La situation politique du Mali à quatre mois de l’élection présidentielle

2018 est une année charnière au Mali : la “communauté internationale” doit faire, entre mars et mai, le bilan de son action avant de décider comment la poursuivre dans le cadre d’un nouveau mandat de la MINUSMA ; des élections présidentielles sont annoncées pour le 29 juillet, alors que l’insécurité n’a jamais été aussi grande et aussi étendue ; la situation politique du pays est caractérisée par le fait que « l’accord d’Alger, signé en 2015, est manifestement caduc. Quant à la “communauté internationale”, elle s’obstine à détourner les yeux de cet effondrement politique, alors que là est la cause de son échec patent : pourtant son devoir est désormais plus clair que jamais », selon cette analyse d’expert, de connaisseur du Mali et surtout d’amis du Mali, Joseph Brunet Jailly publié par Mediapart, le blog de Joseph Brunet-Jailly, 23 mars 2018. Le Républicain publie cette importante contribution de cet amoureux d Mali. A lire !

Alors que l’insécurité n’a jamais été aussi grande au Mali, l’élection présidentielle est annoncée pour la fin juillet. La population parait très inquiète et désemparée. Les intervenants extérieurs semblent ne pas voir la gravité de la situation politique et les risques de leur stratégie exclusivement militaire. L’élection annoncée, même si elle se déroule correctement est-elle la solution ?

L’année 2018 sera importante, sinon décisive, pour le Mali : non seulement la “communauté internationale” doit faire, entre mars et mai, le bilan de son action avant de décider comment la poursuivre et notamment comment renouveler ou redéfinir le mandat de la MINUSMA ; mais encore des élections présidentielles ont été annoncées par le nouveau Premier Ministre, Soumeylou Boubeye Maïga, pour le 29 juillet, alors que l’insécurité n’a jamais été aussi grande et aussi étendue. Une fois de plus l’attention doit se porter sur la situation politique du pays, car là est en réalité la source de tous les problèmes. Cette situation politique est caractérisée par le fait que l’accord d’Alger, signé en 2015, est manifestement caduc, et par le fait que le jeu politique est plus factice que jamais, alors que la société sombre dans l’inquiétude et tente de penser à autre chose en se repliant sur ses solidarités ethniques et sur les fêtes familiales.[3] Quant à la “communauté internationale”, elle s’obstine à détourner les yeux de cet effondrement politique, alors que là est la cause de son échec patent : pourtant son devoir est désormais plus clair que jamais.

  1. L’accord d’Alger est caduc

Dès avril 2015 j’ai attiré l’attention sur le danger inévitable et mortel que recélait cet accord pour le Mali[4]: la régionalisation poussée à un point tel que la partition s’ensuivrait nécessairement, les régions-Etats étant, compte tenu de l’effondrement de l’Etat central, des proies faciles pour de tout nouveaux amis du Mali. Une analyse plus approfondie a été publiée par le Parena[5], dont le président, Tiebile Drame, est un excellent connaisseur du dossier pour avoir été notamment le négociateur de l’accord de Ouagadougou (2013) : il soulignait les pouvoirs exorbitants que prévoyait l’accord d’Alger pour les présidents des régions, qui seraient à la fois présidents de l’Assemblée régionale, présidents de l’exécutif régional et 2

 

chefs de l’administration de la région-Etat, cumulant ainsi l’exécutif et le législatif[6]. Il suggérait l’organisation d’assises des forces vives de la Nation, pour que le Mali nouveau ne soit pas celui que l’Algérie a écrit pour faire signer les groupes armés, mais celui que souhaiterait l’ensemble de la population du Mali.

Au lieu de considérer la situation sous cet angle, le gouvernement du Mali et la “communauté internationale” invoquent cet accord à temps et à contre-temps, pour ne pas voir qu’il est depuis l’origine inapplicable et désormais caduc. Caduc d’abord parce que les groupes armés signataires ont progressivement perdu le contrôle du terrain au profit de groupes directement affiliés à l’ennemi extérieur.[7] Caduc parce qu’il semble avoir surtout servi aux groupes armés signataires pour arracher des avantages matériels au bénéfice de leurs dirigeants[8] –qui peuvent même se permettre de ne pas participer aux réunions des instances que cet accord a mises en place, en invoquant tantôt l’absence de résultats[9], tantôt le retard dans le paiement de leurs indemnités[10]– et pour leurs troupes, au point que d’autres partenaires cherchent à s’introduire à la table des négociations : par exemple récemment un “collectif des femmes leaders” revendiquant de participer au comité de suivi de l’accord[11]. Caduc parce que un groupe au moins, le GATIA, pourtant proche du pouvoir, demande officiellement la “relecture” de cet accord[12], presque deux ans après que le PARENA eut pris position dans le même sens[13]. Caduc aussi parce que, comme le reconnait le chef de la MINUSMA, “les parties signataires ne se font pas confiance”[14]. Caduc parce que la Conférence d’Entente Nationale qu’il prévoyait a été bâclée : au lieu de s’ingénier à représenter fidèlement l’ensemble de la population du Mali, les délégués ont été choisis par l’administration, avant que des délégations supplémentaires du Nord en grand nombre ne s’imposent. Caduc aussi évidemment puisque les groupes armés signataires se sont affrontés sans cesse de 2015 jusqu’à l’accord du 20 septembre 2017 et les négociations d’Anefis (5-11 octobre)[15]. Caduc enfin, puisque la recherche d’une alternative est en cours, à l’initiative de l’ancien premier Ministre Issoufi Maiga, qui a réuni dans cet objectif en février 2018 des représentants des mouvements armés signataires et non signataires, des partis politiques et des ministres,[16] avant de présenter leurs positions à l’actuel Premier Ministre.[17]

