Crise de confiance CNT – Gouvernement : du plomb dans l’aile des réformes ?

La promulgation par le Président de la transition de la loi N°2022-019 du 24 juin 2022 portant loi électorale a parachevé la première des actions prévues dans le 3ème axe du Plan d’action du gouvernement (PAG), consacré à l’organisation des élections générales. Suivront d’autres réformes politiques et institutionnelles et des actions dont l’exécution entre directement dans la préparation de ces élections. Mais l’adoption de la nouvelle Loi électorale a mis au grand jour des divergences entre le Conseil national de transition (CNT) et le gouvernement. De quoi présager de difficultés quant à la mise en œuvre des réformes en attente ?

 

Le 17 juin, lors des débats avant l’adoption de la nouvelle Loi électorale, le CNT ressemblait plus à une assemblée dont, dans un contexte d’ordre constitutionnel normal, la majorité était acquise à l’opposition au pouvoir en place plutôt qu’à une institution transitionnelle dont les membres ont été nommés par le Président de la transition, tant l’atmosphère de tensions entre les membres de l’organe législatif de la transition et les représentants du gouvernement était palpable.

 

« Le gouvernement ne se reconnaît pas dans ces modifications, (92 amendements, Ndlr) », a clairement signifié Mme Fatoumata Sékou Dicko, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des Réformes politiques et institutionnelles.

Le CNT, qui a largement amendé le projet de loi initial du gouvernement, a fini par l’adopter à une écrasante majorité à l’issue du vote : 115 voix pour, 3 contre et 0 abstention. Comme l’on pouvait s’y attendre, cette adoption au niveau du Conseil national de la transition a divisé l’organe législatif et le gouvernement, avec à sa tête le Premier ministre Choguel Kokalla Maiga, mais a été en grande partie favorablement accueillie par une bonne partie de la classe politique.

« Le Cadre salue l’esprit d’inclusivité et de co construction qui a animé les membres du Conseil national de transition, tant prôné par le Cadre pour l’examen et l’adoption dudit texte. (…) Il se reconnaît dans beaucoup d’amendements adoptés par le Conseil national de transition », a réagi le Cadre d’échange des partis et regroupements politiques pour une transition réussie, regroupant entre autres l’EPM (Ensemble pour le Mali, coalition de l’ex-majorité présidentielle), l’Alliance Espérance Nouvelle – Jigiya Koura, l’Asma-CFP et Yelema. Le parti de l’ancien Premier ministre Moussa Mara n’a d’ailleurs pas manqué de saluer la « démarche inclusive, constructive et démocratique conduite par le CNT et ayant permis une nette amélioration de la qualité du texte initial ».

L’Adema, de son côté, s’est réjoui d’une « nouvelle loi qui reflète les aspirations profondes des forces vives de la Nation, et, certainement, celles de la communauté internationale ».

Mais naturellement, pour sa part, le M5-RFP, lui-même divisé depuis plusieurs mois, a vu la partie fidèle au Premier ministre monter au créneau pour présenter dans un long mémorandum, ses « griefs contre les amendements du CNT au projet de loi électorale », dénonçant une « dénaturation profonde du projet de loi par le CNT », qui entre dans une « vaste stratégie globale et multiforme de déstabilisation de la transition, en collaboration avec certaines forces hostiles au changement et à l’idée même du Mali Koura ».

Une promulgation et des « non-dits »

Désaveu. Le mot est revenu plusieurs fois dans l’opinion publique après la promulgation de la nouvelle Loi électorale par le Colonel Assimi Goita, en dépit du mécontentement du gouvernement vis-à-vis des amendements apportés au texte par le CNT et aussi de la suggestion de la branche du M5 proche du Premier ministre Choguel Maiga de le renvoyer en deuxième lecture. Pour certains, le président de la transition aurait à travers cet acte, isolé le Chef du gouvernement, qui en réalité est le porteur du projet de loi initial.

Dr. Brahima Fomba, analyste politique et professeur à l’USJPB, n’est pas de cet avis. Pour ce dernier, il ne s’agit aucunement d’un désaveu du Président de la transition vis-à-vis de son Premier ministre et du gouvernement, parce que le fait que le  projet de loi ne soit pas passé tel que voulu au CNT « n’engage pas que le Premier ministre ».

« Le projet de loi initial a été délibéré en Conseil des ministres, sous la présidence du Colonel Assimi Goita. Du coup, cela l’engage totalement. Un projet de loi ne peut pas passer en Conseil des ministres sans que le Président soit d’accord », relève celui pour lequel le Président de la transition a plutôt « arbitré » en tenant compte « d’éléments extérieurs » à la situation interne.

« Personnellement, je pense que le Président semble avoir précipité la promulgation de cette loi sous la pression de la CEDEAO. Il a voulu anticiper sur le sommet du 3 juillet, pour donner des gages à la communauté sous-régionale, et ce facteur a probablement pesé dans sa décision », indique Dr. Fomba, qui est convaincu que le Président de la transition a promulgué la loi non pas en désaccord avec le Premier ministre mais avec peut-être un consensus stipulant qu’elle serait relue par la suite.

« Il se peut aussi que le Président de la transition ait promulgué la nouvelle Loi électorale juste pour être dans les bonnes grâces de la CEDEAO, la loi pouvant être révisée à tout moment », appuie également l’analyste politique Boubacar Bocoum, soulignant que jusqu’à preuve du contraire le Président de la transition et son Premier ministre sont dans la même dynamique.

