Qui était Thomas Sankara, l’icône panafricaine de la lutte contre les impérialismes ?

Le 15 octobre 1987, le « père de la révolution burkinabé », devenu depuis une icône de la lutte contre les impérialismes, Thomas Sankara, est tué lors d’un coup d’Etat fomenté par quelques-uns de ses anciens compagnons de lutte. Trente-quatre ans après, le procès des auteurs présumés de cet assassinat reprend ce lundi 25 octobre, devant le tribunal militaire de Ouagadougou. Très attendu par les familles de victimes de ce putsch qui avait porté au pouvoir Blaise Compaoré, l’ex-ami intime du capitaine Thomas Sankara, ce procès avait été renvoyé le 11 octobre dernier. Portrait.   

 

Celui qui deviendra le capitaine Thomas Sankara, président de la République du Burkina Faso – mélange de deux langues locales, le moré et de dioula, et qui signifie pays ou patrie des hommes intègres –, et l’une des icônes africaines de la lutte contre les impérialismes, est né le 21 décembre 1949, à Yako, petite localité située au nord de ce qui était alors la Haute-Volta, l’un des neuf territoires de l’Afrique occidentale française.

Une carrière militaire précoce

Fils d’une mère Mossi, le groupe de population le plus important du pays, et d’un père Peul, ancien combattant de la Seconde guerre mondiale, Thomas Isidore Noël Sankara, troisième rejeton mais premier garçon d’une fratrie de onze enfants, incarne la diversité burkinabé. Après ses études primaires et secondaires, il intègre l’Ecole Militaire Préparatoire de Ouagadougou, un établissement fondé par l’armée française en 1951 sous le nom d’Ecole des Enfants de Troupe de Ouagadougou, et qui deviendra ensuite le Prytanée Militaire de Kadiogo.

A la fin des années 1960, en compagnie de Blaise Compaoré, il suit une formation à l’EMIA, l’Ecole militaire inter-armes de Yaoundé, au Cameroun. Puis, il embarque pour Madagascar, où il rejoint l’Académie militaire d’Antsirabé, dans le centre du pays, pour y suivre une formation d’officier de l’armée.

Malgré les tensions autour du régime de feu Philibert Tsiranana, premier président de la République malgache, Thomas Sankara achève sa formation et retourne en Haute-Volta en 1973 avec le grade de sous-lieutenant. Il est affecté à Bobo Dioulasso, deuxième ville du pays, située dans le sud-ouest, pour y former une compagnie de jeunes recrues.

Ses méthodes et son enseignement détonnent : il tient à former les jeunes à la citoyenneté, mais aussi à l’exercice de leurs droits politiques. L’année suivante, alors que le chef de l’Etat, le général Aboubacar Sangoulé Lamizana, doit faire face à une grave crise parlementaire, Thomas Sankara est affecté à la compagnie de génie de Ouagadougou.

Mais surtout, le jeune lieutenant s’illustre lors des brefs affrontements qui opposent militaires maliens et burkinabés, en décembre 1974, pour le contrôle de la bande d’Agacher, une fine langue de terre d’une trentaine de kilomètres de long, à cheval entre les deux pays. Ces derniers se disputent ce petit territoire désertique mais riche en minerais, depuis leurs indépendances au début des années 1960. Durant ces combats qui n’ont duré que deux jours, mais qui ont quand même fait quelques morts de part et d’autre, Thomas Sankara réussit une percée avec ses hommes. Dès lors, il acquiert une renommée nationale. Une médiation des pays voisins met fin au conflit.

L’engagement politique

Deux ans après ce fait d’armes, Thomas Sankara est nommé à la tête du CNEC, le Centre National d’Entraînement Commando de Pô, dans le centre-sud du pays. Alors que le pouvoir du président Lamizana est de plus en plus contesté, en particulier depuis l’instauration du parti unique en novembre 1975, Thomas Sankara connaît un début de carrière plutôt brillant.

Entre janvier et mai 1978, en compagnie de son ami Blaise Compaoré, il effectue un stage de perfectionnement au Centre de formation des parachutistes de Rabat, au Maroc. Après ce séjour marocain, Blaise Compaoré devient l’adjoint de Sankara à la tête du CNEC. Mais surtout, avec quelques-uns de leurs frères d’armes comme Henri Zongo, Boukary Kabore ou encore Jean-Baptiste Boukary Lingani, ils créent le ROC, Regroupement des officiers communistes.

En cette fin des années 1970, la vie politique burkinabé alterne périodes autoritaires et démocratie parlementaire. De surcroît, elle est émaillée de scandales financiers. Ce qui conduit de jeunes officiers comme Thomas Sankara à s’investir en politique. En novembre 1980, après deux mois de grèves déclenchées par les syndicats enseignants, le général Aboubacar Sangoulé Lamizana est renversé par un coup d’Etat du colonel Saye Zerbo, qui accède à la magistrature suprême.