L’entêtement de la “communauté internationale” à invoquer l’accord d’Alger montre aux groupes armés que les intervenants étrangers sont sous pression : certains groupes armés adoptent donc des positions maximalistes et mènent sans relâche une guérilla législative et financière. Par exemple, si le Gouvernement fait un pas vers eux en promulguant le 2 octobre un nouveau code des collectivités territoriales, la CMA exige dès le 15 octobre, en menaçant de boycotter les élections, une révision de ce code, au motif que certaines mesures politiques et institutionnelles prévues dans l’Accord n’y ont pas été intégrées, “ce qui limite la décentralisation”[18]. Par cette position littéraliste, la CMA joue donc le jeu de la partition en s’abritant derrière les outrances de l’accord d’Alger. Le gouvernement lui-même s’engage tête baissée dans la création de collectivités territoriales[19] correspondant à des revendications communautaristes, qui compromettent inéluctablement la reconstruction de l’Etat et de la Nation.

En attendant, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, dirigé par Iyad Ag Ghaly, et l’État islamique dans le Grand Sahara, dirigé par Adnane Abou Walid Al-Sahraoui (anciennement MUJAO, auparavant membre d’Al Morabitoune) agissent selon toute vraisemblance en parallèle et probablement en collaboration[20]. Et leur protecteur AQMI, auquel Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa ont solennellement fait allégeance en mars 2017[21], est, dans ce conflit, le seul acteur qui ait une stratégie à moyen et long terme : créer le chaos pour s’imposer. 3

 

  1. Des acteurs nouveaux dans un grand flou politique

Commentant le retour au Mali, pour quelques jours, mais en grande pompe, de l’ancien président Amadou Toumani Toure (communément désigné au Mali par ses initiales : ATT), à la suite d’une décision de l’Assemblée Nationale le lavant de toute faute[22], puis d’une décision du président Ibrahim Boubacar Keita (qu’on désignera ci-dessous, comme on le fait couramment au Mali, par ses seules initiales : IBK) d’envoyer son avion chercher son prédécesseur à Dakar, où il était en exil, avant de l’inviter à déjeuner chez lui, un journaliste a décrit récemment les caractéristiques de la vie politique malienne : “consensus mou”, “illusion démocratique”, place déterminante des petits “arrangements” entre notables…[23] L’abandon des poursuites contre l’ancien chef de l’Etat a été motivé par l’argument que les décisions politiques liées à la fonction ne relevaient pas du domaine judiciaire[24], mais d’une façon générale l’Assemblée Nationale s’oppose à toute mise en cause des dirigeants politiques[25]. Désormais ATT est doté d’un cabinet et on prépare son retour définitif à Bamako en juin : autant d’annonces sans portée politique ?

En réalité l’idée d’absoudre ATT a été évoquée indirectement par IBK dès février 2014 à Mopti[26], avant même le début des travaux de la Commission ad hoc de l’Assemblée Nationale ; il l’a reprise en 2015 et 2016 lors des Journées paysannes et tout le monde a compris. Il s’agit évidemment d’une manifestation de cette recherche d’un consensus mou, qui méprise la justice et la responsabilité, et dispense d’une vision stratégique claire et de décisions cohérentes. Elle rappelle malheureusement la réconciliation avec Moussa Traore, acclamé comme “grand républicain” par IBK le jour de son investiture.[27] Aussi incroyable que cela puisse paraître, on oublie donc les crimes de sang de l’un, et la responsabilité de l’autre dans la déchéance de l’Etat par sa stratégie de gestion politique centrée exclusivement sur la personne du chef de l’Etat et sa femme, méprisant et circonvenant les partis, neutralisant leurs cadres par des compromissions individuelles ; et dans la survenue de la crise du Nord par l’abandon déterminé et ici catastrophique de la dynamique de la décentralisation.[28] La réconciliation et la recherche du consensus, qui seraient le fondement de ces pratiques politiques ne servent qu’à masquer l’inconsistance de la vision et à justifier l’incohérence de l’action.

C’est cette même absence de culture politique, de réflexion politique et de conviction politique qui permet que personne ne bronche lorsque l’imam Dicko déclare : « Le Haut Conseil Islamique est l’interface entre le pouvoir et le Peuple. Par la grâce de Dieu c’est moi qui assume les destinées de cette organisation qui représente plus de 98% de la population entière du pays. De ce fait j’ai mon mot à dire sur la gestion de ce pays.[29] » Pourtant rien dans le mode de désignation des responsables religieux ne leur permet de revendiquer un statut de représentant de la population. Autant qu’on sache, dans un islam sans clergé, aucun imam ne représente l’ensemble des musulmans. Or personne n’a jugé bon de rappeler ce qu’est la représentation du peuple dans un Etat de droit. Il est vrai que la réputation du Mali en matière de démocratie est très surfaite, puisque son expérience des années 1990 s’est ratatinée dès le début des années 2000 en un processus électoral purement factice tant au niveau local qu’au niveau national. Mais tout de même !

