Mécanicien de génie, Cédric Simen, 27 ans, a conçu un véhicule tout-terrain qui fait la fierté de ses compatriotes et le buzz sur les réseaux sociaux.
Joseph Koagne n’en revient pas. « C’est la première fois que je vois une voiture fabriquée par un Camerounais », s’extasie l’enseignant, admirant l’engin dans le quartier administratif de Bafoussam, chef-lieu de la région de l’Ouest, au Cameroun. Il effleure avec précaution la carrosserie, poussant de petits cris admiratifs, lui qui ne rêvait que de la toucher depuis qu’il l’a vue sur Facebook. Là voilà face à lui ce samedi 29 décembre. Volant, tableau de bord, sièges en cuir… Il dévore tout des yeux avant de sortir son smartphone pour des dizaines de photos de cette auto stylée façon Mini Moke, un petit pick-up tout-terrain.
Etonnement, émerveillement et, finalement, fierté nationale… Tous les passants ont les mêmes réactions, suivies du même « C’est vraiment vous qui l’avez fabriquée ? » lancé à Cédric Simen. Depuis deux semaines, cet homme de 27 ans au sourire contagieux est la coqueluche des réseaux sociaux camerounais. Sa SM 237 (un nom tiré de son patronyme, Simen, et de l’indicatif téléphonique du Cameroun), petite voiture deux-places qui semble davantage pensée pour les plages que pour les rues poussiéreuses, crée le buzz.
« Je suis devenue une star, avoue-t-il, un peu dépassé par cette soudaine notoriété. Sur Facebook, dans les rues, on m’interpelle, on me félicite, on m’embrasse avant la sempiternelle photo. Beaucoup me disent qu’ils sont fiers de moi. Je reçois des appels du Cameroun, du Bénin, de Côte d’Ivoire, de France, de Belgique… de partout ! » Et d’ajouter dans un éclat de rire : « Moi je voulais juste réaliser mon rêve d’enfant, construire ma propre voiture et la conduire. »
« Les modèles de mes rêves »
Petit, Cédric Simen n’aimait pas l’école. Il séchait les cours pour aller chercher des bambous avec lesquels il fabriquait des véhicules qu’il offrait à ses amis à Bangangté, à 50 km au sud de Bafoussam. « J’inventais les modèles de mes rêves », se souvient celui qui se rendait régulièrement à l’atelier de tôlerie de son oncle pour l’observer travailler durant des heures. Surnommé « le rebelle » par ses parents, il abandonne quitte l’école au CM2 après son échec au certificat d’études primaires, pour apprendre la mécanique dans un garage auto.
Là, le garçon fait des merveilles. Un jour, un inconnu de passage, ébloui par son talent, le prend sous son aile. « Il était mécanicien, responsable logistique d’une entreprise de travaux publics, précise Cédric Simen. Il m’a appris à dépanner des Caterpillar et autres gros engins. Ensemble, nous avons voyagé dans plusieurs localités de l’Ouest. » En 2008, lorsque la société ferme ses portes, il s’installe à son propre compte à Bafoussam.
Cédric Simen achète plusieurs voitures, les retravaille à sa manière en modifiant la suspension, en adaptant les roues… « J’avais toujours quelque chose à changer », sourit-il. En 2018, il se sent enfin prêt à réaliser son rêve d’enfant. Il a économisé 2,5 millions de francs CFA (environ 3 800 euros) et va créer sa propre automobile. Dans un clip du chanteur ivoirien Safarel Obiang, il a vu une voiture de plage qui lui a plu et décide d’en créer une du même style, « mais plus belle, plus résistante et capable de rouler sur des routes sablonneuses et montagneuses, dit-il. Je voulais une voiture tout-terrain ».
Moqueries de ses proches
Tout le monde le décourage. Ses amis le traitent de fou, d’inconscient, d’attardé, voire pire… Les membres de sa famille le supplient d’utiliser cet argent pour faire quelque chose de vraiment utile. Autour de lui, c’est la dissuasion générale. « Je ne croyais pas en lui, j’étais convaincu que son projet était du gaspillage inutile. Lorsque j’ai vu la coque du véhicule, j’étais sûr qu’il n’avancerait pas… Je me suis trompé », reconnaît Elvis Zemekel, un mécanicien proche de l’inventeur.
Avec « l’unique et seul soutien » de son épouse, Cédric Simen s’entête pourtant. Début novembre, il achète fer, tubes, tôles, baguettes de soudure, disques, tuyaux ; il monte, démonte, soude… sous les moqueries de ses proches. « Il rentrait frustré. Mais je l’ai toujours encouragé, car j’étais convaincue du talent de mon mari, se rappelle Vanessa Goumleu. C’était le plus grand et le plus vieux de ses rêves. Il est tellement passionné que je savais qu’il allait y arriver. »