Cheick Sidi Diarra à propos de la sortie de crise : “il faut suspendre la 6è législature, le temps de rétablir les résultats proclamés par le ministère de l’Administration territoriale……c’est Manassa qui cause des troubles à l’ordre public et met en danger les autres institutions de la République et dans l’insouciance totale”

L’ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies, et ancien président du Comité national d’organisation du Dialogue national inclusif (DNI), Cheick Sidi Diarra prend ses distances avec la gestion « désastreuse et prédatrice » du régime d’IBK et propose des solutions pour sortir le pays de la crise politique actuelle. C’était lors d’une interview qu’il a accordée au journal L’Indicateur du Renouveau.

IR : Quel regard portez-vous sur l’actualité politique dans notre pays ?
CSD : La situation politique dans notre pays est très difficile. Nous avons une crise en cours dont le dénouement ne peut pas être prédit par quelqu’un. Je pense que depuis l’avènement au pouvoir de l’actuel président de la République, une crise n’a pas été aussi poussée que celle que l’on connait actuellement. La crise qui sévit maintenant n’est que la continuation d’une crise déjà préexistante avant le deuxième mandant, pendant et après l’élection présidentielle. Notre pays est confronté à une grave crise de gouvernance politique, économique et financière due au manque de vision des dirigeants. Tout le pays est fatigué d’attendre de savoir où est ce que nous allons. La jeunesse attend, depuis 7 ans, de savoir où est ce que nous allons. On est passé de crise en crise. A l’issue de l’élection présidentielle de 2018, on a trouvé une formule pour apaiser le climat politique et social dans le pays. C’était de tenir le Dialogue national inclusif que moi-même j’ai eu l’honneur et la chance d’être choisi pour diriger ce dialogue. Mais les deniers développement ont accéléré les choses. Je crois qu’on n’avait jamais atteint un tel niveau de décision arbitraire, d’insouciance des autorités dans le pays parce qu’elles n’avaient pas jaugé les risques que le pays courrait. C’était comme une fuite en avant. Ce qui s’est passé, c’est que le président de la République a invoqué une résolution du Dialogue national inclusif prescrivant la tenue des élections législatives dans les trois mois qui suivaient la clôture du dialogue, dans tous les cas avant le 2 mai 2020. C’était légitime parce que, le 2 mai 2020, le mandat de l’Assemblée nationale expirait après deux prorogations. Malgré la survenue du Coronavirus, et les critiques de l’opposition, le président de la République a tenu à ce que ces élections aient lieu. Finalement elles ont lieu dans des conditions sécuritaires qui étaient difficiles mais grâce à Dieu, il n’y a pas eu d’incidents majeurs. Mais là où ça fait mal, c’est qu’à l’issue des élections législatives, le vote du peuple a été pris en otage. Les résultats provisoires proclamés par le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, qui avaient été actés par l’opinion publique, ont été pris par la Cour constitutionnelle pour tordre le coup à la volonté du peuple et sortir un parlement à la volonté du président de la République et qui correspond aux besoins non avoués du président de la République. J’ai eu très mal parce qu’en tant qu’organisateur du DNI, il n’y a rien que je n’ai pas attendu de la part de l’opposition pendant la préparation du dialogue. Des responsables de l’opposition m’ont dit, nous ne venons pas parce que nous ne faisons pas confiance à l’homme qui doit mettre en œuvre les résolutions. Moi j’ai dit que dans la vie humaine, on peut faire des erreurs, mais on ne persiste pas dans l’erreur. Sinon c’est une malédiction. Cette fois-ci, on tient le bon bout et le Mali va sortir de la crise. Je parlais comme ça à tout le monde. Aujourd’hui, au nom du Dialogue national inclusif, on vient prendre les résultats des élections législatives pour les tordre le coup. J’ai pris les résultats proclamés par la Cour constitutionnelle comme un couteau dans le dos parce que ma réputation était en jeu. Des millions de Maliens ont été blessés par la décision de la Cour constitutionnelle. Et ça, c’était l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. A cause de ça, Il y a eu mort d’homme, les enfants ont été tués à Kayes et à Sikasso. Et pour rappel, depuis mars 1991 jusqu’à maintenant, aucune manifestation pacifique n’avait été réprimée dans le sang dans notre pays. C’est une tache noire de plus dans l’histoire démocratiquement du Mali. Ça n’en valait pas la peine. C’était le premier acte de la mise en œuvre des résolutions du DNI.
Parlant du DNI, où en sommes-nous avec le Mécanisme indépendant de suivi de la mise en œuvre des résolutions et recommandations du dialogue
Il a été demandé au président de la République de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi de la mise en œuvre des résolutions et recommandations du dialogue. De décembre à maintenant, ce mécanisme n’a pas été mis en place. Maintenant je comprends la raison pour laquelle, il n’a pas été mis en place. Le mécanisme mis en place, s’il est indépendant, il va gêner l’exécutif. L’exécutif choisit les recommandations et les résolutions qui lui plaisent et les met en œuvre de la façon qui arrange ses intérêts. Ce n’est pas ce qu’on cherchait à travers l’organisation du DNI. Je dis mon objection au fait qu’on utilise les résultats du dialogue pour assouvir les besoins partisans, personnels ou familiaux.

