Défense. “La défense européenne, une ambition française” [ENTRETIEN]

La présidente de l’Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN), Nicole Gnesotto, donne une conférence à Rennes, ce lundi 12 mars 2018, à la faculté de droit. Dans le cadre du cycle des conférences “Rendez-vous d’Europe”, Nicole Gnesotto s’exprimera sur la France et la promotion de la Défense européenne.

 

Nicole GNESOTTO, présidente de l’Institut des hautes études de Défense Nationale (IHEDN), professeure titulaire de la chaire “Union européenne” au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La Défense européenne : d’où vient ce projet ?

La Défense européenne c’est une ambition française qui est devenue, difficilement, un projet européen. Mais au départ, c’est une idée propre à la France, propre au général de Gaulle. C’était l’idée que l’Europe ne peut pas se contenter d’être un grand marché économique, que dans le monde les Européens ont des spécificités à faire valoir.

Sur le plan stratégique, il y a peut-être des intérêts qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux des Américains. L’origine du projet français, c’est cette phrase qui caractérise notre relation avec les Etats-Unis : « alliés, amis, non alignés », c’est-à-dire qu’il y a une marge de manoeuvre pour une identité européenne sur la scène européenne.

Ça a été un rêve solitaire de la France pendant toute la guerre froide parce que nos partenaires ne voulaient pas échanger la garantie nucléaire américaine solide contre la menace soviétique contre une garantie française hypothétique et invisible.

C’est redevenu un sujet politique d’actualité à partir de la chute de l’union soviétique. La France a proposé dès la fin des années 90 l’inscription dans les compétences de l’Union d’une politique européenne et de sécurité et de défense commune.

Mais n’y a-t-il pas un quiproquo dans cette notion de Défense européenne ?

Il n’y a qu’en France que l’on parle de la défense européenne ou d’Europe de la Défense. C’est un concept qui n’est pas traduisible en anglais. Les partenaires parlent d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC), et non pas d’une défense européenne qui laisserait penser que c’est un projet communautaire, collectif, achevé, un peu comme la monnaie unique. Ce n’est pas du tout ça.

Le terme est trompeur également car ce que l’on appelle en France la défense européenne, ce n’est pas la défense de l’Europe. Ça, tout le monde est d’accord pour dire que c’est l’Otan (Oganisation du traité de l’Atlantique nord) et les Etats.

Ce qu’on appelle la défense européenne, c’est une politique européenne de gestion des crises des autres. C’est une volonté commune des Européens de déployer éventuellement des moyens militaires pour gérer les crises extérieures à l’Europe.

Une opération Sentinelle à l’échelle européenne est donc inenvisageable…

La défense européenne n’a pas de compétence sur le territoire de l’Union, c’est une politique extérieure. Une opération Sentinelle européenne pour lutter contre le terroriste, à ce stade, c’est inimaginable.

Depuis 2003, l’Union a fait à peu près une vingtaine d’opérations extérieures. Avec des soldats ou des policiers européens, sous le contrôle politique du Conseil européen. Dans les Balkans, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Georgie (c’est l’Union européenne qui contrôle le cessez-le-feu entre la Russie et le Georgie après la guerre de 2008), il y a eu de grosses opérations d’intervention extérieures de l’UE en Afrique, en RDC notamment, au Soudan, au Moyen-Orient. Nous avons fait une grosse opération maritime, dans le golfe d’Aden, pour protéger les navires contre la piraterie. Une opération lourde très réussie…

Quel est le bilan de cette politique ?

Il est positif au regard de la jeunesse de cette politique de défense et de sécurité commune : ça fait à peine dix-sept ans qu’elle existe. Je rappelle toujours qu’il a fallu presque soixante ans pour la monnaie commune. Peut-être que dans soixante ans nous aurons une armée commune ou une force d’intervention commune.

Selon les opérations, selon les décisions des chefs d’Etats et de gouvernements, on a des capacités que les Etats mettent à disposition de l’Europe pour aller gérer des crises extérieures. Par exemple aujourd’hui, au Mali, il y a l’opération française (Barkhane) et des pays européens, dont les Allemands, par exemple, qui sont très présents à travers une opération de la PESD pour former les forces maliennes à la lutte antiterroriste.

Pourquoi cette question de la Défense européenne revient-elle dans l’actualité politique ?

Depuis 2016, on est dans une phase de relance, pour des raisons évidentes. D’abord le Brexit, les Anglais qui ont mis un veto à tout développement de la défense européenne partent, donc on va pouvoir faire beaucoup plus qu’on ne faisait avec eux.

Ensuite, il y a eu l’élection de Donald Trump, qui est à la fois un grand allié de l’Europe, mais c’est aussi quelqu’un de parfaitement imprévisible. Donc, on ne sait jamais, il faut peut-être que les Européens construisent une contre-assurance.

