interdisait les candidatures individuelles : il parle alors de « consensus » comme mode de gouvernance.  Mais la CEDEAO n’est pas d’accord que le CNSP parle de démission volontaire d’IBK et qu’il nie avoir fait un coup d’Etat !

On sait que l’organisation sous-régionale ne veut pas perdre sa crédibilité (dicit ADO). On sait depuis le sommet de Niamey comment elle entend procéder : faire démissionner le CNSP, l’envoyer en taule après avoir aidé le Mali à rétablir l’ordre constitutionnel. Le cadre de cet édito ne suffira pas à évoquer les troubles graves qui surviennent en ce moment même en Côte d’Ivoire et en Guinée à l’occasion de problèmes constitutionnels, ni, au Niger, l’affaire Hama Amadou, un ancien président de l’Assemblée Nationale qui vient de passer un an en prison.

La CEDEAO et le problème de Kidal

Le problème de Kidal a un rapport évident avec celui de la CEDEAO, pour quiconque ne veut pas occulter les faits. L’organisation sous-régionale a refusé d’intervenir militairement contre la Coordination des Mouvements armés  de l’Azawad (CMA), ni même financièrement, alors même que Dioncounda l’a saisie en même temps que la France et l’ONU. La CEDEAO s’en prend à présent au CNSP après avoir envahi la Gambie de Yahya Jammeh en 2016. A en croire qu’elle est manipulée par la France, qui, redoutant une influence de l’Imam sur les militaires, a, dans sa première réaction, demandé à ceux-ci de poursuivre la guerre contre les Jihadistes. En effet, le péché mignon de Yahya Jammeh, lorsque les troupes de la CEDEAO le chassaient du pouvoir, n’était sûrement pas le trucage des élections, qu’il n’avait peut-être pas perdues, mais, pire qu’un putschiste impénitent, d’être un islamiste déclaré. Pour le Mali donc, la France et la CEDEAO, c’est Charybde et Scylla : l’une et l’autre veulent bien intervenir contre les jihadistes, qualifiés de terroristes, mais pas contre la rébellion armée séparatiste de la CMA, qui a son armée, son drapeau, son hymne national et a refusé que l’armée malienne, même « reconstituée » (en février 2O20) et cantonnée à Kidal accueille à Kidal le Premier ministre Boubou Cissé avec le drapeau malien et l’hymne national. Pour rappel, la CMA avait interdit l’accès de Kidal au Premier ministre Moussa Mara en visite d’Etat et obligé IBK à signer avec lui un cessez-le-feu qu’elle brandit depuis comme un titre devant lui valoir reconnaissance internationale.

La Fédération de Russie, la République Fédérale d’Allemagne, la Turquie et l’Union européenne sont autant de puissances qui, pour des raisons fortes liées à leur histoire, peuvent aider le Mali à déjouer le complot de la partition, à sortir du même coup de la CEDEAO, en attendant de trouver un pays côtier avec lequel faire une fédération définitive, voire une fusion.

Ibrahima KOÏTA, journaliste

La Lettre du Mali

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