Quelle est votre point de la gestion de la pandémie de Covid-19 ?
CSD : Ma deuxième grande raison pour laquelle je suis gêné, c’est la gestion de la lutte contre la covid-19. Quand on a vu les premiers cas à Bamako et à Kayes, moi j’ai proposé avec d’autres personnes d’isoler Bamako et Kayes et protéger le reste du pays parce qu’en ce moment, toutes les infrastructures et tout le savoir-faire étaient à Bamako. Le comité scientifique que le président lui-même a mis en place a recommandé à deux reprises d’isoler Bamako et Kayes. Mais il ne l’a pas fait. Les deux seuls pays que j’ai vu faire ça, refuser l’avis de scientifiques, c’étaient les Etats-Unis et le Brésil. On voit les conséquences pour ces pays aujourd’hui. C’est vrai que le président dispose le pouvoir pour décider, mais il ne peut pas savoir plus que les scientifiques. Tombouctou qui était épargné pendant deux mois, a eu 30 cas en un jour. Les Maliens doutent aussi des mesures sociales prises par le président de la République.

IR : Quelles sont vos relations avec le FSD-SAP ?
CSD : Le mouvement que je dirige et qui s’appelle “An Bè Faso Do” faisait partie du Front pour la sauvegarde de la Démocratie (FSD). Nous nous sommes battus contre les résultats de l’élection présidentielle de 2018 et contre la création du cadre de concertation de Soumeylou Boubèye Maïga. Quand il y a eu l’accord politique de gouvernance, nous avons décidé d’adhérer à cet accord pour aider à la recherche des solutions de sortie de crise. Nous avons des collègues qui sont ainsi rentrés dans le gouvernement. La durée de l’accord était un an. A l’issue de ça, on devait soit conclure pour renouveler l’accord, soit se réunir et continuer ensemble. Après les élections législatives, les partis du FSD-SAP qui ont eu des députés ont décidé de rejoindre le camp du président de la République sans renouvellement de l’accord, sans engagement et sans discussion. Moi, j’ai demandé sans succès une réunion du directoire du FSD-SAP. A ma grande surprise, j’ai vu que le FSD-SAP a signé le communiqué contre le rassemblement du 5 juin. Ça, je ne suis pas d’accord. Nous avons quitté le FSD-SAP.

IR : Etes-vous dans la majorité ou dans l’opposition ?
CSD : Nous ne sommes pas dans la majorité présidentielle. Nous sommes dans l’opposition. Je n’ai pas assumé de poste de responsabilité sous IBK à part l’organisation du DNI et un peu le sommet France Afrique, qui s’est terminé en queue de poisson. Je ne veux pas assumer de responsabilité à trois ans de la fin d’un double mandat sachant que c’était une gestion désastreuse et prédatrice.

