Afrique de l’Ouest : La Force conjointe du G5 Sahel devrait donner la priorité aux droits humains

L’État de droit et la bonne gouvernance sont cruciaux pour une stratégie de lutte contre le terrorisme

(Banjul) – La force militaire du G5 Sahel créée pour combattre les groupes armés islamistes dans la région du Sahel en Afrique devrait respecter pleinement les droits humains internationaux et le droit international humanitaire dans ses opérations, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les gouvernements qui soutiennent cette force regroupant des troupes de cinq pays devraient agir également pour améliorer la gouvernance et l’État de droit dans la région.

Les cinq pays participants – le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad – ainsi que les principaux soutiens politiques et financiers, notamment la France, l’Allemagne, l’Union africaine, l’Union européenne, les États-Unis et l’Arabie saoudite, se réunissent le 13 décembre 2017 à Paris pour discuter de la mobilisation financière, militaire et politique de la Force. Une conférence des bailleurs de fonds se tiendra à Bruxelles le 14 décembre. La phase initiale des opérations du G5 Sahel, qui a commencé début novembre, sera chargée de sécuriser les frontières du Mali.

« Alors que la Force conjointe du G5 Sahel est confrontée à la présence croissante de groupes armés islamistes au Mali et ailleurs dans le Sahel, elle devra respecter scrupuleusement les droits dans ses opérations et garantir des enquêtes diligentes et impartiales sur les allégations d’abus commis par les membres de son personnel », a déclaré Corinne Dufka, Directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Ne pas le faire ne ferait qu’augmenter le soutien local aux groupes armés et intensifier davantage encore la crise de sécurité. »

La Force conjointe du G5 Sahel, dont le quartier général est situé au centre du Mali, dans la ville de garnison de Sévaré, devrait comprendre 5 000 militaires appartenant à sept bataillons et elle coordonnera les opérations avec 4 000 militaires français opérant dans la région ainsi qu’avec les 12 000 membres de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Les forces de maintien de la paix fourniront un soutien logistique et opérationnel, comme les y autorise la Résolution 2391 du Conseil de sécurité du 8 décembre. L’UE s’est engagée à hauteur de 56 millions de dollars US, les États-Unis à hauteur de 60 millions de dollars US et l’Arabie Saoudite à hauteur de 100 millions de dollars US pour soutenir la force conjointe.

Les graves abus commis par certaines forces de sécurité participant à la précédente force multinationale soulignent la nécessité pour toutes les forces armées de réduire les dommages causés aux civils et d’assurer le traitement humain des prisonniers, conformément au droit international humanitaire et aux droits humains.

La Force conjointe du G5 Sahel concentrera l’essentiel de ses opérations au Mali, où la situation des droits humains est devenue de plus en plus précaire en 2017. Tout au long de l’année, les groupes armés islamistes ont multiplié les attaques contre les forces gouvernementales et les forces de maintien de la paix de l’ONU. Alors que le processus de paix envisagé pour mettre fin à la crise politico-militaire au Mali en 2012-2013 était au point mort, les groupes armés dans le nord ont peu progressé sur le désarmement promis et le gouvernement a fait des progrès insuffisants pour rétablir l’autorité de l’Etat. Cela a aggravé une absence de l’État de droit, facilitant un banditisme endémique.

La situation dans le centre du Mali soulève des préoccupations particulières, selon Human Rights Watch. Depuis 2015, des victimes d’abus et des témoins dans la région ont indiqué à Human Rights Watch que des combattants islamistes ont exécuté au moins 50 informateurs présumés, dont des chefs de village et des responsables locaux ; fermé les écoles ; forcé les femmes à se voiler ; recruté des enfants ; et ont battu des villageois qui se livraient à des pratiques culturelles interdites par les islamistes. Depuis fin 2016, ils ont également imposé leur version de la charia, établissant des tribunaux qui ne respectaient pas les normes d’équité.

Cependant, de nombreux villageois se sont félicités de la présence des groupes islamistes dans le centre du Mali, qu’ils considèrent comme une alternative bienveillante à un Etat qu’ils associent à une gouvernance prédatrice et abusive. De nombreux villageois ont déclaré qu’ils étaient satisfaits des efforts islamistes pour enquêter et punir les voleurs de bétail, y compris par des exécutions. Certains ont salué les jugements de la charia en faveur des victimes de violence domestique ou de l’abandon par leur conjoint. D’autres ont exprimé leur colère contre les abus de l’armée malienne lors des opérations antiterroristes.

