Loi n°052-2015 : Promotion du Genre ou Promotion de la Femme ?

L’émission de débat « Politik » du dimanche 7 octobre dernier sur Africable Télévision a, sous la férule journalistique du talentueux Mohamed Attaher Halidou, débattu de la mise en œuvre de la loi n°052-2015 du 18 décembre 2015 instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives (Journal Officiel n°056 du 31 décembre 2015, p. 2204), dans la foulée de la constitution des listes de candidats aux prochaines élections législatives.

Clou de l’émission, l’attention fut focalisée sur les implications d’un commentaire aux allures telluriques du SEGAL du Ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, M. Mohamed A. Maiga, présent aux débats, qui a expliqué que le respect de la proportion maximale de 70% d’hommes ou de femmes s’impose aux listes de candidatures aux législatives, et ce, même à partir d’une liste de deux (2) candidats.
Cette affirmation péremptoire a semblé surprendre plus d’un, puisque les états-majors des partis politiques et groupements de partis ou de candidats indépendants, occupés à composer et décomposer leurs listes, n’envisageaient cette exigence qu’à partir d’une liste de trois (3) ou plus de candidats. En effet, à lire l’article 2 de la loi n°052-2015 du 18 décembre 2015, il est disposé que « à l’occasion de l’élection des députés à l’Assemblée nationale (…), aucune liste d’au moins trois (3) personnes (…) n’est recevable si elle présente plus de 70 % de femmes ou d’hommes ».

L’esprit de la loi : à la poursuite d’une politique volontariste de promotion du genre !
Ayant le même texte en référence que les partis politiques, le SEGAL Mohamed A. Maiga a insisté sur cette interprétation de la loi au minimum possible, en ce que, s’il est impossible de l’appliquer aux cas des circonscriptions avec un (1) seul siège de député (c’est nécessairement 100% d’homme ou de femme), il est permis de l’envisager pour les listes deux (2) personnes. Ce faisant, ce serait du 50% contre 50% d’homme et de femme, et l’exigence du respect de la proportion maximale de 70% d’hommes ou de femmes contre la proportion minimale de 30% de femmes ou d’hommes ne serait nullement violée, mais plutôt respectée au mieux. Et c’est cela l’esprit de la loi, et le SEGAL Maiga est bien dans son rôle de faire donner effet utile à la loi sur la promotion du genre, je dirais sur la promotion de la FEMME !
Déjà que la configuration actuelle de la législature en cours depuis 2013 donne une piètre représentation de la gente féminine à l’hémicycle avec 14 députées-femmes sur 147 élus nationaux, soit seulement 9,52%, bien loin des 30% minimum poursuivis par la loi en cause. D’ailleurs cet objectif de la nouvelle politique législative de promotion du genre pourrait difficilement être atteint, si sur les 147 sièges à renouveler, l’exigence de la parité 70/30 n’est imposée qu’à partir de trois (3) candidats au lieu de deux (2) sur une liste donnée.
En effet, les 147 sièges actuels de l’Assemblée nationale se répartissent en 11 circonscriptions d’un (1) député, 19 circonscriptions de deux (2) députés, 15 circonscriptions de trois (3) députés, 4 circonscriptions de quatre (4) députés, 2 circonscriptions de cinq (5) députés, 1 circonscription de six (6) députés, et enfin 3 circonscriptions de sept (7) députés.
Dans l’hypothèse où toutes les listes chercheraient à respecter au minimum la parité des 70/30 en faveur de la femme, l’application de la loi n°052-2015 en son article 2 (liste d’au moins 03 personnes) donnerait :
pour les 11 circonscriptions d’un (1) député, soit 11 élus : 11 hommes contre 00 femme (impossibilité d’appliquer la proportion 70/30 sur une personne) ;
pour les 19 circonscriptions de 2 députés, soit 38 élus : 38 hommes contre 00 femme (tolérance de la non-application de la proportion 70/30 au regard de la tolérance permise par l’article 2 susvisé de la loi) ;
pour les 15 circonscriptions de 3 députés, soit 45 élus : 30 hommes contre 15 femmes (2 hommes et 1 femme par liste, soit 66,66/33,33% d’hommes et de femmes, donc loi respectée alors que 3 hommes contre 0 femme serait une proportion de 100% d’homme violant la loi) ;
pour les 4 circonscriptions de 4 députés, soit 16 élus : 8 hommes contre 8 femmes (2 hommes et 2 femmes par liste, soit 50/50% d’hommes et de femmes, donc loi respectée – mais, 3 hommes et 1 femme serait une proportion de 75/25% violant la loi) ;
pour les 2 circonscriptions de cinq 5 députés, soit 10 élus : 6 hommes contre 4 femmes (3 hommes et 2 femmes par liste, soit 60/40% d’hommes et de femmes, donc loi respectée – mais, 4 hommes et 1 femme serait une proportion de 80/20% violant la loi) ;
pour la circonscription de 6 députés, soit 6 élus : 4 hommes contre 2 femmes (4 hommes et 2 femmes par liste, soit 66,66/33,33% d’hommes et de femmes, donc loi respectée – mais, 5 hommes et 1 femme serait une proportion de 83,33/16,66% violant la loi) ;
et enfin pour les 3 circonscriptions de sept (7) députés, soit 21 élus : 12 hommes contre 9 femmes (4 hommes et 3 femmes par liste, soit 57,15/42,85% d’hommes et de femmes, donc loi respectée – mais, 5 hommes et 2 femmes serait une proportion de 71,42/28,58% violant la loi).
De cela, nous aurions eu 38 femmes sur 147 députés à élire, soit proportion de 74,15% d’hommes contre 25,85% de femmes, un peu loin de l’esprit, de la politique législative et de l’objectif de la loi n°052-2015 du 18 décembre 2015 sur la promotion du genre instituant la proportion de 70% maximal contre 30% minimal d’hommes ou de femmes.
Les partis, groupements de partis ou de candidats indépendants seraient-ils bien fondés à procéder comme ci-dessus exposés, en n’appliquant pas l’exigence du respect de la proportion 70/30 dans le cas des listes de député unique ou de deux (2) députés ?