Cependant, quelques mois plus tôt, le même imam Dicko avait affirmé, à propos de la réforme constitutionnelle : « Tant que la stabilité du pays n’est pas menacée, le HCIM[30] doit respecter le jeu démocratique qui est normal dans une République. »[31] Mais on doit se souvenir aussi de ce que dès 2012, au lendemain du coup d’Etat, l’imam Dicko avait admis qu’il était prêt à accepter un rôle politique –au service du capitaine– si le peuple le lui 4

 

demandait.[32] Cet imam politicien n’a donc pas, lui non plus, une stratégie claire, ou alors il la camoufle derrière un discours variable selon les circonstances et les auditoires. Et ses thuriféraires peuvent écrire qu’il “gère plus de 16 millions de Maliens” sans se demander de quel type de gestion il s’agit.[33]

Malgré la collusion évidente entre les groupes armés et leurs protecteurs extérieurs, malgré le fait que le parti du Président IBK a fait élire sur ses listes des représentants des groupes armés[34], l’imam Dicko peut proposer aujourd’hui à nouveau de négocier avec tous les Maliens, y compris Iyad Ag Ghaly[35], sans que personne ne lui demande quelles pourraient être les bases d’un tel accord. On peut cependant en avoir une idée : l’imam Dicko a organisé dès 2012 un séminaire sur l’application de la charia au Mali[36] dans l’espoir d’aller négocier avec Iyad Ag Ghaly. Apparemment, il s’était alors agi à la fois de condamner la violence du djihad, et de définir sur la charia “une position claire avant de repartir rencontrer nos frères égarés au Nord pour leur tendre la main. En choisissant cette option, le HCIM veut éviter à notre pays une guerre inutile.”[37] Effectivement l’imam se trouvait précisément à Gao le dernier week-end de juillet 2012 pour négocier avec Iyad Ag Ghaly[38], mais il n’a vu ni Iyad Ag Ghaly ni Adnan Abou Walid Sahraoui qui avait quitté la ville à son arrivée ; l’imam espérait alors que lui serait confiée une autre mission dans le même but, mais elle n’a pas été décidée[39].

C’est seulement en juillet 2017 que l’imam Dicko a été chargé d’aller, cette fois-ci, à Kidal pour y rencontrer tant les notables que les responsables des mouvements armés : là, il n’a pu que constater que la CMA[40] ne voulait pas du GATIA[41] pour administrer la ville.[42] Mais il devait continuer sur Gao, et rencontrer le Général Gamou[43]. Et cette fois-ci la presse a cru pouvoir annoncer, mais longtemps après, que la mission avait effectivement été suivie par un entretien, organisé à Alger par l’ancien premier ministre Abdelmalek Sellal, entre un envoyé d’IBK et Iyad Ag Ghaly lui-même.[44] Toutefois beaucoup d’observateurs ont été surpris, fin février 2018, de lire une interview du Président IBK dans laquelle il déclarait que Mahmoud Dicko avait reçu ce mandat de l’ancien premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga (c’est-à-dire : pas du Chef de l’Etat) et poursuivait : “Je l’assume en tant que chef d’Etat, mais j’étais loin de l’approuver. Nous y avons mis fin.” [45]

En réalité, il se pourrait que l’imam Dicko soit chargé de missions officielles pour lui faire oublier que, pour la préparation des prochaines élections présidentielles, c’est Cherif Madani Haidara qui pourrait être l’allié d’IBK avec Cheick Harouna Sankare, président du Mouvement pour l’Union des Maliens, récemment constitué (décembre 2016).[46] Car le torchon brûle depuis des mois entre IBK et le cherif de Nioro[47], soutien du capitaine Sanogo depuis 2012 jusqu’à nos jours, mais rallié à la candidature d’IBK, qu’il a considérablement aidé en 2013. Or l’imam Dicko a déclaré récemment qu’il suivrait le choix du chérif de Nioro quant au candidat que les autorités musulmanes recommanderont à leurs fidèles en juillet prochain.[48] Cette nouvelle alliance pourra sans doute compter sur Aliou Boubacar Diallo, protégé du chérif de Nioro depuis des années, mais aussi PDG de la société minière Wassoul’Or, ce qui lui donne des moyens, et enfin premier président (2012-2015) du parti ADP-Maliba ; et ce même homme, qui a été un des tout premiers soutiens d’IBK, au point de se retirer de la compétition pour lui laisser le champ libre, et qui se targue aujourd’hui encore d’avoir convaincu le gouvernement de réviser les listes électorales,[49] est désormais candidat aux élections présidentielles. Il vient d’organiser le congrès de son parti à Nioro, et y a été notamment reçu par le chérif, comme d’ailleurs le général Sinko quelques jours plus tard.[50] Les imams et cherifs politiciens révisent donc leurs jeux, réorganisent leurs alliances et beaucoup d’hommes politiques se placent dans leur sillage. 5

 

  1. Une société angoissée et désemparée

L’équipe d’Afrobaromètre au Mali, dirigée par le Groupe de Recherche en Economie Appliquée et Théorique (GREAT), a interviewé 1,200 adultes Maliens en janvier 2017,[51] apparemment dans toutes les régions. Les résultats de cette enquête montrent la profondeur des effets et des traces de la crise apparue en 2012 et toujours en cours.

