Les chroniques de la tribune : Nécrologie, nécrologues et Négrophobie ?

En 2003, chez Calmann-Levy, le journaliste Stephen Smith sort un petit opus qui ne passe pas inaperçu : Nécrologie, Pourquoi l’Afrique meurt. Beaucoup d’Africanistes patentés et auto-proclamés lui tombent dessus à bas-raccourcis. C’est que le style est vraiment osé et les mots sont crus, contrairement au style hypocrite et euphémisé auquel nous sommes habitués lorsque les Occidentaux osent critiquer la mère Afrique. Le journaliste l’a précisé dès le début, La liberté de ton est celle de l’urgence, sans mépris pour personne ! À voir ! En effet, l’accumulation des affirmations approximatives et les chiffres invérifiés prouvent bien que pour Stephen Smith, l’Afrique reste encore et toujours “cette chose” qu’on peut approcher sans prendre des pincettes, une merde, l’Afrique cette grosse merde où tout le monde refuse sa placedéposée quelque part dans l’univers et que géographiquement, on ne peut situer nulle part, ce continent Ubuland sans frontières… Pour ce journaliste, quarante ans après les indépendances, largement un siècle après la conquête coloniale qui coïncidait dans les faits avec la fin de la traite négrière, il n’y a plus d’excuses, plus de mythes étiologiques. Quarante ans seulement après les siècles de traites arabes et triangulaires qui ont ponctionné la sève nourricière de ce continent-mine de bois d’ébène, suivies d’une colonisation sauvage et brutale de plus de soixante années, ce petit monsieur voudrait que l’Afrique ait résolu tous ses problèmes de développement humain et économique !

Ce petit pamphlet afro-pessimiste qui aligne les chiffres les plus catastrophistes sur le continent Ubuland a fait le tour de la situation globale du continent Afrique en quelques 10 chapitres aux titres plus évocateurs les uns que les autres : (Il’apologue du banquet, brocarde la bombe démographique de l’Afrique. Selon l’auteur, la saignée des traites négrières est négligeable et l’Ubuland s’est tellement vite repeuplé qu’il ne peut plus ni nourrir, ni éduquer, ni soigner ses enfants laissés à l’abandon. Chiffres à l’appui, il démontre que le PIB par tête d’habitant y a perdu près du quart de sa valeur – en dollars constants – durant les deux dernières décennies du XXè siècleDe la pauvreté globale (II), en 18 pages, la question essentielle et globale est posée et résolue : pourquoi ce continent si riche au naturel porte ces africains misérables ? C’est que tout tient à la population incapable de réfléchir et d’inventer, remplacez les africains par les Japonais ou les français et la question de la pauvreté de l’Afrique ne se poserait plus. L’Etat phénix (III), pose l’équation de l’État et de la gouvernance en Afrique. Les poncifs sont nombreux sous la plume des “laborantins” de la politique africaine comme Jean-François Bayart (la politique du ventre), Nicolas Van de Walle et autres spécialistes-africanistes, pour eux l’effondrement de l’État postcolonial en Afrique est un fait. Mais, les explications données sont toujours trop courtes ou trop longues. Les portes de l’oubli (IV), les rapports chaotiques de l’Afrique avec le reste du monde sont vus sous le signe de la responsabilité d’une Afrique qui, malgré les esclavagismes (arabes et occidental), aurait survécu sans problème puisque la traite fut un désastre démographique, mais pas une catastrophe. (Les) Maudits dons du ciel (V). Où la malédiction de l’aide au développement est imputée à la seule Afrique qui l’aurait sûrement détournée régulièrement. Au paradis de la cruauté (VI). Où la barbarie de l’Africain est mise en exergue à travers tous les massacres perpétrés sur le continent. Mais, pourquoi tout ce qui peut porter un fusil tombe à bras raccourcis sur les autres enfants sacrifiés de l’Afrique ? La tribu enchantée (VII). Où l’auteur nous dit, exemples à l’appui (Gabon, Côte d’Ivoire, RDC, etc.) que le “système Bongo” peut être l’idéaltype du régime subsaharien où la tribu ou l’ethnie, (qui peut encore faire la différence entre ces deux concepts ?) est à la source des malheurs de l’Afrique contemporaine. Est-ce bien l’Afrique qui a inventé l’ethnie ou la tribu ? (VIIIL’apocalypse au pluriel. Où l’auteur nous instruit que, la religion traditionnelle africaine, larguée, les africains se sont précipités sur les religions révélées pour en faire des armes de destruction massive. Qui a inventé le djihad ? Qui a inventé la croisade ? (IXL’éthique des naufrageurs. Où l’essayiste nous parle de l’échec de la Démocratie et du développement en Afrique. Qui a lié Démocratie et Développement en Afrique ? Qui a décidé que l’aide était subordonnée à la Démocratie ? (XLe Cap des tempêtes. Où l’auteur se demande si la Nation arc-en-ciel n’est pas déchirée par une guerre civile qui ne dit pas son nom ? Il précise bien que l’Afrique du Sud est le pays le plus violent du globe. À qui la faute ? S’est-on posé la question pourquoi une population violentée pendant des décennies devient violente ? Si les afro-américains par exemple, sont violents aujourd’hui, à qui la faute ? De la traite esclavagiste, au racisme et à la relégation, comment ne pas être violent ? C’était encore mieux sous l’apartheid, non ? semble-t-il dire ! Voici en quelques mots le résumé de ce réquisitoire violent et à la limite raciste qu’un journaliste fait impunément contre notre continent.

