Mali : le nœud de la contradiction

L’histoire se répète au Mali parce que ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre. La crise a atteint le point de non-retour avec l’utilisation de la force létale dans le cadre du maintien d’ordre qui a fait des morts et de nombreux blessés, sans compter l’interpellation de certains leaders du M5-RFP. Peut-on encore arrêter l’escalade au moment où la démission du président de la république revient au cœur de la contradiction ?

LA MAUVAISE LECTURE DE LA SITUATION
Manifestement, IBK a fait une très mauvaise lecture de la crise post-électorale. Si les contestations d’avant 2018 le mettaient face à des adversaires politiques, celles en cours l’opposent d’abord à ses soutiens d’hier déçus de la conduite des affaires publiques et habités par un profond sentiment de trahison. Il continue à tort de penser que la solution pourrait venir d’une simple distribution de porte -feuilles ministériels dont chacun sait que leurs détenteurs ne sont souvent que des faire-valoir face à son « Shadow Cabinet ». Difficile d’imaginer le Chef de l’Etat sans conseillers. Et pourtant, IBK donne l’impression de fonctionner en mode solitaire depuis longtemps et même toujours. La raison ? Le système mis en place en 1992 fait du président de la république un quasi monarque avec une telle concentration de pouvoirs entre ses mains que seul le bon sens et la sagesse peuvent le freiner. Le rôle qu’il a joué dans la gestion des élections législatives ainsi que le choix du président de l’Assemblée Nationale, perçu comme attentatoire au principe de la séparation des pouvoirs et une violation de son statut qui le place au-dessus des activités des partis politiques, a convaincu plus d’un que toutes les dérives sont de son fait et de la nécessité de sauver le pays de la dictature. Malheureusement pour lui, la totalité des problèmes qui ont surgi depuis son investiture de 2013 l’ont chaque fois exposé directement comme s’il fonctionnait sans fusible et sans filet de protection, avec des premiers ministres qui n’ont jamais eu le temps de présenter un bilan annuel, la banalisation de la fonction ministérielle, un parti politique (RPM) affaibli et mis en lambeaux à souhait, des décisions annoncées en grande pompe comme la lutte contre la corruption qui ne sont jamais suivies d’effet. Aujourd’hui, après la parenthèse peu glorieuse de la Cour Constitutionnelle, c’est la dissolution de l’Assemblée Nationale qui est réclamée avant tout débat sur la formation du Gouvernement. Cependant, les morts enregistrés à la suite du meeting du 10 Juillet se dressent comme un mur infranchissable entre les deux parties. Dans un camp comme dans l’autre, il est devenu difficile d’enjamber les corps encore chauds de ceux qui sont tombés. C’est le triste tableau qui se présente à la CEDEAO avant son entrée en scène.

LA VIOLENCE A DÉPLACÉ LE CENTRE DE LA CONTRADICTION
Les erreurs de coaching d’IBK ne se comptent plus depuis 2013. En effet, après son élection qui a suscité les espoirs les plus fous, il a commencé par doucher les ardeurs au sein de son propre parti le RPM. Il a ensuite instauré la culture de l’instabilité gouvernementale, en oubliant de faire un audit de la gestion des ressources publiques qui lui aurait pourtant fourni un moyen de pression inestimable sur une bonne partie de la classe politique. La lutte contre la corruption est ainsi restée un slogan battu en brèche jusque dans son propre camp. Pire, face à une simple velléité de sécession en 2013, IBK a vu les deux tiers du territoire national lui échapper dans une ambiance de scandales liés aux marchés publics des armements et équipements militaires. Le comble, c’est qu’aucun coupable n’a pu être épinglé dans ces sulfureuses affaires de milliards partis en fumée pendant qu’au su et au vu de tous, une minorité arrogante enrichie Dieu seul sait comment, assurée d’une impunité totale nargue des citoyens dont l’exaspération est arrivée à son paroxysme. Le Dialogue National Inclusif tenu au mois de Décembre 2019 dont les recommandations ont suscité un peu d’espoir, n’avait rien donné jusqu’à l’éclatement de la crise en cours. Le ras-le-bol est né avec l’organisation des élections législatives en plein COVID-19 et le tripatouillage des résultats. IBK a laissé la crise s’installer et se durcir comme s’il s’agissait d’une simple saute d’humeur de politiciens éconduits. Voilà comment la rue qui n’attendait qu’une bonne occasion pour exprimer une frustration longtemps contenue, s’est invitée dans le débat politique dont elle vient de changer les codes. Le réveil en sursaut d’IBK l’a amené à faire des propositions à contre-temps. Pour ne rien arranger, l’opération de maintien d’ordre a dégénéré, au point de provoquer la mort d’au moins onze personnes et faire plus d’une centaine de blessés, entrainant un déplacement regrettable du centre de la contradiction qui donne à la crise socio-politique une dimension cornélienne. Et pourtant, IBK détient incontestablement au Mali la palme du meilleur parcours politique. La CEDEAO n’arrive-t-elle pas comme en 2012, juste pour administrer l’extrême onction ?
La connaissance et le respect de l’adversaire sont des conditions essentielles pour gagner une bataille. Pour l’avoir ignoré, le clan IBK se trouve dans la disgrâce. L’Imam Mahmoud Dicko est le symbole de la résistance et du leadership transformationnel qui porte les espoirs de tous les frustrés du système mis en place en 1992. Saura-t-il discipliné ses troupes pour sortir le pays du purgatoire ?

Mahamadou Camara
Email : [email protected]

Source : INFO-MATIN

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