Putsch de 2015 : « Il existe dans le pays, un manipulateur qui n’a toujours pas été débusqué », conclut Me Jean Degli

Qui a donné l’information aux éléments du RSP (Régiment de sécurité présidentielle) selon laquelle, le sort du corps est en train d’être scellé au Conseil des ministres du 16 septembre 2015 et qu’en plus, ce sont aux ministres Augustin Loada et René Bagoro qu’allait être confié le dossier ? C’est l’une des interrogations soulevées ce mardi, 6 août 2019 par Me Jean Degli, un des avocats du présumé cerveau du putsch, général Gilbert Diendéré. Pour lui, il y avait une taupe au Conseil des ministres qui a instrumentalisé ces éléments du RSP à son propre profit et dont l’identification disculperait le général Diendéré.

La journée a été celle de Me Degli, dira-t-on. De l’ouverture de l’audience ce matin à la clôture de la journée, le tribunal et l’auditoire se sont accrochés à sa plaidoirie. L’avocat va bâtir sa démarche autour de trois parties : attentat contre la sûreté de l’Etat ; meurtre, coups et blessures ; trahison et incitation à la commission d’actes d’indiscipline.

Ainsi, toute la matinée (9h-13h) a été consacrée par l’avocat au premier chef d’accusation à savoir, l’attentat contre la sûreté de l’Etat. Me Degli a abouti à la conclusion que le crime dont est accusé son client n’est pas constitué. Il prend appui sur le Code pénal (ancien) burkinabè, précisément en ses articles 109 et 110.

En effet, l’article 109 dispose que : « Il y a complot dès que la résolution d’agir est concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs personnes en vue :
– de changer par la violence le régime légal ;
- d’exciter les populations à s’armer contre l’autorité légale de l’Etat ou à s’armer les unes contre les autres ;

- de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ;
- d’organiser le massacre et la dévastation. La peine applicable est l’emprisonnement de cinq à dix ans ».

L’article 110, lui, stipule : « Le complot suivi d’un acte commis ou commencé pour en préparer l’exécution est un attentat puni d’un emprisonnement de dix à vingt ans ».

Pour l’avocat, l’attentat contre la sûreté de l’Etat implique un cumul de deux crimes à savoir, le crime de complot et l’exécution (ou début d’exécution) du complot. « Il est donc clair que le complot doit être un acte arrêté entre deux ou plusieurs personnes ; il ne peut pas être unipersonnel », interprète l’avocat.

Cliquez ici pour lire aussi Procès du putsch : « Blaise Compaoré a voulu violer un seul article, ceux qui lui reprochaient cela ont violé toute la Constitution », soulève Me Degli
Me Degli plonge son auditoire dans le droit comparé en opposant le code pénal burkinabè à ceux de la sous-région, notamment du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Mali et du Niger. Il observe que si dans ces codes, on n’a pas besoin de « concertation » à la base pour que le crime d’attentat contre la sûreté de l’Etat soit constitué, le code pénal burkinabè, lui, est « spécifique », en ce qu’il mentionne que pour que ce crime soit constitué, il faut à la base un complot et que ce complot soit suivi d’exécution ou d’un début d’exécution.

Pour l’avocat, dans le cas d’espèce, le Parquet n’a démontré à aucun moment l’existence de ces éléments constitutifs d’attentat contre la sûreté de l’Etat.

Me Jean Degli souligne qu’un coup d’Etat se prépare. Dès lors, son client, le général Gilbert Diendéré, n’aurait pas, à partir du 16 septembre, organisé des réunions de crise avec la hiérarchie militaire et lui demander de prendre le contrôle. Pour lui, lorsqu’on organise et planifie un putsch, c’est qu’on a pris le soin de tout prévoir ; « actions et réactions ».

« Lorsqu’on planifie un coup d’Etat, on prend le pouvoir d’autorité ; on ne se fait pas prier pour ça. C’est ce qu’aurait fait le général Diendéré. Or, ce qu’a fait le général semble être le contraire de tout cela », soutient Me Degli, pour qui, Gilbert Diendéré est, « une fois de plus », intervenu en « sapeur-pompier » aux fins de contenir la crise. Il relève au passage que le RSP faisait ainsi face à une énième crise due à des promesses non tenues et au traitement dont il était l’objet.

Sur le déroulement même des faits, l’avocat s’interroge sur comment des informations du Conseil des ministres (du 16 septembre) ont pu se retrouver entre les mains d’éléments du RSP, de sorte qu’ils se soient rendus compte que le sort du corps est décidé et que le dossier est géré par les ministres Augustin Loada et René Bagogo. « Le RSP ne participe pas au Conseil des ministres », estime-t-il avant de noter qu’il y avait un « mounafica » (taupe) dans ledit Conseil des ministres qui a filé l’information aux éléments du RSP, avec à l’esprit que l’information les pousserait à la révolte.

Pour lui, c’est cette taupe qu’il faut rechercher. Il se demande pourquoi le Parquet n’a pas poussé loin sa recherche aux fins de connaître ce « mounafica ». 
« Si on n’a pas cherché à découvrir cette personne, c’est parce que l’on sait qu’une telle preuve décharge le général Diendéré. (…). Il existe dans le pays un manipulateur qui n’a toujours pas été débusqué », conclut-il lui-même.

Il en veut pour appui qu’après avoir arrêté les responsables de la transition, l’adjudant-chef major Eloi Badiel a rendu compte, par téléphone, au commanditaire en ces termes : « La mission est Ok ».

Et selon Me Degli, le général Diendéré n’a jamais reçu de compte-rendu de la part de l’adjudant-chef major Badiel. Ce qui convainc l’avocat que le coup d’Etat de septembre 2015 avait un autre commanditaire que son client qui a simplement assumé la paternité du putsch pour éviter le chaos au Burkina Faso.

Pour Me Degli, Gilbert Diendéré « n’a jamais eu l’intention de commettre un attentat contre la sûreté de l’Etat. Encore moins en septembre 2015 ». Il en veut d’ailleurs pour illustrations, des propos tirés de l’interview du président de la transition, Michel Kafando, accordée aux éditions Le pays (dans sa parution du 16 septembre 2016, ndlr). Au cours de cette sortie, Michel Kafando aurait émis un doute que le général soit l’auteur du putsch.

Il a été amené à assumer l’acte, relève l’avocat des propos de M. Kafando. Dans le même élan, il s’est, auparavant, appuyé sur des propos de l’ancien président, Jean-Baptiste Ouédraogo, pour battre en brèche la charge d’attentat contre la sûreté de l’Etat qui pèse sur le général Diendéré. 
L’audience se poursuit demain, mercredi, 7 août 2019 à partir de 9h.

OHL
Lefaso.net

Suivez-nous sur Facebook sur