Quatre mois plus tard, en février 1981, un peu moins de deux ans seulement après son mariage avec Mariam Sermé, Thomas Sankara est promu capitaine et nommé à l’état-major de la division opérationnelle. Son complice Blaise Compaoré lui succède à la tête du Centre National d’Entraînement Commando de Pô. A l’époque, Thomas Sankara est très proche des militants d’extrême gauche. Huit mois plus tard, il accepte d’entrer au gouvernement en qualité de secrétaire d’Etat à l’Information.

Très vite, le colonel-président Saye Zerbo est lui-même contesté, notamment pour le caractère répressif de son régime. En réaction à la suppression du droit de grève, Thomas Sankara démissionne de son poste de Secrétaire d’Etat le 12 avril 1982, tandis que quelques-uns de ses proches tels que Blaise Compaoré et Henri Zongo, quittent le CMRPN, le Comité militaire de redressement pour le progrès national. Dans la foulée, les trois compères sont embastillés et chassés de la capitale.

Le 7 novembre 1982, Saye Zerbo est renversé par un nouveau putsch militaire, et le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo lui succède à la tête du CSP, le Conseil du salut du peuple. Trois mois plus tard, Thomas Sankara devient premier ministre du CSP. Mais lors d’un meeting, à Ouagadougou, en mars 1983, des divergences apparaissent entre Thomas Sankara et le nouveau président Jean-Baptiste Ouédraogo. Représentant de l’aile progressiste au sein de l’armée, Thomas Sankara est favorable à une rupture de la relation néocoloniale avec la France, l’ancienne puissance coloniale.

L’accession au pouvoir

Finalement, Thomas Sankara est arrêté le 17 mai 1983, tandis que son ami Blaise Compaoré s’enfuit à Pô, où il se déclare officiellement en rébellion. A Bobo Dioulasso et Ouagadougou, la jeunesse, soutenue par les partis de gauche et les syndicats, multiplie des manifestations pour demander la libération de Sankara. Dans le même temps, la résistance s’organise autour de Blaise Compaoré, à partir de la base des commandos de Pô, et en liaison avec Thomas Sankara.

Le 04 août 1983, les hommes du CNEC, avec Blaise Compaoré à leur tête, investissent Ouagadougou, accompagnés d’une foule en liesse. Ils déposent le président et portent Thomas Sankara à la tête de l’Etat. Le jour même, le pays est renommé Burkina Faso. Le lendemain, une grande manifestation est organisée dans la ville, en soutien au nouveau pouvoir.

Avec l’appui de partis jusque-là clandestins et d’obédience marxiste-léniniste, Thomas Sankara et ses camarades proclament la révolution et mettent sur pied un Conseil national de la révolution (CNR). Vingt jours après ce nouveau coup d’Etat, le gouvernement du CNR est constitué. Très vite, celui-ci met sur pied des Comités de défense de la révolution (CDR), inspirés de l’expérience cubaine, et chargés de suppléer les chefs traditionnels. En plus des pouvoirs féodaux, les CDR sont responsables de la sécurité, de la formation politique, de la production de produits locaux…

En mai 1984, une visite de Thomas Sankara en Côte d’Ivoire est annulée, à la suite du refus des autorités ivoiriennes de l’accueillir à Abidjan. Le mois suivant, Blaise Compaoré est à Paris. Le Burkina Faso espère que les accords de coopération pourront être signés avec la France. En vain. Néanmoins, le régime du président Sankara s’attèle au développement d’une économie peu dépendante de l’aide extérieure. Afin d’accroître les investissements, les dépenses de fonctionnement sont drastiquement réduites. Et pour encourager les productions locales, les fonctionnaires sont incités à porter l’habit traditionnel, le Faso dan fani.

Après une tournée africaine qui l’a notamment mené en Ethiopie, à Madagascar, au Burundi, en Tanzanie ou encore en Angola, Thomas Sankara écrit au président de l’OUA, l’Organisation de l’Unité Africaine – devenue depuis Union africaine –, pour annoncer la décision du Burkina Faso de boycotter les JO de Los Angeles. En cause : le soutien que les Etats-Unis apportent à Israël et à l’Afrique du Sud où sévit alors l’apartheid.

Quelques jours plus tard, à l’occasion du premier anniversaire de la révolution, le drapeau national change de couleur, et le pays se dote d’un nouvel hymne, le « Ditanyé », qui signifie « Le chant de la victoire » en langue lobi. Deux semaines seulement après cette date symbolique, le premier gouvernement révolutionnaire est dissous, et les ministres sont affectés comme chefs de projet pour la construction des logements.