Si l’on en croit les répondants, 6 % de la population du Mali aurait quitté ce pays à la suite des évènements du Nord ; et 12 % de la population aurait migré à l’intérieur du Mali. Les villes de Gao et Tombouctou auraient perdu 40 % de leur population au profit du Sud, Kidal la moitié de ses habitants au profit de l’étranger.

88 % des répondants de Kidal déclarent que leurs affaires ont été détruites, 78 % de ceux de Gao, 55 % de ceux de Tombouctou, à comparer à Kayes 16%, Bamako 13 %, Ségou 11%, Mopti 10 %, Koulikoro 3%, Sikasso 1% ; on obtient pratiquement les mêmes chiffres si on demande aux gens s’ils ont perdu leur emploi ou s’ils ont changé d’occupation. Il est donc clair que les effets de la crise se font sentir au centre du pays (régions de Mopti et Ségou), mais aussi, c’est plus étonnant, dans la première région (Kayes).

Les déclarations des enquêtés à propos des intimidations et menaces qu’ils ont subies peuvent surprendre : que 75 % de la population de Kidal s’en plaignent peut paraître plausible (car là-bas “tout le monde a été au moins une fois témoin de blessures ou de tueries”), comme 66 % à Tombouctou, mais cette proportion n’est que de 39 % à Gao, qui n’a pas été tellement paisible, 39 % comme à Kayes, tout de même loin du théâtre des hostilités ; et elle reste encore de l’ordre de 20% à Ségou, Mopti, Bamako, Sikasso… A nouveau, certaines situations (Gao, Kayes) mériteraient une explication. Mais globalement, l’inquiétude est partout.

Le sentiment général d’insécurité est parfaitement confirmé par l’enquête Mali-mètre9[52] réalisée à Bamako et dans les capitales régionales : 8 sur 10 des répondants déclarent en pas se sentir en sécurité lorsqu’ils se déplacent dans un village voisin, ou lors de rassemblements sur les lieux publics. Cette enquête montre aussi que la moitié au moins des répondants déclarent n’avoir aucune information sur des questions telles que l’accord d’Alger (83%), la révision constitutionnelle (54%), le G5 (49 %), l’existence d’une Commission Vérité, Justice, Réconciliation (63%), la conférence d’entente nationale (63%). Voilà qui donne une idée du niveau de l’information politique de la population.

Et, d’après Afrobaromètre, voici l’opinion des répondants sur l’avenir : 38 % d’entre eux pensent que le Mali sera amputé d’une partie de son territoire et 25% que le Mali connaîtra encore plus de conflits interethniques. C’est la région de Gao qui connait le plus fort pourcentage de répondants estimant que le Mali sera amputé (77%), mais cette opinion est largement partagée dans les régions de Kidal et Tombouctou (la moitié des répondants), mais aussi dans les régions de Bamako, Kayes et Ségou (entre 40 et 50 %). La population malienne semble donc très pessimiste sur la perspective d’une vraie sortie de crise. D’autres réponses évoquent en d’autres termes des perspectives aussi inquiétantes : le Mali perdra son unité nationale (20%), le Mali perdra significativement de son indépendance (15%), le Mali va éclater en plusieurs Etats indépendants (5%).

L’opinion est donc très inquiète quant à l’avenir de la Nation[53] et d’abord quant à son unité territoriale. Est-ce là l’explication du calme apparent qui règne dans le pays, malgré les 6

attentats aveugles, malgré les mines, malgré les meurtres ciblés de civils, malgré les morts de soldats dans les affrontements ?

Peut-être faudrait-il se méfier de l’eau qui dort. Ce qu’on a pu savoir de l’atmosphère qui régnait à Bamako au mois d’août 2017, après trois mois de manifestations organisées par le mouvement An tè Abana[54], c’est que, si la violence a pu être contenue jour après jour, c’est bien elle qui a fait plier le gouvernement : climat pré-insurrectionnel, mobilisation exceptionnelle de la population, activistes assez nombreux prêts à en découdre avec toute autorité. Là se trouve sans doute la seule excuse qu’on peut donner à la recherche de consensus qui semble être l’unique ligne politique des dirigeants : le Mali, si accueillant, si joyeux, si convivial est capable de verser rapidement dans la barbarie, comme l’ont montré les évènements de 1991, toujours présents dans toutes les mémoires. Combien y a-t-il eu alors de victimes des hommes en armes lâchés par Moussa Traore sur la foule aux mains nues, et combien de victimes du sinistre article 321[55] ? Et, plus récemment, comment se sont comportés les hommes de main du capitaine Sanogo, que certains voudraient absoudre aujourd’hui au nom de la réconciliation[56] ?

