Crise socio-politique au Mali : La junte n’a pas droit à l’erreur

Si l’intervention des militaires dans la crise socio-politique que connaisse notre pays depuis un certain moment a été saluée par les citoyens maliens parce qu’elle vienne parachever les nombreuses actions menées pour exiger la démission du président IBK et de celle de son régime même si certains qualifient cette intervention de coup d’État, cependant leurs agissements dès la prise du pouvoir font naître des inquiétudes.

 

Longtemps bâillonné, humilié et réduit à l’esclavage par des séparatistes et des djihadistes, le peuple malien, malade dans sa peau et dans son âme, a enfin décidé de prendre son destin en main. Ce qui s’est traduit par des manifestations et de protestations à l’encontre du régime corrompu et autocratique d’IBK, soldés par des morts et des blessés.

Depuis le vendredi 5 juin 2020, Bamako et les capitales régionales de même que la  diaspora, n’ont connu de répit. Les 5,19 juin 2020 et les 10, 11 et 12 juillet 2020 sont devenus des dates désormais inscrites dans les annales de l’histoire récente du Mali, en ce sens qu’elles marquent des moments forts qui ont sérieusement mis en mal le régime d’IBK. Ces mouvements de contestation et de protestation qui s’intensifiaient de jour en jour viennent connaître son épilogue avec l’intervention de la junte militaire qui a poussé le président IBK à la démission. De mémoire de Malien, jamais une irruption des militaires sur la scène politique n’a été saluée ainsi par les populations tant elles se sentaient lacées avec ce régime. Son soutien et sa joie, elle a tenu à les manifester, ce vendredi 21 août 2020, à travers un géant meeting tenu à la place de l’Indépendance où le monde entier fut témoin de la communion du peuple et de son armée.

Cette image que le peuple malien vient de lancer au monde entier montre à suffisance combien il accueille l’action de ses militaires qu’il juge salutaire et libératrice à juste titre, parce que pour lui, cette intervention des hommes en uniforme vient d’éviter à notre pays un massacre programmé car, il était évident que ce régime était prêt à user de tous ses moyens pour se maintenir.

Cependant, quelques jours après la chute d’Ibrahim Boubacar Kéita et de son régime, jugés dans sa forme comme intelligents mais dans son fond les agissements de ces jeunes officiers à la tête de l’État ne manquent de causer des inquiétudes voire des grincements de dents au sein du mouvement dont ils se disent avoir parachevé son action. De la négociation avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a abouti à la libération de l’ancien président Ibrahim Boubacar Kéita, de son Premier ministre, Boubou Cissé et du président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné à l’adoption d’un acte d’un acte fondamental leur conférant un statut juridique sans la moindre concertation de qui que ce soit, font tomber du glaçon dans l’eau du M5-RFP qui cherche à comprendre leur motivation. Erreur de jeunesse ? L’inexpérience politique ? Allez savoir. Il est  clair qu’à même qu’on ne badine pas avec le pouvoir qu’on vient d’arracher des mains d’autrui. Ça, la junte doit impérativement le savoir au risque de regretter amèrement leur injection sur la scène politique. Leurs attitudes, après la prise du pouvoir, ne sont pas de nature à encourager leur relation avec le mouvement du 5 juin à qui ils doivent leur légitimité.

Certes, l’on ne peut mettre en cause leur courage de même que leur volonté et leur engagement de faire un Mali nouveau, un Mali où l’on se sent fier et digne, un Mali de paix, un Mali unifié et réconcilié avec lui -même et envié et qui retrouverait avec fierté sa place  dans le concert des nations, mais faudrait-il qu’ils comprennent que leur rêve ne peut se réaliser qu’avec l’accompagnement et le soutien de l’ensemble du peuple malien. Et ce peuple se retrouve et se reconnaît dans le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) et partage  les idéaux du M5-RFP. Donc l’écarter dans leurs  négociations, comme certains le suggèrent, serait la plus grosse erreur à ne pas commettre. Ils  ne doivent en aucun cas oublier que leur collaboration avec ce mouvement est une nécessité existentielle pour eux. Car s’ils  demeurent  à présent, c’est parce qu’ils bénéficient du soutien de ce dernier. Et c’est  ce  soutien qui  leur confère cette légitimité qui les protège contre les pressions de la communauté internationale qui, à l’unanimité, reste  allergique à toute prise de pouvoir par les militaires. Ce qui justifie d’ailleurs l’intervention de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’intervention qui s’est traduite par la condamnation ferme et l’instauration d’un régime de sanction à l’encontre de notre pays le Mali, sanctions qui vont de la fermeture des frontières avec tous les pays membres de l’organisation avec le Mali à la suspension des transactions financières et bancaires en direction de notre pays.

