Paul Kagame espère de «bons progrès» dans les relations entre Kigali et Paris

Dans le cadre du sommet sur la Francophonie qui se déroule à Erevan, en Arménie, les rédactions de France 24 et de RFI se sont entretenues avec le président rwandais Paul Kagame. Paul Kagame qui souhaite de nouvelles relations entre Paris et Kigali est donc notre invité ce matin. Le chef de l’Etat rwandais répond aux questions de Christophe Boisbouvier (RFI) et Marc Perelman (France 24).

RFI/F24 : Monsieur le président si vous revenez un an en arrière, est ce que vous auriez pu imaginer que la ministre rwandaise, votre ministre des Affaires étrangères, deviendrait la secrétaire générale de la Francophonie ?

Paul Kagame : Au Rwanda, nous avons maintenant l’habitude de voir des choses improbables se produire, des choses auxquelles nous ne nous attendions pas, ou plutôt auxquelles les autres ne s’attendaient pas. Cela fait partie de l’histoire chez nous. Et le pays se trouve dans ce genre de situation, d’environnement, où tellement de choses se produisent, y compris celles qui n’ont pas été planifiées ou qui n’étaient pas attendues…. Donc pour moi, ce n’est pas une surprise.

Mais avez-vous été surpris quand un émissaire du président Macron est venu vous voir en vous suggérant que Louise Mushikiwago pourrait prendre la tête de la Francophonie ? Vous pouvez nous en dire plus ?

Vous savez, on pourrait classifier les surprises de façons diverses et variées. Je crois que la France elle-même a été surprise d’avoir quelqu’un comme Macron devenir président. Il n’y a pas si longtemps, il y a eu des élections en France et on ne pouvait pas prédire qui deviendrait président de France. Donc, si vous regardez tout l’éventail de ces choses qui se produisent, c’est très hétérogène. Il y a du nouveau, des choses différentes et c’est pour cela que je disais, dans mon pays on y est habitué. Je pense que le président Macron a apporté de la fraîcheur dans l’arène politique. Pas seulement en France, mais en France, en Afrique et dans le reste du monde. Nous voyons beaucoup de choses se façonner dans le monde et il est inévitable que de telles choses se produisent.

Pouvez-vous confirmer qu’il a envoyé un émissaire suggérant cette idée-là et que vous avez pensé que c’était une bonne idée. Et vous l’avez suggéré à votre tour ?

Pourquoi ne pas le lui demander ?

C’est à vous que je pose la question. C’est vous que je suis venu voir !

Oui, mais vous l’avez vu juste avant moi, pourquoi ne pas lui avoir posé cette question ?

La prédécesseur de Louise Mushikiwabo, Michaëlle Jean, a clairement critiqué la manière dont elle avait été débarquée. Elle a dit que c’était des arrangements entre pays, elle a aussi clairement critiqué le fait que l’organisation serait désormais dirigée par quelqu’un qui ne respecte pas les valeurs et les principes, se référant clairement à la situation des droits de l’homme au Rwanda. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?

C’est une réaction très simple. Primo : Michaëlle Jean doit se souvenir comment elle est devenue secrétaire générale de la Francophonie. Elle sait très bien qu’elle est le produit d’une controverse qui a eu lieu à l’époque, donc pour….

La désunion africaine ?

Oui, et entre l’Afrique et d’autres zones francophones, y compris la France. Donc est-ce que cette personne peut juger la Francophonie dans son ensemble ? Parce que si aujourd’hui vous regardez le niveau de consensus atteint en Afrique d’abord, puis dans toute la Francophonie, on ne peut pas dire qu’il y avait anguille sous roche, sinon tous ces pays n’auraient pas pu acquiescer et accepter qu’on leur mette le couteau sous la gorge. En fait, c’est une insulte qu’elle dise cela. C’est une insulte à la sagesse de tant de personnes, à tant de pays francophones. Mais je peux comprendre qu’elle l’ait pris de manière personnelle et cela l’a mise en colère. On l’a vu dans son discours elle était très en colère, amère… Je peux comprendre.