En septembre, Human Rights Watch a documenté de graves abus commis lors d’opérations militaires des forces du Mali et du Burkina Faso dans le centre du Mali. Depuis fin 2016, les forces maliennes se sont livrées à des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, des actes de torture et des arrestations arbitraires à l’encontre de personnes présumées soutenir des groupes armés islamistes, tandis qu’une opération effectuée en juin 2017 à travers la frontière par les forces burkinabés a donné lieu à des détentions arbitraires et s’est soldée par la mort de deux suspects.

En vertu des lois de la guerre, les civils ne peuvent pas être la cible délibérée d’une attaque, et les parties belligérantes sont tenues de prendre toutes les précautions possibles pour limiter les dommages causés aux civils et aux biens civils. Les attaques qui ne font pas de distinction entre les combattants et les civils, ou qui causeraient des dommages disproportionnés aux civils, sont interdites. Les abus contre les civils et les combattants capturés, notamment le meurtre, la torture et autres mauvais traitements, peuvent constituer un crime de guerre.

L’armée malienne a fait peu d’efforts pour réclamer des comptes aux militaires ou aux miliciens impliqués dans des abus au cours des années. Toutefois, en octobre, le ministère malien de la Défense a promis l’ouverture d’une enquête interne sur les abus qu’auraient commis leurs forces dans le centre du Mali. Les autorités du Burkina Faso ont également promis d’enquêter sur les allégations d’abus commis à Djibo.

Alors que les gouvernements du G5 Sahel et les intervenants apportant un soutien financier à la Force conjointe finalisent les plans opérationnels, ils devraient également aider le Mali à lutter contre les problèmes sous-jacents à des décennies d’insécurité et au soutien croissant aux groupes armés islamistes, selon Human Rights Watch.

« Une stratégie de lutte contre le terrorisme au Sahel devrait aller au-delà de la présence de groupes armés islamistes, mais elle doit également lutter contre les problèmes qui sont au cœur de l’insécurité : la faiblesse des institutions de l’État de droit et la gouvernance abusive », a conclu Corinne Dufka.

Recommandations aux pays membres de la Force conjointe du G5 Sahel et à ses soutiens financiers

  • Inclure dans le processus de planification opérationnelle des avocats ayant l’expérience de l’application des lois de la guerre, des crimes de guerre et de la responsabilité de commandement ;
  • Pendant les opérations, inclure la police militaire – ou les personnes qui exercent la fonction de prévôt – mandatée pour surveiller le respect du droit international humanitaire pendant les opérations militaires et répondre aux manquements disciplinaires des militaires ;
  • Mettre en place une permanence téléphonique 24 heures sur 24 permettant aux victimes et aux témoins de signaler les abus commis par toutes les parties et d’assurer une communication efficace et rapide entre le personnel de la ligne directe, les autorités maliennes chargées de protéger les civils et les forces de maintien de la paix ;
  • Enquêter et poursuivre, conformément aux normes internationales d’équité, les membres des forces de sécurité impliqués dans de graves violations des droits humains, quel que soit leur poste ou leur grade – notamment ceux qui relèvent de la responsabilité de commandement pour avoir omis d’empêcher ou de poursuivre ces crimes ;
  • Demander ou fournir une assistance internationale si les autorités locales n’ont pas la capacité suffisante pour mener des enquêtes et des poursuites crédibles, impartiales et indépendantes ;
  • S’assurer que la Force conjointe du G5 Sahel n’utilise pas de groupes de milices auteurs d’abus à quelque titre que ce soit ;
  • Encourager les institutions nationales des droits humains au Mali, au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso et au Tchad à remplir leurs mandats respectifs pour enquêter de manière impartiale sur les violations des droits humains sur leur territoire ou impliquant leurs pays respectifs ;
  • Exhorter la section de la MINUSMA chargée des droits humains à s’engager dans davantage de rapports publics sur les violations des droits commises par toutes les parties ; et
  • Veiller à ce que tous les enfants détenus pendant les opérations du G5 Sahel soient placés dans un centre de soins spécialisé temporaire géré par l’UNICEF, l’agence des Nations Unies pour les droits des enfants, conformément au protocole de 2013 sur la libération, le transfert et la protection des enfants associés à des groupes armés
  • hrw.org
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