Nécrologie, Stephen Smith, journaliste américain (il est important de le préciser) définit le concept comme le supplément d’auto-damnation que l’Afrique mêle à ses handicaps historiques, aux fléaux naturels ou aux injustices de l’ordre international. Autisme identitaire de l’homme noir”, elle se rapprocherait du diagnostic fait par une certaine Axelle Kabou il y a quelques années, d’une Afrique qui refuserait le développement. Ce néologisme que l’auteur définit à sa manière fait le tour de ce que les Africains ont fait de leur continent des indépendances à nos jours sur les plans économiques, politique, culturel, coopératif, commercial, social, etc. Dans un langage vert, au style journalistique, iconoclaste et irrévérencieux Stephen Smith veut parler aux Africains les yeux dans les yeux, sans faux-fuyant, sans prendre de gants, puisque tous les autres, jusque-là ont été incapables de le faire. Oui, s’il est vrai que l’Afrique cumule un certain nombre de handicaps naturels (climat, géographie, maladies, etc.) et historiques (esclavages, colonisation, néo-colonisation avec leurs corollaires), il est aussi patent que l’Africain lui-même en rajoute avec son atavisme séculaire depuis les indépendances (gouvernance chaotique, ethnicisme, corruption à grande échelle, massacres à grande échelle, religiosité comme arme de destruction massive, bref, les boursoufflures de l’africanité qu’on nomme ici nécrologie, ailleurs, on dit culture).

Si ton meilleur ami est incapable de te dire la vérité, paye ton pire ennemi pour te la dire, dit l’adage chinois. Le journaliste américain Stephen Smith a écrit en 2003 cet essai au titre ronflant : Nécrologie (Negro/Nègre et logos/discours/Discours sur le Nègre), Pourquoi l’Afrique meurt, je m’attendais à lire un sous-titre du genre : discours sur l’Afrique, discours sur le nègre, mais le sous-titre est bien : Pourquoi l’Afrique meurt. Une sorte de diagnostic sans appel de la fin très probable de l’Afrique. Il nous dit donc nos vérités sans fioritures, il les assène comme jamais, personne n’a parlé aux Africains. Malheureusement, derrière ce discours discourtois et myope l’auteur emprunte des raccourcis, cumule les lieux communs, aligne les chiffres les plus fantaisistes, ravive les préjugés qui ont la vie dure sur l’Afrique, bref, il n’arrive pas à se départir du style journalistique, incapable, qu’il est de creuser profond pour exhumer les causes qui produisent les effets. Accumuler les chiffres, surtout les chiffres des institutions internationales comme l’ONU et ses satellites, n’est pas forcément preuve d’orthodoxie et de sincérité quand on sait comment et pourquoi ces chiffres sont produits. Tout en reconnaissant à l’essayiste le courage de ses positions, nous lui faisons le reproche d’avoir attribué à la pauvre et seule Afrique le supplément d’auto-damnation qu’elle a mêlé aux handicaps hérités de la mère nature et des vicissitudes de l’histoire. Il fait le tour de l’histoire de l’Afrique comme si l’Afrique était seule à produire son histoire. Les problèmes de l’Afrique sont parfois tellement complexes que le style journalistique (sensationnalisme, raccourcis discursifs, la unisme, etc.) est incapable d’en rendre compte d’une façon objective. Comme le dit Odile Tobner, depuis le début des années 2000, les écrits sur le continent se sont multipliés dans la production éditoriale internationale, en particulier en langue française, ils sont plus que jamais, pour la plupart – en tout cas pour ceux qui ont les honneurs des médias – marqués du sceau de l’exotisme raciste, qu’ils soient produits par des journalistes blancs ou par « les nègres de service ». On assiste même, sur ce sujet, à une régression vers les stéréotypes les plus archaïques qu’aient pu fabriquer l’Occident tout au long de l’histoire de sa domination. Alors, Stephen Smith, Négrologue ou Négrophobe ? À moins qu’il ne soit les deux à la fois ! Ce qui est sûr, tout en se défendant de dénoncer une faille ontologique, cet auteur, journaliste au Monde, n’hésite pas à constater que, si l’Afrique n’est pas pauvre, les Africains sont de pauvres gens (en se cachant, pour rester politiquement correct, derrière une formule du PNUD sur la pauvreté de potentialités et de capacités). L’échec collectif des Africains serait en effet d’ordre culturel : Leur civilisation matérielle, leur organisation sociale et leur culture politique constituent des freins au développement… L’Afrique ne tourne pas parce qu’elle reste “bloquée” par des obstacles socio-culturels qu’elle sacralise comme ses gris-gris identitaires.