La société malienne est foncièrement inquiète, elle a été profondément démoralisée et humiliée par les évènements de 2012, elle n’a trouvé aucun réconfort dans les quatre années qui viennent de s’écouler sous le mandat d’IBK, elle constate angoissée que son avenir lui échappe, et que les intentions des forces qui interviennent sur son territoire sont obscures. Or, avant même l’ouverture de la campagne électorale, de nombreuses personnalités politiques ont déjà pris position sur le thème de l’alternance nécessaire : il ne s’agit pas de changer de Président, il faut changer d’équipe, il faut changer de gouvernance,[57] il faut “changer profondément le système politique, économique et judiciaire de notre pays.”[58] Ces élections, dont on attend tant, comment se préparent-elles ?

  1. Des élections pour ne rien changer

C’est la situation très tendue des mois de juin à août 2017 –avec leurs manifestations contre le projet de réviion constitutionnelle– qui a conduit certaines personnalités politiques à évoquer ouvertement le cas dans lequel le gouvernement serait incapable de mener à terme les élections présidentielles. Chacun sait parfaitement que ces élections pourront au mieux être organisées dans 40 % du territoire (les seules régions de Sikasso, Kayes, Koulikoro et Ségou, mais à l’exception des parties Nord de ces deux dernières) et encore si les groupes armés le veulent bien, ou si leur accord a été acheté au prix de nouvelles faveurs. Et organiser les élections ne signifie pas qu’elles se dérouleront dans des conditions satisfaisantes, et telles que leur résultat sera accepté par les électeurs dans la sérénité. Or, si un président de la République n’est pas installé avant le 3 septembre 2018, le pays se trouvera dans une situation que la Constitution ne prévoit pas, dans un vide juridique complet.[59] Les constitutionnalistes qui ont suivi l’élaboration de cette constitution[60] étaient en effet unanimes à penser que l’article 36 ne s’appliquait qu’aux incidents susceptibles de se produire en cours de mandat, même si le point de vue contraire est apparu récemment dans la presse.[61] Ne serait-il pas prudent de ne pas attendre la date fatidique pour penser à une solution qui permettrait de tenir la barre de l’esquif malien dans une mer complètement démontée par l’échec, sous une forme ou sous une autre, de l’élection présidentielle ?

Dans un contexte aussi incertain, il parait en effet judicieux de considérer l’ensemble des éventualités et de prévoir ce qui pourra être fait dans chacune d’elles. Le ministre Ousmane Sy et le doyen Seydou Badian Kouyate ont l’un et l’autre demandé que les politiciens maliens 7

admettent l’éventualité d’une situation de vide juridique, et envisagent la façon d’y faire face.[62] L’idée est maintenant évoquée très fréquemment dans la presse, mais la réflexion semble ne pas progresser. Seydou Badian Kouyate a proposé –il y a plusieurs mois déjà– que l’on sursoie à l’élection présidentielle, et que le président IBK, restant au pouvoir, soit l’organisateur d’une transition qui serait une période d’union sacrée pour tenter de sortir le Mali de l’impasse.[63] Mais à l’évidence une telle prolongation du mandat présidentiel, elle non plus, n’est pas prévue par la Constitution. Ousmane Sy a évoqué la réunion d’un grand “toguna[64] national” organisé en tirant les enseignements des expériences antérieures (Conférence Nationale de 1992, la Conférence d’Entente Nationale de 2017, etc… ) pour esquisser “les contours d’un nouveau Mali commun à tous”.[65] Ces expériences sont cependant bien différentes, la première a été capable d’organiser l’entrée du Mali dans la démocratie, alors que la seconde, prévue par l’Accord d’Alger, convoquée sans objectif politique précis et organisée par l’administration dans la plus grande indifférence populaire, n’a abouti à rien.

Evidemment une période de transition serait délicate, et certains estiment qu’elle offrirait une occasion rêvée aux groupes armés pour assurer leur mainmise sur le pays[66]. Mais elle ne peut pas être exclue. C’est bien là, pourtant –et l’on y reviendra– que la “communauté internationale” pourrait se montrer utile, si elle acceptait de s’engager à aider le Mali à affronter ses vrais démons, les problèmes qu’il n’a pas été capable de résoudre depuis des décennies.

La réflexion sur ces éventualités ne progresse pas parce que la préparation des élections offre à la classe politique une nouvelle estrade temporaire pour ses jeux favoris. Les personnalités politiques qui disposent d’une machine électorale sont très peu nombreuses et celles qui n’en ont pas s’amusent à compter les voix de leur clientèle pour les revendre au probable vainqueur du second tour, en les monnayant contre un poste ministériel. Le Mali compterait près de 200 partis,[67] plus les associations qui se constituent autour de toute personnalité qui déclare son ambition politique.[68] C’est ainsi qu’a été constituée la majorité qui a semblé soutenir IBK : alors que 17 partis avaient appelé à voter pour lui dès le premier tour en 2013, la Convention de la Majorité Présidentielle en est venue à en compter une soixantaine ![69] Les divergences qui se sont manifestées entre ces partis par exemple à propos de la nomination des premiers ministres, malgré ce regroupement dont la présidence avait été confiée a un fidèle d’IBK,[70] comme le débat sur la réforme constitutionnelle, l’été 2017, a montré que cette coalition n’avait ni projet politique ni unité de pensée[71]. L’approche des élections de 2018 la voit se déliter dès 2016, car les chefs de partis, après avoir été ministres, veulent au premier tour jouer leur propre jeu auprès de leur clientèle électorale personnelle.[72] Aujourd’hui certains des leaders de partis lilliputiens membres de la majorité présidentielle évitent de parler de l’élection présidentielle et de la candidature d’IBK.[73] De nombreux candidats sont déjà déclarés, en se contentant le plus souvent d’évoquer quelques voeux pieux. Et certains candidats non encore déclarés sont en campagne, tel IBK qui inaugure beaucoup de nouveaux chantiers et distribue des subsides aux populations qu’il visite pour être accueilli par des foules.[74]

