Une justice ignorante, naïve ou idéologique

Vu de ma fenêtre. La mise en examen de Vincent Bolloré ne peut que réjouir nos concurrents sur le continent africain, qui n’ont cure des principes moraux invoqués par nos magistrats.

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Les capitaux français répugnent à se hasarder sur le continent africain et la problématique francophone n’est jamais prise en compte par nos politiques. Pourtant, la France rayonnera demain à proportion du nombre de locuteurs de notre langue, dans un village planétaire où s’impose le basique dérivé de l’anglais. On raisonne, on rêve, on prie, on commerce dans une langue. La nôtre prévaut encore à titre officiel, sinon d’usage, dans une vingtaine de pays d’Afrique et les pionniers de la “négritude” tels Senghor ou Alioune Diop ne voulaient surtout pas dilapider cet héritage. La région s’ouvre aux échanges économiques et connaît une croissance soutenue en dépit de mille handicaps. Des liens affectifs ont survécu aux avatars de la décolonisation. Les fuseaux horaires nous rapprochent de ces pays du Sahel, du golfe de Guinée et du bassin du Congo qui alimentent les flux migratoires sur notre sol, autre raison de ne pas se désintéresser de leur sort.

Peu d’entrepreneurs français y sont aussi implantés que le groupe de Vincent Bolloré : il contrôle le transit par conteneurs dans plusieurs ports de la façade atlantique et par le fait irrigue les circuits de distribution. C’est une aubaine pour la France, en butte à la concurrence de plus en plus acharnée des Américains, des pays du Golfe, des Chinois, des Indiens, des Turcs, des Russes. Sans compter nos “amis” européens : Angela Merkel a effectué de nombreux déplacements en Afrique, et pas pour disserter sur les valeurs démocratiques. Avec les quadras qui peu à peu prennent les leviers de commande, les liens ont tendance à se desserrer. Reste l’atout de la langue et, tout de même, des connivences qui continuent de nous avantager. Or, des juges, peut-être de bonne foi, peut-être désireux de faire un carton, traînent Bolloré en justice et l’offrent en pâture à l’opinion. Un milliardaire en garde à vue, ça flatte à l’encolure le populisme que les médias vitupèrent par ailleurs. En l’occurrence, ça délivre un message aux chefs d’État africains : si vous faites des affaires avec la France, vous aurez les magistrats français dans les pattes.

Bolloré est soupçonné d’avoir “aidé” deux présidents à se faire élire ou réélire par le truchement d’Havas. Supposons que les faits soient avérés : il aurait agi comme tout investisseur de n’importe quel pays, sans exception aucune, ayant décidé de s’implanter sur n’importe quel marché, y compris le nôtre. Il faut, impérativement, être de mèche avec les décideurs. Il faut, subsidiairement, verser des commissions. La mentalité d’un chef africain ne ressemble pas à celle d’un pasteur norvégien ; des considérants ethniques et autres affectent sa notion du bien public. En feignant d’ignorer cette réalité pour se complaire dans la posture de l’indignation, on fait mécaniquement le jeu d’une concurrence qui connaît les usages et s’y conforme sans vergogne.

Il ne s’agit pas de cautionner la corruption (en diminution) et les agissements des margoulins qui, depuis les indépendances, parasitent les entourages présidentiels. Mais imputer leur lobbying (euphémisme) à une “Françafrique” postcoloniale fantasmée relève de l’anachronisme. Foccart est mort depuis belle lurette, la cellule africaine de l’Élysée et le ministère de la “Coop” n’existent plus. Des émissaires venus des cinq continents ont pour mission non avouée de ruiner notre influence politique et de réduire notre présence économique en Afrique de l’Ouest. La diplomatie des puissances actives sur le continent africain n’a cure des principes moraux ou juridiques invoqués par nos juges. Leur propre justice ne leur cherche aucune noise, au contraire. La guerre économique qu’elles poursuivent est sans merci, parce que leurs gouvernants en savent les enjeux. Autant dire que nos concurrents se réjouissent en voyant les unes de nos médias dézinguer le “milliardaire breton” — terme en usage dans les médias. Ils savent, eux, que la présence du groupe Bolloré en Afrique sert les intérêts de la France. Elle sert tout autant les intérêts des pays où ses activités font vivre des dizaines de milliers de familles. Par ignorance, naïveté ou vindicte, des Français s’évertuent à seconder ceux qui veulent nous éjecter d’Afrique. C’est bêtement suicidaire.

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