« L’acquittement de Bemba, une gifle pour Kabila »

La décision de la Cour pénale internationale d’acquitter Jean-Pierre Bemba aura permis à l’essentiel de la classe politique congolaise de se retrouver sur une analyse commune : “C’est une victoire évidente pour Jean-Pierre Bemba. Une défaite tout aussi évidente pour le président Joseph Kabila.”

Des membres de la majorité aux ténors de l’opposition en passant par les diplomates occidentaux présents dans la capitale congolaise, tous sont d’accord sur cette grille de lecture. “Même s’il ne peut pas se présenter suite à son passé judiciaire et on peut faire confiance à la majorité pour essayer de trouver des parades contre sa candidature, le retour de Bemba est une bombe dans le paysage politique congolais”, explique un diplomate en direct de Kinshasa.

Pour Frédéric Bolat, juriste congolais installé en Belgique : “Bemba peut se présenter à la présidentielle. Il est toujours sénateur et n’a jamais été condamné en République démocratique du Congo.” Les acteurs politiques congolais se montrent tout aussi certains que “Jean-Pierre” se présentera. “Il ne reculera pas et ne se laissera pas intimider par les mesures qui pourraient être prises par le pouvoir en place à Kinshasa”,  explique un de ses anciens “adjoints” du temps de la rébellion du MLC. “La politique, c’est toute sa vie. Il a ruminé son retour pendant dix ans à La Haye”, explique un ancien membre du gouvernement Kabila reconverti dans l’opposition depuis peu. “Et dix ans, c’est long. Il veut revenir et il veut revenir pour le pouvoir. Pendant tout son séjour en prison il a pensé à ce retour aux affaires. Il n’a jamais baissé les bras”, poursuit notre interlocuteur qui l’a vu récemment à La Haye. Pour un autre de ses anciens condisciples, Olivier Kamitatu, devenu porte-parole de Moïse Katumbi, le principal opposant de Kabila depuis plus de deux ans, “l’acquittement de Bemba démontre aussi que les affaires qui sont reprochées à Moïse Katumbi sont une mascarade, du pipi de chat.” Sur le retour de Bemba sur la scène politique, Olivier Kamitatu constate : “Il est évident que ça change la donne. Aujourd’hui, avec Bemba et Katumbi en face de lui, Kabila ne peut même plus essayer de prétendre qu’il peut gagner une élection. Son retour, c’est un plus évident pour la tenue d’un scrutin vraiment crédible.”

Un million de Kinois dans la rue

Dans les rangs de la majorité, certains ne cachent pas que ce retour de Bemba les inquiète. “Personne n’a oublié la foule des Kinois venue saluer le retour d’Etienne Tshisekedi en juin 2016. C’était le retour d’un vieux Monsieur qui était déjà content de pouvoir rentrer au pays. Avec Bemba, la donne est différente, s’il rentre, il met deux millions de personnes dans les rues et ça risque de ne pas être des gens avec des feuilles de rameaux et des bibles”, explique-t-il en référence aux manifestations pacifiques organisées par les églises catholiques de décembre 2017 à février de cette année. “Il faut que l’opposition puisse se mettre rapidement autour de la table”, conseille un ancien ambassadeur français, qui poursuit : “Bemba, c’est une bombe pour Kabila mais ce n’est pas un cadeau pour la démocratie. Tous ceux qui l’ont côtoyé à Kinshasa quand il était vice-président ou dans le bush quand il commandait la rébellion du MLC, vous le diront. Bemba, c’est un type violent, ce n’est pas la solution qu’il faut aujourd’hui pour la RDC. Par contre, son retour, ajouté aux pressions régionales et internationales et au travail de sape de Katumbi risque de précipiter encore un peu plus la fin du régime Kabila. Vous n’imaginez pas le nombre de caciques du régime qui nous contactent pour nous demander d’interférer en leur faveur. Ils sentent que c’est la fin et ils savent que Kabila les laissera sur le carreau s’il peut se sauver seul.”

Pour un autre diplomate, la nécessité pour l’opposition de se mettre autour de la table est aussi dictée par le besoin d’éviter de nouvelles tensions Est-Ouest en République démocratique du Congo. “Bemba vient de l’Ouest et y dispose d’un solide vivier. Katumbi vient de l’Est. Il faut éviter une nouvelle déchirure du pays. Il n’a pas besoin de ça maintenant.”

La libre Afrique

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