Certes, ces sanctions sont lourdes et ses conséquences très dures pour notre pays surtout à l’état actuel, mais rien de tout cela ne peut justifier la négociation bipartite entre la CEDEAO et les militaires réunis au sein du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) sans la participation du M5- RFP et qui a abouti à des concessions majeures de la part de la junte. Tout porte à croire qu’ils n’ont pas mesuré toute la portée de leurs actes et les risques y afférant. S’ils pensaient, qu’en accédant à la demande de la CEDEAO de libérer le président IBK, son Premier ministre, Boubou Cissé, le président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, ils pouvaient obtenir de cette organisation une  certaine clémence pour annuler les sanctions imposées, c’était mal la connaître. Car, pour elle, malgré la démission confirmée par IBK lui-même et sa volonté de ne plus revenir dans son fauteuil, malgré le soutien populaire qui leur confère une certaine légitimité, aux yeux de l’organisation sous régionale ils ne sont que des putschistes et ne peuvent être traités autrement.

De ce fait, ils ne doivent en aucun compter sur cette organisation pour avaler la pilule qu’ils l’offre au contraire. Ils doivent s’en méfier pour ne pas subir le même sort que leurs prédécesseurs de 2012 en l’occurrence le capitaine Amadou Haya Sanogo et sa troupe. Car l’objectif de la CEDEAO est clair, il s’agit d’éliminer, ce que Mahamadou Issoufou a appelé, dans sa déclaration finale lors de la rencontre avec ses pairs de l’organisation par visioconférence sur la situation au Mali, “les démons des coup d’État au Mali“, dissuader les autres afin que soit bannie  pour toujours l’irruption des hommes en uniforme sur la scène politique..

Une autre grosse erreur à ne pas commettre, c’est de croire qu’ils peuvent choper la victoire du peuple. Ils doivent comprendre que si victoire il y en a, elle est celle du peuple et ce peuple se retrouve uniquement dans le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). S’ils se laissent emballer par ces dignitaires déchus, qui se sont battus bec et ongles pour le maintien de ce régime  et qui se présentent à eux comme conseillers neutres, apolitiques et totalement impartiaux, il est évident qu’ils se dirigent directement vers leur propre chute.

Ceux qui targuent à dire qu’il faille écarter tous les politiciens surtout ceux du M5-RFP, sont d’abord eux-mêmes les premiers politiciens, parce que, déchus ils n’ont plus rien à perdre, mais aussi, conscients que la réussite totale de leurs actions est dépendante de leur collaboration avec le M5-RFP, cherchent à créer le fossé entre eux et le peuple incarné dans le M5-RFP. Car, la réussite de cette collaboration entre le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) et le CNSP signifierait la fin définitive de tout leur privilège restant, comme le dit un adage bambara “Dugutiguikoro tè dugu gnale fè», traduction: «un chef de village déchu n’aime pas voir ce village prospéré». Alors vigilance ! Mes chers officiers, le peuple entier vous est à l’œil. Attention! À ne pas le décevoir. Car, comme l’avait dit l’ex- président Amadou Toumani Touré  (ATT), lors de la transition en 91-92 en ces termes, s’adressant au politiciens Vous qui êtes pressés de prendre le pouvoir, si j’échoue aujourd’hui vous allez échouer demain“.

Ces propos, je vous les renouvelle en disant ceci: «vous avez pris la lourde responsabilité de vous hisser au devant de la scène en poussant le président Ibahim Boubacar Kéita à la démission parachevant ainsi la révolte populaire contre ce régime, vous avez l’obligation de réussir cette transition vers l’avènement d’un régime réellement démocratique avec à la commande un président élu  à l’issu d’une élection juste, libre, équitable et crédible ne faisant l’objet d’aucune contestation et si vous échouez c’est tout le peuple malien qui échouerait».

L’espoir de tout un peuple repose désormais sur vos épaules. Pour un officier de l’armée, la mission est sacrée et sa réussite est plus qu’un devoir mais une question d’honneur, alors ne décevez votre peuple.

Daouda DOUMBIA

Inter De Bamako

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