Le bras de fer avec la France

Le 4 octobre 1984, Thomas Sankara prononce un discours qui fait date lors de la 39e session de l’Assemblée générale des Nations unies. Ce jour-là, il déclare notamment ceci : « […] Nul ne s’étonnera de nous voir associer l’ex-Haute-Volta – aujourd’hui le Burkina Faso – à ce fourre-tout méprisé, le Tiers-Monde, que les autres mondes ont inventé au moment des indépendances formelles pour mieux assurer notre aliénation intellectuelle, culturelle, économique et politique. Nous voulons nous y insérer sans pour autant justifier cette gigantesque escroquerie de l’Histoire. Encore moins pour accepter d’être « l’arrière-monde d’un Occident repu ». A l’époque, Thomas Sankara critique l’absence d’aide de la France, pourtant ses entreprises bénéficient de nombreux marchés de grands travaux dans le pays.

Alors que les relations entre Paris et Ouagadougou ne sont pas vraiment au beau fixe, le Burkina Faso décide de boycotter le sommet France-Afrique qui se tient à Bujumbura, en décembre 1984. Un peu plus d’un an après, pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, le capitaine Thomas Sankara est en visite à Paris, où il rencontre enfin son homologue français feu François Mitterrand, à l’occasion du Sommet de la Francophonie.

En novembre de cette même année 1986, c’est au tour du président Mitterrand de se rendre au Burkina Faso. Au cours du dîner de gala en l’honneur du chef d’Etat français, Thomas Sankara se lance dans une diatribe dans laquelle il brocarde les relations que la France entretient avec ses anciennes colonies africaines. En guise de réponse, François Mitterrand donne à son hôte « une leçon » de géopolitique tout en ironie.

D’une manière générale, Thomas Sankara critique les injustices de la mondialisation, la place démesurée occupée dans l’économie mondiale par des institutions telles que le Fonds monétaire international ou encore la Banque mondiale, ainsi que le poids de la dette des pays pauvres. Quelques semaines avant la fin de l’année, le 2 décembre 1986, le bras de fer avec la France se poursuit aux Nations unies, où le Burkina Faso reconnaît le droit à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

En représailles de ce vote, les députés de la droite française demandent que cesse l’aide française au Burkina Faso. Pour le président Thomas Sankara, le début d’année 1987 est marqué par des soupçons de complot en provenance du Togo, qui le conduisent même à annuler des rendez-vous internationaux. Au cours des mois suivants, le régime de Thomas Sankara est secoué par une grave crise interne.

La crise de régime et l’assassinat

A la suite d’une série de réunions importantes, Thomas Sankara propose notamment la dissolution des organisations membres du Conseil national de la révolution, et surtout la création d’un parti politique. Parmi ses compagnons de route, mécontentements et critiques enflent, et Sankara menace de démissionner.

Face aux accusations d’improvisation et de prises de décisions parfois irréfléchies, Thomas Sankara décide en juillet 1987, la création d’un cabinet spécial destiné à le seconder efficacement. Dans ce groupe restreint de collaborateurs, l’on trouve notamment : Paulin Bamouni, l’adjudant Christophe Saba, Bonaventure Compaoré, Frédéric Kiemdé, Patrice Zagré ou encore Alouna Traoré.

Malgré ces initiatives, la situation reste très tendue au sein du CNR. Entre Thomas Sankara et Blaise Compaoré, les dissensions s’aggravent. Ce dernier est même soupçonné d’être à l’origine des tracts orduriers qui circulent dans la capitale concernant Thomas Sankara et sa famille.

Entre les « chefs historiques » du CNR – Henri Zongo, Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Boukary Lingani et Thomas Sankara –, les tensions culminent début octobre 1987. Mais plus globalement, la rigueur et l’intégrité de Thomas Sankara ne plaisent pas à tout le monde. Par ailleurs, les dérives de la révolution ont fait naître une sorte de désenchantement au sein d’une partie des populations.

La plupart des chefs traditionnels dont les pouvoirs ont été très largement amputés par la création des Comités de défense de la révolution, expriment ouvertement leur désapprobation. Au sommet de l’Etat, Thomas Sankara et Blaise Compaoré ne se parlent presque plus. Désormais, deux clans rivaux se font face. Au cours du conseil des ministres du 14 octobre 1987, en l’absence de Blaise Compaoré, le gouvernement décide de créer le FIMATS, une sorte de brigade de police « anti-coup d’Etat ».

Un projet perçu comme une menace par le camp Compaoré. Le lendemain, en fin d’après-midi, Sankara réunit son cabinet pour finaliser le projet de création du parti, et mettre ainsi un terme à la crise de régime à laquelle il est confronté. Dès le début du conclave, un commando militaire surgit dans le bâtiment et élimine la garde rapprochée de Thomas Sankara. Les assaillants se rendent ensuite dans la salle où se trouve le président et ses proches. Ils abattent tout le monde, à l’exception d’Alouna Traoré, seul survivant de cette tragédie.

Source : TV5MONDE
Suivez-nous sur Facebook sur