Vous avez été choqué ?

Non pas vraiment. Pas choqué, j’ai déjà vu cela tant de fois. Il faut le mettre de côté.

Il y a un mois, le Rwanda a libéré plus de 2 000 prisonniers. C’était un geste de bonne volonté du Rwanda avant ce sommet ?

Très souvent dans l’histoire, à partir de 1994, nous avons libéré tant de personnes, tant de fois, à différents moments. Il se trouve que cela s’est produit avec son propre calendrier. Il y a une fois ou nous avons libéré 30 000 personnes.

Oui, bien sûr, mais parmi ces prisonniers il y avait Victoire Ingabire.

Mais il y a beaucoup d’autres personnalités parmi ceux qui ont été libérés. Victoire Ingabire est l’une de celles qui étaient en prison, pour les mêmes raisons que les autres. Parmi eux, il y en avait qui avaient commis des crimes pendant le génocide, parmi ces 2 000 personnes. Victoire faisait partie de ces personnes.

Donc c’était un geste de bonne volonté avant ce sommet ?

C’est un signe de bonne volonté dans le contexte politique du pays et cela fait 25 ans que ça dure.

Vous avez mentionné une interview que le président français nous a accordée. Il a dit avoir vu des signes que le Rwanda voulait améliorer sa position dans le domaine des droits de l’homme – il faisait clairement référence à ce geste. Et le fait que Louise Mushikiwabo est maintenant à la barre de la Francophonie, dans un sens, cela améliorerait la situation à l’avenir. Est-ce que vous êtes d’accord avec ces propos ?

Oui. Mais les libérations sont intervenues longtemps après que l’on mette en avant le nom de Mushikiwabo. Bien, bien après.

Mais avant sa désignation ici ?

Mais le président n’a pas pu anticiper la libération de ces personnes. Des mois, des années, avant ces libérations. Donc, pourquoi pensez-vous qu’il n’y aurait qu’un seul paramètre à prendre en compte ici ? Peut-être qu’il y a toute une série de paramètres au Rwanda, dans son propre système de gouvernance. Et il y a le travail que Mushikiwabo a fait pendant 8 ans, en tant que ministre des Affaires étrangères. Je préside l’Union africaine. Elle a été du coup présidente du Conseil des ministres africains et je suis convaincu que cela vient d’un certain crédit que les autres donnent au pays ou à ses ressortissants. Des choses que ceux qui posent de telles questions ne sont peut-être pas prêts à voir.

Êtes-vous prêts à voir un ambassadeur de France au Rwanda ? Est-ce que vous espérez la visite d’Emmanuel Macron à l’occasion des commémorations des 25 ans du génocide, en avril prochain ?

J’espère que l’on fera de bons progrès dans les relations entre le Rwanda et la France. Les dirigeants, les gens, la diplomatie. Beaucoup de progrès et cela amènera tant de choses. Notamment le renforcement des liens diplomatiques entre les deux pays, des liens qui existent historiquement, et qui iront en s’améliorant à l’avenir. Cela arrivera bien sûr, parce que des temps nouveaux apportent le changement. Il y a deux ans, nous avions affaire à d’autres personnes, maintenant nous avons affaire au président Macron. Je pense qu’il a l’esprit ouvert, c’est peut-être pour cela qu’il a été élu en France, il représente quelque chose de nouveau, de différent. Alors je pense que nous pouvons faire de bons progrès.

Mais lui avez-vous, par exemple, transmis une invitation pour qu’il vienne visiter le Rwanda ? On se souvient quand Nicolas Sarkozy est venu au Rwanda. Est-ce que ce serait un geste important, parce que les symboles comptent ?

Absolument. Nous l’avons invité il y a longtemps, je me souviens, lorsqu’il venait de devenir président. On s’est rencontré dans différents endroits et j’ai toujours invité le président à venir voir notre pays. Je suis sûr que, alors que nous forgeons une bonne relation, le président sera ravi de voir les choses par lui-même.