Le texte de la loi : Dura Lex Sed Lex !
A l’évidence, la lecture pure et simple de l’article 2 de la loi n°052-2015 du 18 décembre 2015 autorise à procéder comme cela est disposé ainsi qu’il suit : « A l’occasion de l’élection des députés à l’Assemblée nationale, des membres du Haut Conseil des Collectivités ou des Conseillers des Collectivités territoriales, aucune liste d’au moins trois (3) personnes, présentée par parti politique, groupement de partis politiques ou regroupements de candidats indépendants, n’est recevable si elle présente plus de 70 % de femmes ou d’hommes ».
Très clairement, le texte indique que le respect de la proportion de 70% maximale de femmes ou d’hommes concerne les listes « d’au moins trois (3) personnes », c’est-à-dire, en l’espèce du cas malien soit 3, soit 4, 5, 6 et 7 candidats sur une liste donnée.
A contrario, les listes d’un (1) ou de deux (2) candidats ne sont pas tenues au respect de la proportion du genre prônée par la loi n°052-2015, au risque de constituer un handicap sérieux à l’atteinte de l’objectif de 30% minimum d’équilibre en faveur des femmes. Eh oui, Dura Lex Sed Lex (La loi est dure, mais c’est la loi). Peut-être que ni le Département concepteur de la loi sur la promotion du genre, ni le législateur n’ont pas vu venir ? Aussi, aurait-il fallu imposer l’exigence du respect de la proportion entre les genres à partir de la liste de deux (2) candidats, soit 50% d’homme et (ou) de femme… et écrire la disposition comme suit : « …aucune liste d’au moins deux (2) personnes n’est recevable si elle présente plus de 70 % de femmes ou d’hommes », cela aurait l’avantage d’être sans équivoque, si tant était l’intention du législateur.
D’ailleurs, l’article 3 suivant de la loi n°052-2015 n’est pas pour aider à confirmer la thèse du Département ministériel chargé de la promotion de la femme, même si cette disposition concerne a priori les élections locales, généralement organisées en mode de scrutin de listes à la proportionnelle, et qui dit que : « Les listes de candidature aux élections locales doivent respecter l’alternance des sexes de la manière suivante : si deux candidatures du même sexe sont inscrites, la troisième doit être de l’autre sexe ». Visiblement cette disposition de promotion du genre n’envisage son effectivité que dans l’hypothèse d’un contingent de trois (3) personnes au moins et pas en deçà.
Du reste, nous aurions certainement eu, à l’occasion des prochaines élections législatives ou du Haut conseil des collectivités, l’opportunité de comprendre définitivement l’interprétation à faire du texte de l’article 2 de la loi n°052-2015 en l’état, en cas de requêtes sur le sujet devant la Cour constitutionnelle, et de faire ainsi jurisprudence. En attendant et à mon sens, la rédaction du texte de la loi ne prête pas à équivoque : « aucune liste d’au moins trois (3) personnes » est suffisamment claire et exclut purement et simplement toute liste de moins trois (3) personnes, donc une liste d’un (1) et de deux (2) candidats. La loi est dure,… !

