Daech : quel sort pour les djihadistes français détenus en Irak et en Syrie?

A quel traitement seront soumis les Français partis rejoindre le groupe Etat islamique en partie défait au Moyen-Orient? Quid des femmes et des enfants?

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Que faire des djihadistes français capturés en Irak et en Syrie, après que Daech a perdu l’essentiel du territoire qu’il détenait depuis 2014? “Nous avons des échanges permanents avec la justice irakienne, que nous reconnaissons”, a déclaré le président de la République, jeudi. “Ils sont allés sur place pour combattre avec Daech. Ce sont des ennemis, ils ont combattu la France, contribué aux attentats qui ont eu lieu dans ce pays”, a complété Jean-Yves Le Drian, sur Europe 1 vendredi. L’Express fait le point.

  • Combien de personnes sont-elles concernées ?

Le nombre de Français “en zone irako-syrienne est évalué à 690” par les services de renseignements, a précisé le procureur de la République François Molins à l’antenne de France Info. “Parmi eux, 295 femmes et 28 combattants mineurs de plus de quinze ans.”

Ceux qui sont encore dans la nature “sont tentés par un maintien sur zone. La majorité n’a pas très envie de revenir”, a pronostiqué le procureur. “Tous ceux qui sont identifiés ont été judiciarisés: ils font l’objet soit d’un mandat de recherche, soit d’un mandat d’arrêt”.

Pour autant, “le gouvernement français a fait le choix de ne pas mener de politique active de rapatriement”, explique à L’Express Youssef Badr, porte-parole du Ministère de la Justice.

  • Qu’arrivera-t-il aux combattants arrêtés en Irak?

“S’il y a des prisonniers en Irak, les choses sont simples: c’est aux autorités judiciaires irakiennes de traiter la situation des hommes et des femmes combattantes”, a affirmé Le Drian. Peu importe que l’Irak soit un pays en guerre, marqué par la corruption et que sa conception du droit soit plus opaque que celle de la France.

Les procédures judiciaires peuvent prendre du temps. “Certains pourraient être expulsés à l’issue de leurs procès”, observe Romain Caillet*, spécialiste de la mouvance djihadiste. Si les conditions de détention sont rudes dans les pays de la région, les militants peuvent cependant garder un espoir, tant qu’ils ne sont pas rentrés en France. Par le passé, des combattants sont parvenus à plusieurs reprises à s’évader des geôles irakiennes”, rappelle l’expert.

  • La question de la peine de mort change-t-elle la donne?

Interrogé sur le fait que la peine de mort est pratiquée en Irak, le ministre de la Défense a répondu que les personnes concernées “bénéficieront de la protection consulaire”. De quoi s’agit-il? Principalement de visites en prison, de la livraison du courrier des familles, voire de protestations, pas d’une remise en cause d’une possible peine capitale. “Au mieux, le consulat peut leur mettre à disposition un avocat”, indique Sophie Mazas, avocate au Barreau de Montpellier et présidente de la Ligue des Droits de l’Homme de l’Hérault.

Sur son site, le Quai d’Orsay proclame pourtant que la peine de mort “est une violation des droits de l’Homme”, ajoutant que “son application est interdite par de nombreux textes internationaux.” Mais dès lors qu’elle reconnait la souveraineté de l’Irak en matière judiciaire, “la France ne peut pas grand-chose de plus, note l’avocate. Il lui est impossible -en vertu d’une décision de la cour européenne des Droits de l’Homme, l’arrêt Soering, d’extrader un justiciable dans un pays passible de la peine de mort. Mais elle ne peut rien si le prévenu est jugé sur le sol irakien”, précise l’avocate.

  • Quid des personnes retenues par d’autres acteurs régionaux?

Le sort des djihadistes détenus en Syrie est plus incertain. “Il n’y a pas de gouvernance avérée” et en conséquence la France saisit “pour l’instant, à chaque cas identifié, la Croix rouge internationale”, a déclaré Jean-Yves Le Drian.

La France n’a pas de liens diplomatiques avec le régime de Bachar el-Assad. Elle ne semble pas non plus pressée de récupérer les combattants détenus par les rebelles syriens. “Certains d’entre eux ont essayé d’entrer en contact avec Paris pour discuter d’une livraison de djihadistes, avance Romain Caillet. Paris a opposé une fin de non-recevoir”.

Et comment la France pourrait-elle négocier avec les Kurdes de Syrie (qui ont repris Raqqa, l’ex-“capitale de l’EI”) ? Les YPG, les forces militaires Kurdes sont une émanation du PKK, considérée comme une organisation terroriste en Europe…

Dans tous les cas, la présence de djihadistes peut être utilisée par ceux qui les ont capturés comme un objet de marchandage, souligne Wassim Nasr*, journaliste spécialiste de la menace djihadiste. “A ce stade, on n’a pas de connaissance de Français tombés aux mains de l’armée syrienne ou du Hezbollah”, la milice libanaise venue au secours du régime. Mais si cela se produisait, “ils seraient un moyen de pression diplomatique”, ajoute l’expert. La Syrie d’Assad pourrait les utiliser comme monnaie d’échange contre une reconnaissance diplomatique, par exemple.” A ce titre, l’intérêt de la France serait de les récupérer, afin d’éviter de possibles chantages dans les années à venir”.

  • Que va-t-il se passer pour les femmes et les enfants?

Leur sort sera traité “au cas par cas”, a déclaré Emmanuel Macron. Pour sa part, François Molins a mis en garde contre “toute naïveté” à leur égard. “Certains ont été formés au maniement des armes (et) dans le même temps les appels au djihad s’adressent aussi aux femmes et aux mineurs”, a-t-il ajouté.

Les femmes “parties sur zone”, “sont systématiquement judiciarisées, sauf à démontrer l’existence d’un élément de contrainte’, précise Youssef Badr, porte-parole du ministère de la Justice. Leur rôle n’était pas purement domestique, selon lui. Il “s’inscrit dans la construction de l’EI par la formation à l’éducation des enfants qu’elles assurent, leur soutien et leur adhésion au projet du Califat”. C’est pourquoi, après leur mise en examen, “elles peuvent être soit placées en détention provisoire, soit placées sous contrôle judiciaire”.

La plupart des enfants “présentent un niveau de traumatisme et de fragilité psychologique extrême qui impose de recourir à une évaluation transdisciplinaire” complète Youssef Badr, dans le cadre d’un dispositif instauré en mars 2017 qui mobilise l’ensemble des ministères concernés.

“Quel que soit leur âge, ils sont tous judiciarisés sur le plan civil, c’est à dire présentés à un juge des enfants pour une prise en charge en assistance éducative”, ajoute le porte-parole. Un bilan somatique et médico-psychologique est prévu, en vue d’une scolarisation, pour permettre la réinsertion d’une majorité d’entre eux.

Les mineurs “concernés par un traitement pénal et des mesures de contrainte (garde à vue) sont minoritaires, vu le faible nombre de mineurs identifiés comme combattants sur zone”, observe Youssef Badr. Mais si leur rôle est établi, ils font l’objet de poursuites judiciaires propres à la justice des mineurs: mise en examen, jugement.

Quelques dizaines d’enfants ont déjà été rapatriés dans l’Hexagone, selon un connaisseur du dossier. La majorité des plus jeunes ont été placés dans des familles d’accueil.

SourceL’Express

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