Pour apprécier correctement la situation, il faut se rappeler les résultats du premier tour des élections présidentielles de 2013. Les leaders politiques qui tiennent le devant de la scène ont obtenu respectivement : Ibrahim Boubacar Keita (39,79 % des voix au premier tour), Soumaila Cisse (19,70 %), Dramane Dembele (9,71 %), Modibo Sidibe (4,97 %) et Housseini Amion Guindo (4,75 %). 8

 

Ensuite viennent trois candidats ayant obtenu entre 2 et 3% des voix (Oumar Mariko, Choguel Kokalla Maïga, Modibo Diarra), puis par quatre candidats ayant obtenu entre 1 et 2% des voix (Jamille Bittar, Mountaga Tall, Moussa Mara, Mamadou Bakary Sangaré), et enfin par 15 candidats ayant recueilli moins de 1% des voix (Soumana Sako, Oumar Ibrahima Toure, Haïdara Aïchata Alassane Cissé, Niankoro Yeah Samaké, Konimba Sidibé, Hamed Sow, Racine Seydou Thiam, Oumar Boury Touré, Ousmane Ben Traoré, Cheick Keïta, Siaka Diarra, Youssouf Cissé, Cheick Alhousseïni Maiga, Cheick Boucadary Traoré, Sibiri Coumare).

Pourtant cet éparpillement dramatique des voix n’a pas poussé les éventuels candidats à se montrer prudents[75], ni les stratèges des partis qui se disent dans l’opposition à préparer une alliance dès le premier tour sur un programme explicite. Des candidats qui ont engrangé moins de 5% des voix en 2013 sont aujourd’hui en campagne, notamment à Paris, et seul Tiebilé Drame a pris position clairement pour une candidature unique de l’opposition.[76] Modibo Sidibe, Aliou Boubacar Diallo et Moussa Mara se disent tous les trois partisans d’un changement d’équipe dirigeante, mais chacun veut d’abord et surtout compter ses supporteurs, deux d’entre eux se présentant comme déjà membres d’un regroupement[77], l’autre se comportant en “chantre de la théorie de l’opposition plurielle”.[78] Personne ne parle de report des élections, l’opposition comme la majorité veulent feindre de croire que les élections peuvent être organisées, qu’elles peuvent aboutir à l’élection d’un président, qu’elles sont la meilleure solution pour sortir de la crise politique. L’argument officiel est évidemment que seules les élections permettent l’expression de la volonté populaire : bien sûr ! en théorie ! Mais qu’en est-il en pratique ?

En pratique, ces positions signifient le refus de voir que, dans la situation d’impréparation politique dans laquelle se trouvent les partis, dans la situation d’insécurité et de conflits inter-ethniques ouverts ou latents qui est celle des électeurs, le seul résultat à attendre des élections sera la reconduction d’une coalition purement opportuniste autour d’un homme qui sera prisonnier des engagements qu’il aura pris auprès d’individus qui ne lui seront fidèles que par intérêt personnel. L’absence de programme politique, l’absence de campagne portant sur les programmes politiques,[79] conduisent inévitablement à cette situation. D’ailleurs, les journalistes s’amusent déjà à imaginer des coalitions au sein desquelles les postes électifs et quelques autres sont dès maintenant répartis entre les associés d’un temps.[80] On plaide donc pour le respect du calendrier électoral, pour la bonne organisation des élections, tout en sachant pertinemment qu’elles ne changeront rien aux tares du système politique malien, rien non plus à l’état du pays : c’est se conduire comme si on ignorait les maux qui ont pourri le Mali jusqu’à le laisser tomber dans l’état pitoyable, humiliant, dans lequel il se trouve aujourd’hui.

Autrement dit, la division de l’opposition est telle que la réussite des élections ne peut aboutir qu’au résultat qu’on a connu en 2013, l’accession à la présidence d’un homme qui aura su parler le moins possible de ce qu’il veut faire, mais qui aura pris auprès de chefs de clientèles des engagements lui permettant de rallier les suffrages de ces dernières. Il en résultera une gouvernance divisée sur tous les problèmes importants, donc pusillanime, mais avide de s’enrichir le plus possible pendant son passage au pouvoir. Quant à l’échec du processus électoral, qu’il faut redouter, il conduira inévitablement le Mali à une période de grande fragilité, sans institution légitime avec laquelle les partenaires extérieurs pourraient travailler en respectant les formes, et éventuellement sous l’emprise d’une rue déchainée comme on a vu en certains jours de 2012. Les observateurs imaginent cependant que cette période de tous les dangers pourrait être celle où “s’inventerait, à défaut de base juridique pour diriger le Mali, 9