Rapidement, un sujet régional : dans la RDC voisine, des élections sont prévues fin décembre. C’est une histoire compliquée. Le président Joseph Kabila a dit qu’il ne se représenterait pas, mais beaucoup d’observateurs, dans la région et à l’extérieur craignent qu’il y ait des désordres avant l’élection, pendant l’élection et après. À l’évidence, le Rwanda est en première ligne. Est-ce que vous êtes inquiet au sujet de tels désordres possibles ?

Je ne suis pas préoccupé dans le sens où je serais préoccupé par ce qui pourrait arriver, mais le Rwanda se doit de contribuer à matérialiser les attentes des Congolais ou d’autres Africains, dont les Rwandais eux-même. Nous sommes des voisins très proches, nous avons toute une histoire. Quand il se passe quelque chose au Rwanda, cela à des répercussions en RDC et inversement. Il n’y a pas de doute là-dessus. Et je suis sûr que d’autres pays voisins regardent cela avec attention et anticipation et, peut-être qu’ils veulent nous assister. De plus, le Rwanda joue un rôle en tant que président de l’Union africaine. Nous sommes toujours attentifs à ce qui se passe, non seulement en RDC, mais aussi dans d’autres pays africains. Et nous voulons appréhender ces problèmes d’abord en lien avec les pays et leurs leaders. Que vous les appréciiez ou non, c’est eux qui ont la responsabilité. Après, nous pouvons les soutenir, soulever des questions que nous pensons légitimes. Et cela fait un moment que ça dure entre la RDC, l’Union africaine, les Nations unies, différents partenaires, dont l’Europe. Ils ont soulevé de nombreuses questions par rapport à la RDC.

Avec Mushikiwabo à la tête de la Francophonie, est-ce que vous prévoyiez maintenant de prendre des mesures afin de promouvoir la langue française au Rwanda ?

Permettez-moi d’abord de faire une mise au point, au sujet de ce que j’ai entendu et même lu dans plusieurs journaux. Les gens disent, et c’est une confusion, que le Rwanda ne faisait pas partie de la Francophonie. Je ne sais pas d’où ça vient. Et puis, il y a l’idée selon laquelle nous avons remplacé le français par l’anglais. Je souhaite corriger cela. Tout d’abord le Rwanda reconnait officiellement trois langues : la langue rwandaise – le kinyarwanda – l’autre c’est le français et puis l’anglais. Donc nous avons rajouté l’anglais aux langues que nous parlions déjà, qui étaient deux au départ. Et cela pour des raisons évidentes, il n’y a rien de sinistre, de mystérieux là-dedans, c’est parce que le Rwanda est au milieu d’une région est-africaine qui parle anglais en totalité. Et nous faisons 90 % de nos échanges avec cette région. Ce serait complètement idiot d’ignorer cette réalité. Donc, Mushikiwabo à la tête de la Francophonie va sans doute impacter notre engagement en matière de langue française et sur les autres sujets aussi, comme celui des valeurs que nous avons abordé. On va continuer dans la même direction, nous ferons des pas supplémentaires et cela ira mieux, il n’y aucun doute là-dessus.

Monsieur le président, au cours de ce sommet on nous a dit que vous avez parlé français avec vos homologues chefs d’Etat, est-ce que c’est vrai ? Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots en français ?

J’ai essayé. Je dirais que je peux lire à voix haute. Maintenant, quand il s’agit de le parler de façon aussi spontanée que quelqu’un qui parle sa propre langue, ça reste compliqué pour moi. Mais si ça peut vous consoler, dans ma famille – mon épouse, mes quatre enfants – je suis le seul à ne pas parler français. Les autres le parlent ! Ma femme et mes enfants l’ont étudié à l’école, mais pour ma part, je lutte encore. Mais peut-être que je vais faire des progrès, qui sait !

Merci monsieur le président d’avoir accepté notre invitation à cet entretien sur France 24 et sur Radio France Internationale.

 

RFI

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