Sophie Pétronin de retour au Mali : pourquoi la situation embarrasse le gouvernement français

L’ex otage Sophie Pétronin est retournée au Mali depuis plusieurs mois, pays où elle avait été enlevée et retenue captive pendant près de quatre ans. Un retour qui passe mal auprès des autorités françaises.

Sophie Pétronin est-elle « irresponsable » pour être retournée au Mali à peine un an après sa libération ? L’humanitaire franco-suisse de 76 ans se trouve au Mali depuis plusieurs mois, où elle avait été détenue pendant près de quatre ans.
L’information, qui a été révélée par plusieurs médias dont Médiapart début novembre, a de quoi embarrasser le gouvernement et les autorités, qui ont tenu des propos assez durs à l’encontre de l’ancienne otage. Voici pourquoi.

Sophie Pétron a passé 1 384 jours, soit près de quatre ans, aux mains d’un groupe djihadiste. Enlevée le 24 décembre 2016, sa libération n’a pu avoir lieu qu’après de longues négociations. Si la France a toujours juré ne pas avoir été impliquée dans des négociations pour la libérer, on sait néanmoins que son retour à la liberté, ainsi que celui du chef de l’opposition malienne de l’époque, Soumaïla Cissé et de deux otages italiens, a pu être obtenue par le Mali contre la libération de près de 200 prisonniers djihadistes.

« Je trouve que ce marché a été très favorable aux ravisseurs. C’est assez caractéristique des prises d’otages d’Occidentaux où les pays se sentent obliger de négocier », analyse Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense.

Si les conditions exactes de la libération de Sophie Pétronin restent secrètes (une rançon a-t-elle été payée ? Qui exactement a été libéré ?….), on peut néanmoins affirmer que l’échange a été un coup dur dans la lutte contre le djihadisme au Mali. Ces libérations ont constitué un succès pour le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), une organisation militaire et terroriste à l’origine de plusieurs attaques et de nombreux enlèvements au Mali et au Sahel. Ce même groupe détient depuis début avril le journaliste français Olivier Dubois. Et selon l’ONG Acted, 300 Africains ont été enlevés au Burkina Faso, au Mali et au Niger depuis 2016.
Le retour a donc pu être mal perçu par les personnes luttant contre le GSIM et ayant œuvré à sa libération « Ce qu’elle fait, c’est une insulte aux Français et à tous les soldats, leurs familles dont certaines sont endeuillées. C’est une insulte à l’égard des gens qui se sont mobilisés pour sa libération », a déploré le 4 novembre Aurore Bergé, présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée nationale, interrogée sur BFM TV .
Car la France a tout fait pour qu’elle ne retourne pas au Mali

Sophie Pétronin ne s’en est jamais cachée depuis sa libération : elle souhaitait retourner au Mali, pour revoir sa fille adoptive âgée de 19 ans. Mais les autorités françaises et suisses ont tout fait pour l’en empêcher. Selon Médiapart et Libération plusieurs demandes de visa de Sophie Pétronin ont été refusées par la France.

L’humanitaire franco-suisse est donc entrée au Mali de façon indirecte. Elle est passée par le Sénégal (où aucun visa n’est demandé), prétextant des vacances, puis a fait trois jours de voyages en bus et en mototaxis vers le Mali. Arrivée il y a huit mois, sa présence dans le pays a été rendu publique par les autorités maliennes il y a seulement quelques jours.
Elle est, depuis, recherchée activement par les forces maliennes. Un message signé du directeur général adjoint de la gendarmerie malienne demandait à toutes les unités de « l’appréhender et de la conduire sous bonne escorte », comme l’a révélé un journaliste indépendant sur Twitter.

Car sa présence au Mali menace sa sécurité

Le retour de Sophie Pétronin au Mali est également problématique vis-à-vis de la sécurité de cette humanitaire. Si l’endroit où elle se trouve, Bamako, n’est pas le plus dangereux du pays, il reste tout de même « déconseillé sauf raison impérative » par le ministère des Affaires étrangères.
« À Bamako et dans ses alentours, il est constaté une persistance de menaces sérieuses contre les ressortissants occidentaux. Eu égard au risque d’action violente en représailles des pertes qui ont récemment concerné les terroristes, une vigilance accrue demeure recommandée », demande le ministère des Affaires étrangères pour tout Français souhaitant se rendre au Mali. « La menace d’enlèvement est élevée au Mali », poursuit le Quai d’Orsay.
Avec cette crainte de l’État français qu’elle pourrait être à nouveau prise en otage. « Je me porte bien. Et je suis heureuse d’être là où je suis. Je n’embête personne et personne ne m’embête », se défend de son côté Sophie Pétronin, interrogée par l’AFP. L’ex otage, qui vit donc désormais à Bamako, affirme qu’elle n’est « pas inquiète » . « Je sais que Gao, le nord, est devenu beaucoup trop dangereux. Mais dans la capitale, je peux vivre normalement », a-t-elle appuyé.

Car elle menace la sécurité des militaires français présents sur place

Au-delà de la propre sécurité de Sophie Pétronin, son retour pose également question pour la sécurité des milliers de militaires français présents au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane.
Un argument avancé par Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, le 3 novembre : « Nous déplorons le retour de Sophie Pétronin au Mali. Il y a une forme d’irresponsabilité vis-à-vis de sa sécurité à elle mais aussi vis-à-vis de la sécurité de nos militaires. Je rappelle que lorsque nous avons des ressortissants pris en otage à l’étranger, ce sont nos militaires qui vont les secourir au péril de leur vie. Nous avons des soldats qui ont été tués dans le cadre d’opérations pour aller secourir des otages qui avaient été faits prisonniers dans des pays étrangers. Il faut donc avoir du respect pour nos soldats », a-t-il déclaré à la sortie du conseil des ministres.
« Il ne faut jamais perdre de vue que des soldats français risquent de mourir », abonde l’ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense Pierre Conesa.
En effet, une nouvelle capture obligerait l’armée à réagir, alors que les soldats sont engagés dans la lutte contre les terroristes dans le Sahel. Au total, 5 400 militaires français évoluent dans la zone Mali, Burkina Faso, Niger, indique le ministère de la Défense, sans donner plus de précision sur la répartition entre chacun de ses trois pays.

Ouest-France
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