une nouvelle légitimité politique préfigurant un autre contrat social pour notre pays.”[81] Dans tous les cas de figure –aboutissement du processus électoral ou son échec– la stratégie actuelle des partis qui se disent de l’opposition, cette stratégie qui consiste à soutenir l’organisation des élections tout en s’entêtant à se montrer incapable de les préparer en unissant les forces de l’opposition autour d’un programme de gouvernement, cette stratégie de perdant entêté ne peut pas aboutir à résoudre la crise politique au Mali. Comme la stratégie de la majorité actuelle, elle ne conduira qu’à une coalition lâche autour d’un président lié par les engagements pris auprès de ses soutiens d’un jour, et à un Etat aboulique manoeuvré par le courant au fil de l’eau. La “communauté internationale” ne voit-elle vraiment pas approcher cette situation ? N’aurait-elle aucun rôle à jouer pour conjurer ce risque ?

  1. Le devoir de la “communauté internationale”

Le caractère pusillanime des dirigeants du Mali depuis deux décennies a conduit à cette situation dans laquelle une large partie du territoire ne connait plus aucune forme de présence de l’Etat, dans laquelle les capitales régionales du Nord ont de facto pris l’habitude de s’administrer de façon autonome par rapport à l’Etat central, et dans laquelle plusieurs fonctions régaliennes essentielles (défense, sécurité intérieure, budget de l’Etat et comptes de la Nation, notamment) sont exercées sous le contrôle le plus étroit et avec le concours décisif de partenaires extérieurs. Le premier aspect est admis par tous. Sur le second, l’histoire de Gao depuis 2012 est édifiante, et on doit écouter Ousmane Sy, qui fut ministre de la décentralisation, lorsqu’il dit : “Il faut voir la réalité en face : qu’on le veuille ou non, Kidal est en train de changer de statut, tout comme Tombouctou, Gao et Mopti.”[82]

Quant au troisième aspect, ne faut-il pas mettre en sourdine le politiquement correct et ouvrir grand les yeux pour admettre que la dépendance du Mali à l’égard de ses voisins et des institutions africaines, mais aussi à l’égard des Nations-Unies, et enfin à l’égard de quelques pays occidentaux et arabes, équivaut à une tutelle ? Pour l’essentiel, le Mali exécute des décisions prises ailleurs ; dans le meilleur des cas, il est associé à la décision, mais le plus fréquemment il ne vient que pour demander de l’aide et son avis ne compte guère. Ce qui est évident en matière de défense et d’économie ne se limite pas à ces secteurs : ainsi, par exemple, la MINUSMA est consultée à propos de la révision de la loi électorale,[83] plutôt que les juristes maliens qui ont pris position sur cette opération.[84] Lorsque les fonctions régaliennes sont à ce point soumises à l’avis, à la décision, au contrôle d’autorités extérieures, n’est-on pas dans un régime de tutelle ? Il est évident que cette situation ne peut que créer des réactions hostiles dans la population, et que ces colères peuvent être attisées par des politiciens avides de se tailler une réputation et une clientèle.

Cette situation donne inévitablement aux pays et institutions qui exercent cette tutelle des responsabilités particulières, qu’ils ne prennent pas volontiers toutefois, on le sait depuis 2013. Les critiques adressées à la MINUSMA ont été ramassées récemment en une phrase –à vrai dire un peu facile venant de lui– par IBK lui-même : “Sans un mandat plus offensif que nous réclamons à cor et à cri, la Minusma […] se contente aujourd’hui de faire du social.”[85] C’est en effet se voiler la face que de parler de maintien de la paix dans un pays en guerre contre un ennemi extérieur –soutenu par une lame de fond internationale de désespoir– et ses alliés de l’intérieur endoctrinés et manipulés ; c’est aussi se voiler la face que de refuser d’engager la lutte contre les trafics qui financent tous les groupes armés et au-delà. Cela dit, IBK comme la “communauté internationale” persistent à ne concevoir leurs interventions que sous leur seul aspect militaire, et à négliger d’imposer les réformes politiques et morales qui seraient déterminantes en vue d’un redressement. Chacun sait que la lutte armée contre les groupes 10

 

armés ne suffira pas à rétablir la paix : il y faudra des accords politiques dont Ouagadougou qu’une préfiguration très partielles et Alger une préfiguration mal conçue et donc malencontreuse. Les faits montrent que, dès 2013, une entente parfaite encore que tacite s’est établie entre IBK et François Hollande sur le fait qu’il ne fallait pas aborder les vrais problèmes,[86] les vraies causes de l’effondrement du Mali après le coup improvisé du capitaine Sanogo. Ce lourd silence a été gardé à Alger, c’est pourquoi la médiation algérienne n’a servi à rien.

En bref, l’indispensable débat politique entre Maliens sur les raisons de rester ensemble et sur les modalités de le faire reste à organiser et à conduire jusqu’à la définition d’un nouveau contrat social. La “communauté internationale” qui exerce de fait sa tutelle sur le Mali doit le comprendre, et trouver le moyen d’aider à l’organisation de ce débat : d’abord en imposant le principe de ce débat national, puisque les forces politiques internes n’y sont pas parvenues depuis cinq ans ; ensuite en y désignant des médiateurs impartiaux, convaincus des vertus de la démocratie véritable, qui combine liberté de choix et responsabilité des élites, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent ; enfin en aidant les autorités –qu’elles aient été régulièrement élues ou qu’elles soient transitoires– à mener ce processus-là à bonne fin.