Troisièmement, le retour de la croissance : on a maintenant un peu plus d’argent à dépenser sur les questions de sécurité

Et quatrièmement, l’élection d’Emmanuel Macron qui a fait de l’Europe et du renforcement de l’Europe de la défense une de ses priorités. Il a convaincu ses partenaires que ce nouveau monde post-Brexit, post-Trump, post-crise, était une opportunité pour renforcer politiquement l’Europe.

On retrouve dans la politique d’Emmanuel Macron à la fois un projet stratégique, c’est-à-dire stabiliser nos pourtours (l’Afrique, le Moyen-Orient…) et aussi un projet politique, c’est-à-dire faire que la voix de l’Europe dans la solution diplomatique des crises.

Depuis un an et demi, il y a eu énormément d’initiatives qui ont été consensuels entre les 27, et qui n’auraient jamais pu voir le jour quand les Britanniques étaient encore là. On a créé un fonds européen pour développer l’industrie européenne d’armement, on a introduit des mécanismes de flexibilité dans la Défense, ce qui était impossible avant. Et on a renforcé l’ensemble des dispositifs européens d’interventions extérieures.

Vous présidez l’Institut des hautes études de défense nationale, l’IHEDN. Quel est son rôle ?

C’est une vieille institution de la République qui a plus de 80 ans. Son objectif est de diffuser l’esprit de défense auprès des cadres dirigeants de la nation.

Ce concept a évolué au fil des décennies ; hauts-fonctionnaires, universitaires, journalistes, personnalités de la société civile et religieuse…L’IHEDN n’a pas vraiment d’équivalent dans les autres pays européens, ni même aux Etats-Unis. Pour conforter un consensus sur la Défense et le diffuser, il faut mélanger systématiquement au plus haut niveau des cadres supérieurs militaires et des cadres dirigeants de la nation. C’est ce mélange qui forge un embryon d’esprit de Défense.

On peut absolument être en désaccord avec telle ou telle orientation de la politique de défense, mais ce que l’on souhaite c’est que ces débats se fassent de façon démocratique et argumentée. En tous les cas, les auditeurs défendent l’idée que la France doit avoir les moyens de sa défense.

Observez-vous de nouveaux profils parmi les auditeurs depuis les attentats terroristes de 2015 ?

L’IHEDN est une belle institution qui n’est pas en crise. Donc on refuse toujours du monde, depuis longtemps. Mais c’est vrai que le public change, et l’IHEDN doit s’adapter.

Depuis que j’ai pris la présidence du conseil d’administration, j’essaye par exemple d’ouvrir beaucoup plus les sessions aux femmes. Ce qui n’est pas évident, on est loin de la parité dans le monde militaire, et loin de la parité dans le monde politico-militaire qu’est celui de l’IHEDN.

Historiquement, il n’y avait pas de femmes il y a trente ans, on arrive aujourd’hui à 20 % sur les sessions nationales. C’est beaucoup plus équilibré dans les sessions régionales, tout simplement parce qu’elles durent moins longtemps, le temps disponible demandé aux femmes, notamment à celles qui ont de jeunes enfants, est plus court.

Autre évolution : le conseil d’administration a considéré qu’il fallait ouvrir beaucoup plus l’IHEDN aux universitaires, aux chercheurs, aux écrivains, aux faiseurs d’opinion et formateurs des futures générations, c’est-à-dire un monde qui n’était pas forcément en phase avec les militaires.

On a décidé aussi après les attentats de 2015 de renforcer notre contribution à la solidarité nationale. Nous avons donc beaucoup de séminaires citoyens auprès des jeunes.

Nous constatons aussi un intérêt croissant chez les jeunes professionnels et étudiants. L’Anaj, l’association des jeunes auditeurs enregistre un succès assez spectaculaire. Tous les ans à Paris, à l’école Militaire, nous organisons les journées de l’IHEDN ouverte à tout public, avec énormément de technologie. Ce sera le 26 mai cette année.

L’Europe est-elle aussi un sujet d’études pour l’Institut ?

Depuis dix ans, un groupe d’études travaillent toujours sur les questions de défense européenne. Chaque année, en février, il y a un voyage des auditeurs de deux sessions nationales à Bruxelles, pour découvrir l’Union européenne et l’Otan.

L’IHEDN est aussi impliqué dans le collège européen de défense et rassemble tous les ans des responsables de l’armement pour un séminaire conjoint sur l’évolution de cette industrie. La dimension européenne est très présente dans tous les travaux de l’IHEDN.

Ce lundi 12 mars 2018, de 18h à 19h30, conférence de Nicole Gnesotto, « La France et la promotion de la Défense Européenne », amphithéâtre Pierre-Henri Teitgen de la faculté de Droit et de Science Politique, 9 rue Jean-Macé à Rennes. Conférence organisée par le GIS Europe de Rennes et l’association Europe Rennes 35, dans le cadre du cycle des Rendez-vous d’Europe. Entrée libre et gratuite.

Source: uest-france.

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