Ismaïla Alhassane: ‘‘Il y a un pas à ne pas franchir pour le confort de la démocratie et des libertés individuelles au Mali’’

Dans la tribune qui suit, Ismaïla ALHASSANE, Consultant, s’inquiète du statut hybride de la CMAS à cheval sur la religion et la politique ; d’autant plus que le religieux pourrait progressivement grignoter sur le terrain politique et s’y installer confortablement. Aussi, tout en dénonçant les maux du régime actuel, il pense que nous devons affronter notre destin, en n’acceptant pas dès à présent l’inacceptable.

 

L’esprit humain est magique et phénoménal, capable de ‘’cécité volontaire’’, je m’en suis aperçu toute cette soirée du 23 juin. Lorsqu’on s’aperçoit qu’on est le seul à parler de quelque chose vu de ‘’tout le monde’’, de deux choses l’une : soit on est un illuminé, ou un fou. J’espère ne pas être dans le second cas !!!
Monsieur Kaou Djim a précisé et avec insistance ce soir lors du débat télévisé du 23 juin sur l’ORTM1, qu’ils (CMAS) sont politiques, ce que beaucoup comme moi ne savaient pas. Mais bizarrement je n’ai vu personne en parler sur les réseaux sociaux, comme si c’est anodin, peut-être bien que ça l’est pour quelques-uns voire beaucoup de mes compatriotes. Suis-je le seul à voir cela d’un mauvais œil ? Surement pas !
Même s’il y a quelques associations membres de la CMAS qui ne parlaient pas religion avant, l’homme qui a fait l’objet de la création de cette Coordination est l’Imam Mahmoud Dicko. On peut sans risque de se tromper dire que cette coordination est teintée religieuse. Il est vrai que notre analyse pèche par le fait que nous n’avons pas lu leur statut, mais les propos et actes de Monsieur Djim parlent d’eux-mêmes.
CMAS est donc une association politique, qui est très impliquée dans la recherche de la démission du Président de la République SE Ibrahim Boubacar Keïta. Elle travaille avec des partis politiques et chose assez remarquable, c’est à leur siège que tout se passe au détriment des partis politiques pratiquement inféodés, grâce à la forte personnalité de leur parrain certainement.

La collusion entre politique et religion
Personnellement ça m’a inquiété, cependant je suis musulman et fils de marabout, mais je continue de dire par conviction que la collusion entre politique et religion est périlleuse pour la démocratie et je pense que nous ne voulons pas du péril de la démocratie au Mali. Je rappelle le dicton : ‘’ petit à petit l’oiseau fait son nid’’, et progressivement le religieux risque de grignoter sur le terrain politique jusqu’à s’y installer confortablement. Je suis tenté de rappeler le conseil méthodologique et stratégique que Droukdel a donné à ces hommes lorsqu’ils ont repris la ville de Tombouctou au MNLA – ‘’il a conseillé la théorie de la grenouille dans de l’eau sur un feu doux’’. (Pour qui veut mieux savoir, mon adresse mail ci-dessous).
Je pense que dans le contexte actuel, beaucoup ne seraient plus dans le discernement, cependant en dépit des difficultés, nous devons éviter de faire les raisonnements simplistes du genre. Je suis musulman et je n’ai pas peur de cette interférence. Réfuter cette collusion ne veut pas dire qu’on a peur de l’Islam ou qu’on ne veut non plus que les religieux parlent de politique, bien au contraire ; c’est de politique qu’ils doivent parler, pour être garant des équilibres et arbitre si besoin, mais il y a un pas à ne pas franchir, celui de faire la politique, autrement en devenir partisan.
Je précise que mon propos n’est ni pour combattre un religieux encore moins la religion. Je lève donc toute équivoque et toute interprétation facile qui pourrait sortir mon analyse et mes propos de leur contexte. Les champs me semblent assez bien délimités, un religieux qui veut faire la politique laisse son chapelet et regagne les politiciens, c’est juste cela que nous disons afin de ne pas utiliser la religion à des fins personnels.
J’apprécie le rôle d’éveil des consciences de l’Imam Mahmoud Dicko, je salue l’altitude qu’il a atteint, je le soutiens tant qu’il reste dans cette posture de rappel aux valeurs éthiques et de justice, posture dans laquelle est resté jusqu’à son rappel à Dieu un autre homme de Dieu, Monseigneur Luc Sangaré, paix à son âme.