Au contraire, il est parfaitement irréaliste de suggérer, comme l’a fait récemment un groupe de chercheurs, que les Etats sahéliens pourraient organiser eux-mêmes les pourparlers qui conduiraient à la paix dans chacun d’eux et sur l’ensemble de leurs territoires. Comment peut-on écrire d’abord que “les Etats du G5 Sahel sont trop affaiblis pour réguler les appétits politico-économiques de ces milices” à base communautaire qu’ils ont créées pour lutter contre l’insécurité dans les zones qu’ils ne contrôlent pas, et affirmer quelques lignes plus loin que “les Etats sahéliens doivent prendre la responsabilité d’ouvrir ces dialogues [complémentaires de l’accord d’Alger, notamment dans les régions que cet accord ne couvre pas], y compris, s’ils le jugent utiles, avec des groupes djihadistes.”?[87] Qui ne voit la contradiction ?

Au point où en est le Mali, c’est sans aucun doute la “communauté internationale” qui doit prendre conscience de son engagement inéluctable, des risques que présente pour elle-même l’indécision et l’inaction sur ce terrain embrasé, et affronter ses responsabilités en donnant à la MINUSMA un mandat politique qui aille bien au-delà de l’organisation d’élections dont –on l’a vu– on ne peut rien attendre : un mandat de conduire les négociations entre parties maliennes, celles qui ont signé l’accord d’Alger et celles qui, depuis, se sont manifestées notamment dans le centre du pays, mais aussi la société politique et la société civile qui l’une et l’autre ont été tenues à l’écart de la discussion depuis 2012.

Aussi humiliant que cela puisse paraître, il faut tirer les conséquences du fait que les appareils administratifs et les élites politiques dirigeantes n’ont plus de légitimité. La force et les moyens d’action sont passés à la “communauté internationale” même si elle-même manque de légitimité et de détermination. Penser à une reconstruction de l’Etat à partir de la base, et sur des bases saines, c’est rêver : devant l’agression extérieure et la profonde dépression dans laquelle ont sombré les citoyens, seuls les soutiens extérieurs peuvent agir.

Conclusion

Les éléments rassemblés ci-dessus montrent à quel point de Mali est acculé par un danger imminent et mortel. Mettre son espoir dans l’élection présidentielle de juillet prochain, c’est se bercer d’illusion. L’opposition à l’actuelle majorité et au Chef de l’Etat a adopté une position 11 légaliste, qui consiste à soutenir l’organisation de cette élection ; et elle croit pouvoir, en ce qui la concerne, la préparer comme par le passé, c’est-à-dire dans la division entre partis innombrables et lilliputiens et dans l’invention de coalitions elles-mêmes fragiles et éphémères, ne reposant que sur les avantages que les chefs des clientèles électorales minuscules peuvent en attendre. Tieble Drame, qui a plaidé pour une candidature unique autour d’un programme de gouvernement négocié entre les partis de l’opposition, prêche dans le désert. Dans ces conditions, la stratégie de l’opposition ne peut conduire qu’à l’échec d’un changement d’orientation politique, tant en matière d’objectifs visés que de modalités d’action. Au contraire, elle pérennisera à coup sûr les petits arrangements, l’indécision, l’incurie qui minent le Mali depuis deux décennies.

Or la situation du Mali est aujourd’hui catastrophique. L’ennemi extérieur et ses soutiens intérieurs guettent toutes les occasions de l’aggraver par des agressions, attentats, assassinats ciblés, destruction des équipements publics (écoles, centres de santé, et maintenant barrages) jusqu’à ce que le moment leur soit favorable pour une prise de pouvoir directe ou par des intermédiaires à leur main. La “communauté internationale” semble ne pas voir ce qui lui pend au nez : l’installation au Mali, pour commencer, d’une base étendue et donc inexpugnable d’AQMI ou équivalent ; une base à partir de laquelle toute l’Afrique et l’Europe pourront être mises à feu et à sang.

Cette “communauté internationale” se laisse guider, aux Nations-Unies, par la France qui jusqu’à présent ne s’est pas montrée convaincue de ce que, au-delà de l’intervention militaire à laquelle elle a su rallier divers concours, c’est la transformation politique du régime en place qui s’impose absolument et urgemment. Comme ce régime, artificiellement entretenu par une tutelle extérieure déjà décisive, est manifestement incapable de se réformer, car ses cadres profitent ostensiblement et fièrement de l’état actuel des choses, c’est à la “communauté internationale” qu’il revient de préparer et de diriger le processus, sous peine de se montrer lâche et incapable d’accorder ses actions à ses paroles vantant la démocratie et la solidarité internationale. C’est pourquoi le mandat politique de la MINUSMA doit être considérablement élargi, pour couvrir la préparation et l’organisation de discussions entre parties maliennes en vue de la formulation d’un nouveau contrat social.

Source: Le Républicain

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