IR : Que pensez-vous du rassemblement du 5 juin dernier ?
CSD : Je trouve que c’était extraordinaire, j’avais pensé que les forces de l’opposition étaient épuisées à force d’être réprimées. J’avais pensé que les Maliens s’étaient contentés d’encaisser le coup et d’attendre Dieu. Mais je me rends compte qu’il n’y a pas de renoncement. On ne peut pas se soumettre comme ça. On ne peut pas laisser le pays aller à la dérive, non pas du fait de l’incompétence des gens, mais de la mauvaise foi et de la fourberie de quelques personnes. On ne peut pas l’accepter. Nous ne sommes pas inscrits dans le mouvement du 5 juin, mais voulons une solution négociée. Même si le mouvement du 5 juin devait insister pour atteindre son objectif, nous voulons que ça se passe de façon pacifique et négociée. Le plus important c’est de négocier la sortie pour éviter des difficultés majeures au pays. Mais nous ne soutenons pas l’action du régime.

IR : Pour vous, quelles sont les solutions pour apaiser le climat politique, après le rassemblement du 5 juin ?
CSD : Je fais des propositions concrètes parce que je ne suis pas du genre à critiquer et ne rien dire. Il faut suspendre la 6ème législature, le temps de rétablir les résultats proclamés par le ministère de l’Administration et de la Décentralisation. Ce qui suppose qu’on casse l’arrêt de la Cour constitutionnelle et on trouvera les moyens de le faire afin de remettre dans leurs droits, les gens qui ont été donnés vainqueurs des élections législatives à Sikasso, Bougouni, Kati, en commune I, II, V, et VI du district de Bamako par le ministère de l’Administration territoriale. Dans ce cas, l’Assemblée nationale va choisir un nouveau bureau parce que, aujourd’hui, c’est ça la raison principale de la révolte. La 6ème législature pourra continuer après ça. Il faut débarrasser la Cour constitutionnelle de Manassa Daniogo en tant que présidente et si on peut le faire qu’on enlève les 7 autres avec elle parce qu’il y en a un qui est décédé, c’est Manassa qui cause des troubles à l’ordre public et met en danger les autres Institutions de la République et dans l’insouciance totale ; mettre en place le mécanisme indépendant de suivi de la mise en œuvre des résolutions et recommandations du DNI ; commencer la mise œuvre des résolutions et recommandations du DNI ; engager très vite les reformes politiques législatives et institutionnelles ; discuter avec les contestateurs sur le choix du Premier ministre, la composition du gouvernement et ses missions ; confier certaines prérogatives du président de la République au gouvernement, le président aura un droit de supervision. Depuis 7 ans, on attend le président de la République, on essaie de comprendre son approche, mais le pays n’est allé nulle part, on a reculé. Ce n’est pas normal. Je conseille à ceux qui veulent organiser des contre-marches de faire très attention. Il n’y a pas de raison pour organiser une contre-marche aujourd’hui. Pour les enfants qui sont morts à Kayes et à Sikasso, la question sera posée pour savoir qui a donné l’ordre de faire sortir les FORSAT et de tirer sur ces enfants. On a beau tout essayé, un jour viendra où les gens répondront de leurs actes devant la justice, on n’attendra même pas l’au-delà. Ça va se passer sur cette terre.

IR : Votre mot de la fin.
CSD : Personnellement je suis outré d’avoir été abusé inutilement par l’autorité parce qu’on m’a confié une responsabilité en me promettant d’honorer les engagements. Alors que du haut de mes 39 ans de carrière, j’aurai pu me passer de ça. J’ai été secrétaire général adjoint des Nations Unies, je ne vais pas me compromettre dans des choses aussi basses que ça. Il faut qu’on redresse ce pays, il faut faire en sorte que rien ne soit plus comme avant. Il faut chercher une issue négociée qu’on n’évite la violence à ce pays.
Propos recueillis par Abdrahamane Diamouténé

Source : l’Indicateur du Renouveau

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