Suivi « statistique » et perspective
La politique volontariste de la loi n°052-2015 est patente, et c’est bien heureux que l’on insiste autant à promouvoir « la Femme », puisque ce faisant, on promeut « l’Enfant » et bien entendu « la Famille », et donc toute la Communauté : « éduquer une femme, c’est éduquer toute une société » a-t-on coutume de dire.
En appui, le Décret n°2016-0909/P-RM du 6 décembre 2016 déterminant les fonctions nominatives et électives pour l’application de la loi n°2015-052 du 18 décembre 2015 instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives (Journal Officiel n°050 du 9 décembre 2016, p. 1990) vient préciser les fonctions nominatives dans les institutions et services de la République et les fonctions électives nationales et locales, tout en envisageant un mécanisme de suivi-évaluation d’une telle législation d’importance capitale.
Des comités d’institutionnalisation sont appelés à suivre et évaluer l’effectivité de la loi au sein des administrations étatiques et sur les listes de candidatures aux élections nationales et locales, et ce, à côté des solutions judiciaires données par les cours et tribunaux en matière électorale.
Ces comités ont fort à faire, puisque les statistiques actuelles ne sont apparemment pas des plus reluisantes en faveur de la promotion de la femme, puisque même la composition de l’équipe gouvernementale a, depuis le vote de la loi 052-2015, attendu un quatrième remaniement pour se conformer à la proportion 70/30 d’hommes et de femmes.
Dans ce domaine, le cas de la politique réduction des inégalités entre classes sociales en Afrique du Sud peut être une riche source d’inspiration à travers un système de discrimination positive favorisant l’émancipation économique des Noirs, des Métis et Indiens qui subissaient moult discriminations sous le régime de l’apartheid : le B.B.B.E.E « Broad-Based Black Economic Empowerment » (Emancipation Economique à Grande Echelle des Noirs).
Il s’agit, en l’occurrence, de combler l’écart de niveau de vie entre blancs et populations de couleur, autant dans le secteur public, mais aussi et surtout dans les entreprise privées encouragées en termes d’accès aux marchés publics et de fiscalité. Ces secteurs d’activité sont encourager à améliorer leur ratio d’intégration des couches sociales cibles dans leur actionnariat, leur management et leur personnel, étant entendu que la part de femmes issues desdites couches sociales est un critère très qualifiant pour bénéficier des avantages étatiques.
Comme pour dire que c’est un vaste de chantiers de possibilités de promotion des couches défavorisées qui pourrait se poursuivre au Mali, en s’inspirant des expériences positives d’ailleurs et surtout en instituant un modèle efficace de suivi, de contrôle et de sanction de la politique de promotion du genre.
Ibrahim Ikassa Maiga
Enseignant/FDPRI (USJP/Bamako).

Figaro Mali

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