Moussa Mara : “La Force armée du G5 Sahel manque de moyens pour être opérationnelle”

Ancien Premier ministre du Mali en 2013 et 2014, Moussa Mara souligne que la création d’une Force armée conjointe du G5 Sahel fut une excellente idée qui tarde à se concrétiser, faute d’équipemements et de moyens dédiés. Elle est pourtant indispensable à la lutte contre le terrorisme dans toute cette région sub-saharienne. Analyse.

Le Groupe des cinq pays membres du Sahel, connu sous la dénomination « G5 Sahel », est l’illustration de la volonté commune de ces pays, de mettre ensemble leurs moyens afin de relever notamment les défis sécuritaires auxquels ils font face ; le G5 Sahel est sans aucun doute un pas vers l’intégration du continent. L’idée concrétisée en 2014 est structurellement bonne, en témoigne le grand engouement qu’elle a suscité au point d’éclipser dans l’agenda international certaines autres organisations régionales. Les volets sécuritaire et militaire du G5 Sahel, à travers une force commune constituée à partir d’éléments des forces armées des cinq pays membres, compte tenu du contexte actuel, constituent la composante essentielle de l’organisation. C’est cette force qui est mise en avant par les pays membres et qui est également revendiquée et soutenue par les nombreux partenaires de l’organisation. Au point que de nombreux acteurs internationaux méconnaissent totalement que le G5 c’est aussi des Institutions, un secrétariat basé à Nouakchott, des initiatives et projets structurants et même une compagnie aérienne en gestation !

L’agenda international structuré par la sécurité et la lutte contre le terrorisme a projeté la force du G5 Sahel comme un des outils les plus appropriés pour stabiliser la zone, permettre le désengagement des troupes étrangères qui y sont basées, renforcer les forces armées des pays membres et écarter les menaces que peuvent constituer les groupes terroristes du Sahel pour les pays occidentaux ou leurs ressortissants vivant en Afrique. A chaque occasion, sommets ou rencontres internationales, il est prévu des réunions spécifiques au G5 Sahel, c’était encore le cas à la dernière Assemblée générale des Nations Unies. Des rencontres spéciales ont été organisées pour réunir le financement nécessaire à l’opérationnalisation de la force et de nombreuses initiatives sont mises en œuvre pour que les fonds promis puissent être débloqués et permettre ainsi à la force de remplir les attentes placées en elle. Avec comme résultat à ce jour, une grande lenteur dans la mise à disposition des fonds et moins de 20% des promesses reçues ; mais également des retards et insuffisances constatés dans la montée en puissance du dispositif en termes d’équipement, de formation des troupes, de conception d’une doctrine d’emploi des forces, d’intégration des différentes armées, etc. Autrement dit, nous sommes encore éloignés de l’objectif affiché.

“Pourquoi un pays comme le Sénégal n’y figure pas ?”

La conception du G5 Sahel, son cadre d’exercice, son organisation et son fonctionnement souffrent de nombreux déficits qui expliquent la situation présente. Ces déficits pénalisent également l’efficacité de la force conjointe. Il est indispensable de les appréhender avec lucidité si on veut que notre organisation commune, notamment sa composante armée, puisse remplir les espoirs placés en elle.

Il est indispensable de revenir sur l’organisation elle-même et de répondre précisément à certaines questions clés. Quels en sont les objectifs stratégiques ? Est-ce que son périmètre actuel est approprié ? Pourquoi un pays comme le Sénégal n’y figure pas ? Quels rapports entend-on nouer avec les organisations existantes dans la conduite de certaines fonctions communes (sécurité alimentaire, changement climatique, coopération militaire, infrastructures…) ? Comment collaborer avec les organisations internationales (ONU, UE…) qui disposent chacune de leurs stratégies dans le Sahel ? Comment assurer la pleine souveraineté des pays du G5 Sahel dans la réflexion stratégique, la priorisation des actions et la conduite des initiatives quand le fonctionnement courant de l’organisation n’est pas supporté par ses États membres ? L’organisation fonctionne actuellement comme un projet inspiré de l’extérieur et comptant quasi exclusivement sur les ressources extérieures pour poursuivre ses activités.

