Souleymane Dé, professeur de droit pubic : « De plus en plus on ne s’inscrit plus dans la légalité au Mali »

Recomptage des voix, récusation des membres de la Cour constitutionnelle, rôle des observateurs, Souleymane Dé, professeur de droit public nous éclaire sur certains aspects du processus électoral.

Que prévoit la loi lorsqu’un candidat qualifié au second tour décide de se retirer?

Même si un candidat désiste, une fois que l’arrêt de la Cour constitutionnelle est rendu, tout le monde y participe. C’était le cas pour Monsieur Tiébilé Dramé, lors du scrutin de 2013. Il a désisté mais pour autant son nom n’a pas été retiré, son bulletin non plus. C’est le même principe qui s’applique pour ce scrutin. Si le candidat qualifié pour le second tour dit qu’il ne participe pas au second tour, cela ne change absolument rien. Les élections se tiendront tout de même, avec ses bulletins. On ne repêche pas le troisième comme le prétendent certains. Le processus suit son cours. La seule chose qui peut arrêter les opérations électorales et qui est prévue par la loi, c’est le décès de l’un des deux candidats qualifié au second tour.

On entend beaucoup parler de recomptage ces derniers temps, que dit la loi en la matière ?

Le recomptage dans notre contexte n’est pas admis par la loi. On entend par exemple dire qu’il faut proclamer les résultats, bureau de vote par bureau de vote, mais c’est déjà fait. A la clôture des opérations de vote, il y a le dépouillement et chaque bureau de vote proclame ses résultats. Et les PV sont signés en 5 exemplaires. Le recomptage en cas de contestation n’est pas permis. Les requêtes en contestation sont soumises à la Cour constitutionnelle. C’est elle, qui en juge le bien-fondé.

Certains candidats parlent de récusation des juges de la Cour constitutionnelle, qu’en est-il ?

Il n y a même pas de débat sur cette question parce qu’il n y a aucun dispositif juridique au Mali qui prévoit une récusation des membres de la Cour constitutionnelle. Nous sommes prêts au débat pour éclairer la lanterne des Maliens. Il y a trop de confusion qui sont faites. Certains évoquent l’article 3, 8 ou 10 du règlement intérieur de la Cour constitutionnelle. Cela n’a rien à avoir avec la récusation du juge constitutionnel qui est impossible. C’est une requête qui est malheureuse et elle ne vise autre chose que l’obstruction du processus électoral. L’on ne peut pas non plus évoquer le statut de la magistrature. Celui du 16 décembre 2002, l’article 1er dit qu’il s’applique aux magistrats de l’ordre administratif et judiciaire. La Cour constitutionnelle ne fait pas partie de ces juridictions. Nous sommes très étonnés de voir ce débat juridique se poser. On évoque également le code de procédure. Il faut faire très attention. Soit nous sommes de mauvaise foi, soit nous voulons que les Maliens comprennent le droit. La procédure auprès des juridictions judiciaires est déterminée par un décret, tandis que c’est une loi qui l’établit auprès de la Cour constitutionnelle.

L’acceptation des observateurs est –elle une obligation pour l’Etat ?

L’acceptation des observateurs étrangers pour suivre un processus interne est juste une manifestation de bonne foi. Le Mali est un Etat souverain. L’observateur international ne peut imposer aucune vision ou aucune approche qui n’est pas inscrite dans notre corpus juridique. L’observation est basée sur 3 principes : observer, noter et transmettre. Le rapport d’une observation ne s’impose pas. Il ne peut faire que des recommandations. Cela n’a pas une force juridique à faire changer le processus électoral. C’est une insulte pour le Mali que des observateurs essayent de dicter notre conduite en matière électorale.

Par rapport à ce que vous observez, avez-vous des inquiétudes ?

En tout bon malien, on a des raisons d’en avoir parce que de plus en plus les juristes que nous sommes avons peur. Nous assistons à une défiance et à une méfiance vis-à-vis de l’autorité. De plus en plus on ne s’inscrit plus dans la légalité au Mali. Nous souhaitons contester dans la rue, nous souhaitons imposer notre vision par la violence, tout en ignorant qu’il existe des dispositions textuelles qui encadrent les procédures de contestation, y compris en matière électorale. Nous nous posons la question de savoir si nous sommes dans un Etat de droit. Si nous sommes dans un Etat de droit, nous laissons le droit se manifester, si nous ne sommes pas dans un Etat de droit, tous les Maliens sont dans leur légitimité d’avoir peur de ce qui va suivre.

 

Source: journaldumali

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