Au Burkina, la remise en liberté provisoire du général Bassolé suscite la controverse

Inculpé pour « trahison » dans l’enquête sur le coup d’Etat manqué de septembre 2015, l’ex-ministre de Blaise Compaoré reste en résidence surveillée.

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Aziz Korogo, capitaine Dao, Léonce Koné, Salif Kaboré, colonel Bamba… Dans l’enquête sur le coup d’Etat manqué de septembre 2015 par l’ancienne garde présidentielle de Blaise Compaoré, les non-lieux et les mises en liberté provisoire se succèdent et suscitent colère et incompréhension chez bon nombre de Burkinabés. La dernière en date, et non des moindres, a consommé le divorce entre une frange de la population et la justice.

Le 10 octobre, le tribunal militaire a accordé la liberté provisoire au général Djibrill Bassolé, l’ancien ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par une révolte populaire fin 2014. Une décision qui sera complétée par un arrêté précisant sa mise en résidence surveillée dans une maison gardée secrète, à Ouagadougou.

« Une trahison du peuple par notre justice », pour le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti au pouvoir, qui dans un communiqué évoque une « décision plus politique que judiciaire »« Le MPP constate que cette liberté provisoire est accordée au moment où des appels de toutes formes pour sa libération ont été lancés par les ténors de l’ancien régime et ses affidés. »

« Tout ça, c’est du politique »

Quelques jours avant la décision, les autorités municipales de Ouagadougou avaient annulé la manifestation du Cadre d’expression démocratique (CED), un regroupement d’associations qui entendaient marcher, le 7 octobre, pour réclamer notamment la mise en liberté de Djibrill Bassolé. Le 29 septembre, le même motif était dans la bouche des quelque mille manifestants réunis à Réo, une ville de l’ouest du Burkina Faso. Tous avaient répondu à l’appel de la Nouvelle alliance du Faso (NAFA), l’ancien parti de M. Bassolé.

« Les gens sortent dans la rue pour réclamer sa libération et quelques jours après, la justice le relâche. Tout ça, c’est du politique. Si la justice était vraiment indépendante, comme on tente de nous le faire croire, elle n’aurait jamais fait une chose pareille », s’indigne Alain Boubacar, le président des familles des martyres du coup d’Etat manqué.

Depuis la mise en détention du général à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), le 29 septembre 2015, le camp de Djibrill Bassolé a multiplié les demandes de mise en liberté provisoire. Plus d’une dizaine, systématiquement refusées par la justice militaire. A chaque fois, le même motif est avancé par ses avocats : l’ex-général souffrirait de problèmes coronariens, il doit pouvoir aller se faire soigner à l’étranger, car les spécialistes compétents manquent au Burkina Faso.

Selon ses avocats, le dernier refus date de fin septembre. Alors, le MPP s’interroge : « Existe-t-il des éléments nouveaux qui justifieraient cette décision ? »

Pour Dieudonné Bonkoungou, l’un des avocats de Bassolé, « son électrocardiogramme est comparable à celui de janvier, c’est-à-dire pas bon. A force d’insister, le juge a finalement eu le courage de se départir de certaines pressions, politiques, militaires et mêmes financières, et de prendre la décision qui s’imposait. » Mais le camp Bassolé, bien que s’estimant satisfait de cette mise en liberté provisoire, conteste sa mise en résidence surveillée, évoquant le « transfert d’une prison à une autre prison ». Dans un communiqué, la NAFA s’offusque contre ce qu’il considère comme un « enlèvement » et une « séquestration » « dans une concession isolée ». Les partisans du général réclament son retour dans sa résidence familiale.