En ce qui concerne la force conjointe, nous devons établir la vision stratégique que nous en avons ainsi que nos ambitions à long terme la concernant. Le terrorisme dans le Sahel ne sera pas vaincu de sitôt, il peut être affaibli mais tant que ses racines demeureront (pauvreté, raréfaction des ressources due aux changements climatiques, tensions sociales et ethniques, inefficacités et brutalités étatiques, laïcité mal définie, rapports conflictuels entre la religion, la société et l’Etat, démographie – éducation- chômage des jeunes…), il y a des chances qu’il continue à agir. Dans vingt ans, nous ferons encore face à du terrorisme, au moins sous forme de fièvres locales et péri urbaines, avec une évolution probable du champ d’action vers la cybercriminalité, le banditisme, les enlèvements pour se financer…Sommes-nous préparés à une action à long terme ? La force est-elle prévue pour s’adapter à ces évolutions ? Quand on écoute les débats autour de la force, on a tendance à penser qu’il s’agit de collecter 240 milliards de FCFA pour vaincre le terrorisme dans le Sahel. Or il s’agit de 240 milliards chaque année !

Nous nous engageons avec la force conjointe pour plusieurs années voire plusieurs décennies. Avec quelle ambition ? Est-il envisageable d’avoir une force régionale composée de nos armées et qui fonctionnerait parallèlement avec nos troupes régulières sur les mêmes territoires ? Des bataillons ou régiments coexistant sur les mêmes théâtres, composés de soldats aux statuts différents, avec des traitements différents et sur plusieurs années ? Ne pouvons-nous pas ainsi anticiper une intégration progressive de nos forces armées pour en faire une armée unie dans le Sahel avec un seul commandement de l’Atlantique au Lac Tchad voire plus loin encore ? Là également il faut se poser ces questions et tenter d’y répondre pour inscrire la force conjointe dans un cadre stratégique d’action que l’on peine encore à identifier.

La force conjointe telle qu’opérant actuellement est plus la juxtaposition de plusieurs forces qu’une entité homogène, unie et intégrée. L’armée mauritanienne est à part, le trio Mali – Burkina – Niger à part et l’armée tchadienne à part également. L’état-major est commun mais la disposition des forces sur les théâtres ne l’illustre pas. Chaque pays est concentré sur ses priorités. Dans ces conditions, est-il envisageable de voir les forces du G5 Sahel opérer dans le Centre du Mali sur l’arc allant de la frontière de la Mauritanie à celle du Niger ? Les forces du G5 Sahel sont-elles prêtes à faire face à des situations complexes comme celles constatées dans le Macina ou le Seno ?

“Chaque pays doit prendre sur son budget national”

La question du financement de la force conjointe enfin mérite qu’on revoie notre copie ! Comment peut-on se lancer dans la direction d’un financement extérieur d’une action de souveraineté ? Cela est inimaginable et nos autorités doivent le comprendre. Il faut se départir de la stratégie de victimisation ou de la posture de sentinelle de l’Occident (le Sahel serait une digue qui ne doit pas rompre !) pour aborder cette question avec des principes qui nous sortiront du bourbier. Ce qui se passe sur nos territoires est d’abord et avant tout notre problème. Ce sont d’abord nos populations qui sont actrices et victimes de terrorisme. Il s’agit d’abord et avant tout de la sécurité de nos pays. Nous devons donc aborder la question sous l’angle de notre souveraineté et de notre responsabilité commune. Il nous faut nous approprier le concept et nous placer en pole position pour le gérer. Nulle part ailleurs, on ne finance des actions armées d’un pays. Pourquoi alors financer les actions armées de cinq pays ensemble sur leurs territoires pour faire face à leurs problèmes ? Et des actions appelées à durer des années voire plusieurs décennies !

Il nous faut changer de paradigme et intérioriser cette question en y apportant les ressources financières adéquates. Chaque pays doit prendre sur son budget national une tranche du financement de la force du G5 Sahel. Le Mali allouera en 2019, à son armée, plus de 300 milliards de FCFA dans le cadre de son fonctionnement et de sa restructuration. Prendre en charge 50 milliards supplémentaires au titre de sa part ne sera pas un effort insupportable. Idem pour le Burkina, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Nous pourrions ensuite gérer nos déficits budgétaires éventuels induits par cela avec nos partenaires financiers classiques et les mécanismes appropriés pour ce faire. Nous identifierons ainsi des mesures de couverture et pourrons inscrire cela dans le cadre de notre coopération financière avec nos soutiens bi et multi latéraux. Ces dispositions sont envisageables. Mais faisons du financement de la force conjointe du G5 Sahel notre affaire et surtout faisons en une question de souveraineté ! Près de soixante ans après nos indépendances, ce serait là un des rares motifs de fierté de nos pères fondateurs là où ils se trouvent.

Moussa MARA / www.moussamara.com

 

Source: Koulouba.com

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