Impact sur les prochaines réformes

Même si certains analystes s’accordent à dire qu’il n’y a pas jusque-là de disfonctionnement majeur entre le CNT et le gouvernement, qui puisse impacter considérablement, de manière négative, la suite des réformes politiques et institutionnelles, d’autres, en revanche, craignent des conséquences fâcheuses.

Selon l’enseignant-chercheur à l’USJPB Daouda Traoré la principale serait « le fossé qui peut se créer entre le CNT et le gouvernement. La cohésion gouvernementale va forcément en pâtir ».

Toutefois, du point de vue de M. Bocoum, l’atmosphère de tensions survenue entre le Conseil national de transition et les représentants du gouvernement lors du processus d’adoption de la Loi électorale ne changera « absolument rien » pour l’adoption des autres réformes prévues dans le Plan d’action du gouvernement (PAG).

« Le PAG, c’est sous l’impulsion du Président de la transition. Ces deux institutions travaillent exactement pour la même personne. Le CNT n’est pas un organe élu qui se met à la disposition d’une opposition. Donc, dans tous les cas de figure, tout le monde travaille pour le Colonel Goita. Je ne vois pas de problème », soutient l’analyste politique.

« Après, quand on est dans une réflexion intellectuelle, il peut avoir des divergences de points de vue, mais je pense que cela ne change pas fondamentalement l’essence du travail, qui demeure collégial et dont le leader est toujours le Président  Assimi Goita. Je pense que s’il y a un disfonctionnement par la suite, c’est lui qui va toujours trancher », ajoute-t-il.

Même son de cloche chez Dr. Brahima Fomba, qui pense que tant que le duo « Président de la transition – Premier ministre » existera le Président supportera ce dernier et restera le seul véritable maitre d’œuvre dans la conduite des réformes.

« Quoi qu’on dise ou quoi qu’il se passe, toutes les réformes restent sous la direction du Président de la transition. Jusqu’à preuve du contraire, s’il ne se débarrasse pas du Premier ministre, le processus va continuer comme cela. Il y aura peut-être de petits accrocs, mais pas plus que cela », avance-t-il.

Risques de blocages ?

Parmi les réformes politiques et institutionnelles qui doivent être menées dans les semaines et mois à venir, on note, entre autres, l’adoption d’une nouvelle Constitution, dont le processus a démarré avec le décret présidentiel portant création d’un Comité de rédaction de l’avant-projet, la relecture intelligente de l’Accord pour la paix et la réconciliation, la relecture de la Charte des partis politiques et la loi organique régissant le nombre de sièges des députés. Cette dernière, selon Dr. Fomba, risque d’être la plus difficile à mener.

Autant l’analyste est optimiste sur l’entente et la cohésion entre les institutions au sommet de l’État, autant il émet des craintes sur l’aboutissement consensuel d’une relecture de cette loi organique. « Il risque d’être plus facile de rédiger la nouvelle Constitution et de la faire adopter que de modifier la loi organique sur les députés, quand on voit qu’on a mis la charrue avant les bœufs », craint-t-il.

« Traditionnellement, au Mali, on fait la réforme territoriale d’abord. Ensuite on essaye de faire des circonscriptions administratives et ensuite des circonscriptions électorales. Mais là, l’organisation territoriale même est gangrénée par l’approche politique de la circonscription électorale, ce qui rend quasiment ingérable le processus », explique Dr. Fomba.

Mais, malgré cela, l’universitaire soutient que les éventuels blocages dans le processus des réformes seront plus dus à des pressions externes, surtout sur le timing, qu’à des considérations internes au pays, encore moins à une opposition quelconque entre les institutions de la transition, en l’occurrence le CNT et le gouvernement.

« Pour toutes les choses qui vont « parasiter » le chemin vers les élections, comme le souhaitent principalement la CEDEAO et la communauté internationale, en l’occurrence cette loi organique, qui, selon moi, va poser beaucoup de problèmes. Il y a ce risque à ne pas écarter, que le gouvernement fasse des concessions et qu’on laisse tomber la relecture de la loi pour plus tard », analyse-t-il.

« Il ne s’agira pas d’un blocage CNT – Gouvernement, mais de la dynamique politique. Au niveau du découpage pour l’attribution des sièges de députés, certains ont l’impression que des minorités sont privilégiées au détriment de la majorité. Cela peut amener des complications politiques, mais au-delà de cela je ne pense pas que cela pourrait être la base d’un dysfonctionnement entre les institutions de la transition », souligne également pour sa part l’analyste politique Boubacar Bocoum.

Par ailleurs, du point de vue de Dr. Brahima Fomba, la recherche d’inclusivité au niveau du gouvernement actuel, sur le plan interne avec les différents acteurs, est influencée par un clivage politique profond.

« Aujourd’hui, il y a une lutte politique qui se mène et des adversaires très opposés. C’est ce qui limite un peu la volonté du gouvernement d’aller avec une partie de la classe politique, parce qu’il y a des divergences de fond et que c’est très difficile. Cela explique d’ailleurs peut-être le fait que les positions soient assez tranchées de part et d’autres », regrette l’analyste politique.

Mohamed Kenouvi

Source : Journal Du Mali

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