Un climat social dégradé

Dans cette affaire, les adversaires comme les partisans de la mise en liberté provisoire de Djibrill Bassolé sont au moins d’accord sur un point : des pressions ont été exercées sur la justice. Les conseils de l’ancien ministre ont usé de l’imposant carnet d’adresses de l’accusé pour tenter de mobiliser les instances régionales ouest-africaines, les Nations unies – dont il fut le médiateur au Darfour – et le Qatar. « Est-ce politique ? Ou de la corruption ? Ou encore une pression morale exercée sur les juges ? On ne sait pas, mais une chose est certaine : il y a eu un dysfonctionnement judiciaire », assure pour sa part Me Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai Citoyen.

Après l’annonce de la mise en liberté du général, le 10 octobre, la plus influente organisation de la société civile burkinabée a bien tenté de se rassembler pour protester. Ils seront immédiatement dispersés par les forces de l’ordre. Certains membres du Balai citoyen affirment avoir reçu des menaces leur intimant l’ordre de ne pas manifester. Encore des pressions qui témoignent d’une dégradation du climat social au Burkina Faso.

A Ouagadougou, la tension est de plus en plus palpable. Le 25 octobre aura lieu la confirmation des charges pesant sur la centaine d’inculpés dans l’enquête sur le coup d’Etat manqué. Un jour clé pour MBonkoungou, qui n’espère qu’une chose : l’abandon des poursuites pour « trahison » contre son client. « Lors de cette audience, nous allons démontrer en quoi cette charge n’est pas caractérisée. Elle s’est constituée au fur et à mesure que le dossier avançait », précise-t-il.

Initialement, sept chefs d’inculpation pesaient contre Djibril Bassolé, dont celui d’« attentat contre la sûreté de l’Etat », d’« association de malfaiteurs » et de « meurtre ». Mais, dans son ordonnance finale rendue fin juillet, le juge d’instruction François Yameogo n’a finalement retenu qu’une charge contre Djibril Bassolé. Inculpé pour « trahison », le juge soupçonne l’ex-ministre de « collusion avec des puissances étrangères en vue d’entreprendre des hostilités contre le Burkina Faso. »

« Du Blaise, mais en moins bien »

Pour le camp Bassolé, cette inculpation finale repose exclusivement sur les présumées écoutes Soro-Bassolé. Dans ces enregistrements sonores, sortis sur les réseaux sociaux après la tentative de coup d’Etat, on entend deux voix, l’une attribuée à Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, l’autre à M. Bassolé, alors ministre des affaires étrangères du Burkina Faso, échanger sur les moyens de ranimer le coup d’Etat, alors dans l’impasse.

Des écoutes qui, selon plusieurs sources, ont bien été « authentifiées », comme le précise l’ordonnance finale, par l’expert allemand commissionné, Hermann Künzel. Un terme que conteste toujours Me Bonkoungou : « A notre sens, il n’y a pas eu d’authentification dans la mesure où le document original n’a jamais été présenté au juge ni à l’expert. Il n’est donc pas sûr que, déontologiquement, on puisse authentifier une copie. »

Les récents déboires de Souleymane Kamaraté Koné, le chef de protocole de Guillaume Soro, emprisonné et accusé d’avoir caché la bagatelle de six tonnes d’armes dans sa villa et les appels de plus en plus fréquents au retour de Blaise Compaoré au « pays des hommes intègres » ne font qu’alourdir un contexte déjà plombé par la montée de la menace terroriste dans le nord, les grèves tous azimuts au sein des administrations et les critiques de plus en plus pressantes contre le pouvoir en place, jugé inefficace.

« Ils font du Blaise, mais en moins bien », déplorent de plus en plus de Burkinabés. Pour MGuy Hervé Kam, cette ambiance délétère est inquiétante : « Il y a une communication pour préparer les esprits à accepter ce qui se passe », analyse l’avocat. Blaise Compaoré, c’est une autre question qu’il faut dissocier du cas Bassolé. Mais là où il peut y avoir un lien, c’est que tous ces gens ont intérêt à pourrir le climat socio-politique. Cela montre en réalité que, pour Bassolé, c’est maintenant ou jamais. » Et d’ajouter une pensée de plus en partagée au Burkina Faso : « Tout ça, ça fait beaucoup d’un coup. »

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