Refuser l’inacceptable
Même si je dénonce comme beaucoup de Maliens les maux du régime actuel qui sont portés par le M5-RFP, je pense que nous devons affronter notre destin avec courage, fermeté et franchise, en n’acceptant pas dès à présent l’inacceptable.
A mon avis, si les partis politiques du M5-RFP ne peuvent pas se refuser ce qu’ils ont reproché à IBK, c’est-à-dire l’association avec les chefs religieux, alors on peut sans risque de se tromper affirmer qu’il y a anguille sous roche. Ils ne mériteraient pas alors d’être suivis par le peuple dont ils se réclament. Ils doivent se rappeler que les mêmes causes produisent les mêmes effets, travaillons à mettre le pays à l’abri. Il faut se rappeler que pour le multipartisme, pour plus de démocratie, et plus de libertés individuelles il y a eu du chemin et beaucoup de victimes déjà avant l’indépendance, et avant 91.
Je ne souhaite pas avoir raison à court ou moyen terme (l’horizon ne pouvant pas être le long terme à mon avis), mais si la tendance de la contestation se poursuivait et que le Président en arrivait à démissionner, tôt ou tard ceux qui ont toléré cette collusion par calcul malveillant vont le regretter, mais ce serait hélas trop tard. Il convient de rappeler que s’il y a une faute qui rattrape le Président IBK aujourd’hui c’est bien cela : la collusion avec les religieux en 2013, et les responsables politiques du M5-RFP le savent parce qu’ils le lui reprochent à chaque fois que d’utilité pour eux, et le sachant malgré tout, ces politiciens en quête de pouvoir s’acharnent à la rééditer ?
Les intellectuels de tout bord universitaires y compris, les acteurs de la culture, les organisations des femmes, tous ceux qui pensent comme moi que c’est un recul contre la démocratie et les libertés acquises, doivent dénoncer cette situation de collusion et de caporalisation des politiques par les religieux (de confession musulmane faut-il le préciser).
Oui je connais la réponse malencontreuse et mafieuse pour justifier cet arrimage de circonstance : les partis politiques, sans les religieux en ce moment, s’estiment ne plus être en capacité de mobiliser le peuple ; mais c’est là qu’ils se gourent, car l’Imam Mahmoud Dicko ne mobilise pas parce qu’il est simplement religieux, non ! C’est restrictif de l’homme.

Pourquoi l’Imam mobilise
L’Imam Dicko, parvient à mobiliser parce qu’à des moments précis du passé récent de notre pays, il a été du côté du peuple, ou du moins c’est cette lecture que celui-ci retient de l’homme. Il avait eu des prises de position tranchées qui l’ont ancré dans l’estime populaire, ce qui lui vaut d’être suivi maintenant. Ce sont les faits qui font l’histoire et cette histoire glorifie ou pas les hommes. On peut à cet effet rappeler entre autres, quelques faits comme : La dénonciation du Code de la famille…; la libération des otages militaires détenus prisonniers par l’extrémiste Iyad Agali ; la dénonciation de l’introduction de l’homosexualité à l’école ; la dénonciation du complot international pour la partition du Mali, sous l’égide de la France prétendument grand allié du Mali ; la dénonciation de la corruption et de l’injustice comme moyen de gouvernance…).
A l’occasion des rencontres officielles des Chefs des Institutions avec les Chefs de l’Etat (ATT, IBK…), pendant qu’il était le Président du Haut Conseil Islamique du Mali, il était l’un des rares qui saisissait l’opportunité pour rappeler les maux dont souffre le peuple et le devoir du Chef de l’Etat.
Voilà pourquoi l’Imam Mahmoud Dicko mobilise le peuple. Ce n’est donc pas seulement le fait religieux. Cet homme, pour le Malien lambda, symbolise l’autorité, il incarne la justice, le courage, la grandeur du Mali. Qui peut penser que cet homme n’était pas dans les grâces des régimes, surtout si on se rappelle sa proximité d’alors avec le Président IBK. Mais pour autant il s’assume, parce qu’il a de toute évidence un sens aigu de la responsabilité, une compréhension élevée de sa fonction et de sa mission.
La morale de tout ce rappel sur l’Imam Dicko était pour faire comprendre la véritable explication de l’entrainement des hommes et des femmes de plusieurs catégories sociales. On pourrait aussi en déduire que sauf leur respect, les politiciens dont certains sont des plus convaincants, n’étaient pas du côté du peuple quand ils étaient aux affaires. C’est pourquoi ils ne peuvent plus mobiliser, même au sein de leur formation politique.

La proposition
Si j’avais un format à proposer, ce serait le maintien du Président IBK, l’AN dissoute et un gouvernement de mission dont un PM consensuel doté de pleins pouvoirs pour réorganiser toutes les institutions, pour faire face aux priorités multisectorielles et préparer les élections de 2023.
Le Gouvernement doit être composé sur la base de profil et de compétence avérée, sans discriminer d’anciens ministres reconnus compétents.
Le Mali passe un CAP décisif de son histoire où il a besoin de toutes les énergies sans discrimination et d’exclusion à priori. Ceux en charge de la mise en route du nouveau système devraient innover dans les dispositifs pour libérer les initiatives de l’intérieur comme de la Diaspora.
Je pense que pour y parvenir efficacement, il faut prendre le temps de faire les bons choix des hommes et des femmes capables de sacrifice pour le Mali nouveau qui fédère tous ses fils du Nord au Sud, d’Est en Ouest.
C’est le type de gouvernement dans lequel, certains refuseraient même de participer, car la tâche sera ardue et les évaluations de performances pourraient lasser ceux qui n’ont pas l’habitude d’un tel environnement de travail exigeant.

Ismaïla ALHASSANE
Consultant – Bamako
[email protected]

Source : INFO-MATIN

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