Pourquoi ai-je jugé utile ce détour par Nécrologie, pourquoi l’Afrique meurt, de Stephen Smith pour camper ces Chroniques de la Tribune ? C’est que :

1 – Je voudrais m’en distancer d’abord. En effet, si c’est la culture africaine qui est le frein à son développement, c’est que jamais ce continent ne se développera. Or, selon Mongo Béti, non seulement l’Afrique peut se développer, mais elle veut se développer, elle va se développer. Elle devra seulement franchir préalablement trois obstacles, certes hymalayens, mais nullement insurmontables : a) la marginalisation du village, refuge de 75 % au moins de ses populations ; b) la dépendance à l’égard de l’étranger, connue et entretenue en France sous prétexte de coopération franco-africaine ; c) un jacobisme d’importation qui, en Afrique francophone surtout, fait fi de la diversité des cultures régionales. C’est ici une profession de foi qui anime tous ceux qui aiment l’Afrique et j’espère que j’en suis.

2 – Je voudrais en même temps (en usant de ce macronisme) m’en réclamer. Parce que tout ce que dit Stephen Smith n’est pas faux, au contraire ! L’Afrique postcoloniale s’est construite en championne de la mal-gouvernance, du népotisme, de la corruption, de la violence politique et sociale, de l’illusion/illumination religieuse, etc., tout cela en instrumentalisant sa culture et en le faisant croire. Après le temps des pères des indépendances et l’arrivée des militaires par coups d’État, aux affaires en Afrique, spécialement dans les anciennes possessions françaises, les choses se sont vraiment gâtées sur le continent. Des mandats illimités aux transferts du pouvoir aux fils en passant par la gabegie, l’incompétence, le vol, la corruption, bref, la mal-gouvernance dans toute sa splendeur. On a pratiquement tout vu sur ce continent Ubuland, selon les mots de Stephen Smith.

3 – Le mensonge et la corruption ont tellement gangrené notre pays le Mali que, ce serait une démission que de se taire. En avril 2012 déjà quelqu’un écrivait dans les journaux : Comment le mensonge a détruit notre pays ! » Il concluait alors son article par ces mots : « Comment garder encore de l’espoir pour notre pays quand nous voyons qu’en moins de 60 ans nous avons déjà vécu trois (3) coups d’État pour les mêmes causes et pour les mêmes effets ? On prend les mêmes et on recommence jusqu’à ce que… À chaque alternance, même musclée, des maliens ont manifesté bruyamment de la joie, la joie de respirer un peu, la joie d’espérer mieux, et chaque fois, le Mali est retombé dans les mêmes travers ! Comment croire en l’homme désormais ? “ Après tout ce que nous avons vécu depuis 1991, avec tout ce que nous vivons aujourd’hui, peut-on encore croire aux hommes politiques qui nous bassinent avec leurs discours ensorceleurs ? Peut-on encore croire aux entrepreneurs sociaux (société dite civile) qui pactisent avec des hommes politiques véreux ? Peut-on seulement croire en l’homme malien aujourd’hui ? Grave interrogation qui interpelle chaque malien !

4 – Ces chroniques, plus ou moins régulières vont investiguer des domaines aussi divers que ceux pratiqués par Stephen Smith : Mandélogie, Pourquoi le Mali meurt ! Est-ce vraiment parce que nous sommes héritiers des vaillants royaumes madingues que nous sommes aujourd’hui là où nous sommes rendus ? Cela, c’est la thèse de Stephen Smith que nous allons déconstruire au fur et à mesure que nous explorerons les domaines aussi divers que la massification de la mort au Mali ; la religion au secours du manque d’imagination ; le sport au secours de Républiques bananières ; les vieux haillons de la françAfrique ; la soupe populaire ; Des valeurs pour la République ; La République des fils ; les Élites africaines ; Etc…Ces thèmes ne seront pas nécessairement traités tels quels, ni dans l’ordre aléatoire où ils sont cités, ce sera en fonction des inspirations de l’auteur et des opportunités du moment.

Merci aux responsables de la Tribune qui « osent » ouvrir leurs pages à quelqu’un dont on avait dit qu’il a la critique gallicane. Espérons simplement que ces balbutiements participent de la refondation d’une République en situation de putréfaction très avancée. Que Dieu nous vienne en aide !

 

La Gallican

Mali Tribune

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